Les bibliothèques publiques accueillent une population variée dont une partie se compose de visiteurs très réguliers. Qui sont ces habitués qui contribuent fortement à l’image du public des bibliothèques? Quelle image se font-ils de ce lieu? Comment utilisent-ils cet espace?
En 1998, Jean-Michel Cretin avait réalisé un film
Il ne s’agit pas de n’importe quelle bibliothèque puisque l’enquête porte sur la Bibliothèque publique d’information (BPI) telle qu’elle se présentait avant sa récente réouverture. La relation qui se noue entre les habitués et « leur bibliothèque » impose de prendre en compte la singularité de cette dernière dont le succès n’a jamais été démenti depuis son ouverture. Il faudrait s’interroger sur le caractère transposable de ce que l’on observe à la BPI. Les habitués des autres bibliothèques sont-ils différents de ceux de la BPI? En quoi le sont-ils? Si la BPI n’attire pas le même public que la Bibliothèque nationale de France (BnF) (plus d’autodidactes, de chômeurs et de « sans domicile fixe »), cela tient non seulement à la différence de leur offre culturelle, mais aussi au fait que ces deux bibliothèques se situent dans une aire géographique commune. Dans des petites villes disposant d’une offre moins variée, cette séparation des publics aurait moins de chances de s’observer. Mais les grandes villes qui disposent d’une médiathèque et d’une bibliothèque municipale « ancienne » pourraient très bien observer une telle différence dans leur public. Aussi, les habitués de la BPI ne sont pas incomparables aux autres. Au contraire, l’utilisation qu’ils font de ce lieu s’observe clairement dans maintes bibliothèques.
Les auteurs ont retenu une perspective délibérément qualitative. Il ne s’agit pas de mettre à jour les déterminants sociaux des habitués ou de montrer comment varient leurs usages selon leurs caractéristiques sociales. Christophe Evans a retenu ce type d’approche dans un précédent ouvrage sur le public de la BPI
L’appréhension de cette population repose sur des entretiens au cours desquels les usagers font partager leur expérience et leur sentiment sur la bibliothèque. Cette manière de faire est la seule qui permette de replacer leur fréquentation de ce lieu dans leur univers de sens.
La lecture publique est une conception particulière du rôle et du travail des bibliothèques. Elle insiste sur
L’accès à la BPI et à son fonds ne souffre d’aucune barrière symbolique. Il n’est pas nécessaire de posséder une carte ou de passer par une banque de prêt. Et s’il faut patienter dans la file d’attente, les habitués ne considèrent pas cela comme un obstacle imposé par l’institution, mais bien comme une contrepartie acceptable du succès d’une idée. Tous les usagers sont placés dans une situation d’égalité dans l’accès à ce lieu et à son offre. Les habitués caractérisent d’autant plus facilement la BPI qu’ils la comparent à d’autres bibliothèques. L’« autre bibliothèque » la plus souvent désignée est la BnF. Cette dernière apparaît plus sombre, fermée, austère, moins cosmopolite et vivante que la BPI. C’est cette opposition qu’exploite Christian Baudelot dans la préface de ce livre :
Dans cette partie, Christophe Evans part du constat que tout observateur en bibliothèque peut établir : si les usagers sont engagés dans un travail sur des documents, leur séjour remplit d’autres fonctions que des fonctions documentaires. La bibliothèque forme le lieu d’un travail sur soi, l’occasion de se construire, défendre ou revendiquer une identité sociale. Le mérite de Christophe Evans réside dans son entreprise de systématisation d’une intuition qui traverse certains travaux sur les publics des bibliothèques. L’étude des habitués se prête particulièrement bien à cette hypothèse, puisque ce sont eux qui sont le plus durablement en contact avec cette institution culturelle et c’est donc chez eux que l’on peut le mieux cerner l’incidence de cette fréquentation sur la construction de leur identité.
Dans son dernier ouvrage, François de Singly
Si la bibliothèque intervient dans la construction de l’identité des individus au sens de leur rapport aux autres, elle participe aussi à la façon dont les usagers perçoivent le monde et eux-mêmes. Pour certains autodidactes par exemple, la BPI est le lieu de l’accès à une formation impossible autrement. Plus généralement, elle offre un soutien à ceux qui souhaiteraient être reconnus différemment de ce dans quoi leur statut les fige (autodidacte, chômeur, SDF, retraité).