Index des revues

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    Bibliothécaire à l'hôpital

    Une action culturelle qui soutient la thérapeutique

    Par Marie-Odile Bosch
    Par Marie-Christine Valla

    Lorsque nous sommes arrivées à l'hôpital Necker-Enfants-Malades, nous avions certains projets en tête et surtout deux préoccupations essentielles :

    • l'une d'ordre psychologique ou humain, était de participer avec toutes les personnes qui entourent l'enfant hospitalisé, à rendre sa vie la plus proche possible d'une vie quotidienne normale.
    • l'autre d'ordre culturel, était de promouvoir la lecture auprès de ces enfants, avec le même souci professionnel qu'une autre bibliothécaire, c'est-à-dire par un choix de livres de qualité et pardes activités donnant envie de lire.

    Avant de vous parler de notre activité proprement dite dans les services du Département de Pédiatrie, nous vous présenterons d'abord rapidement le service auquel nous sommes rattachées, car le travail qui s'y fait conditionne, en partie, le bon fonctionnement de chaque bibliothèque d'hôpital.

    Puis, pour répondre aux questions que l'on nous pose dans les couloirs, nous allons vous parler de la manière dont se déroule notre travail à l'hôpital, et enfin, à partir de cela, nous en exposerons les particularités.

    Nous sommes rattachés à un service central de l'Assistance Publique : la Bibliothèque Centrale des Hôpitaux, qui est dirigée par Georgette Rappaport, à l'hôpital de la Salpêtrière.

    Les 17 bibliothécaires de ce service ont reçu une formation spécifique, reconnue au plan national, bien qu'elles aient à l'Assistance Publique un statut de secrétaire administratif. Certaines d'entre nous ont une formation spécialisée : discothèque, ou bibliothéque d'enfants comme nous-mêmes. Lorsque l'on sait qu'il y a 38 hôpitaux, on constate rapidement que notre service, manque lui aussi, de personnel.

    A l'intérieur de ce service, le rôle essentiel des bibliothécaires est d'assurer leur mission à la fois culturelle et sociale. Considérant toute personne hospitalisée comme un lecteur potentiel, elles essaient de lui faire appréhender le livre pour son plaisir, d'une manière originale, par des activités (clubs de lecture, heure du conte...) qui sont une des formes d'accompagnement du malade pendant son hospitalisation, et qui contribuent au développement de la Lecture Publique à l'hôpital. Cette réflexion sur la relation entre le malade et le livre, la relation entre le malade et nous les bibliothécaires, accompagne le travail de gestion des bibliothèques des hôpitaux de l'A. P. Il s'agit de gestion administrative etfinancière, mais aussi technique, ce que nous appelons dans notre jargon : le « circuit du livre ». En effet, comme dans une course à obstacles, le livre qui doit parvenir dans les mains des lecteurs prend son départ au moment du choix de livres dans nos comités de lecture, et s'il surmonte tous les handicaps, il arrive gagnant à l'hôpital.

    Ces obstacles sont autant d'étapes de travail pour le bibliothécaire : il s'agit d'abord de la lecture et de l'analyse critique (au sein des comités de lecture du service et des comités de lecture de l'association « la Joie parles livres », pour les livres d'enfant). Ce sont aussi les lectures d'analyses dans des revues bibliographiques spécialisées.

    Toutes ces démarches sont animées par le souci d'offrir à nos lecteurs une variété de livres de qualité.

    Puis le livre est choisi, commandé par la bibliothèque centrale en plusieurs exemplaires. Passé un certain délai les commandes arrivent et les livres son enregistrés, catalogues puis équipés pour le prêt. Ces opérations sont plus ou moins longues et fastidieuses, mais nécessaires car c'est le seul moyen de connaître notre fonds de livres et d'évaluer ses mouvements en pertes et acquisitions.

    Elles expliquent aussi pourquoi les livres prêtés en bibliothèque ont quelque retard par rapport aux parutions en librairie.

    Mais enfin, le livre arrive à l'hôpital... Qu'en faisons-nous ?

    Une bibliothèque d'enfants à l'hôpital Necker-Enfants-Malades

    A l'hôpital Necker-Enfants-Malades, les activités e bibliothèque ont lieu dans les salles de classe et au chevet des enfants hospitalisés. (Nous ne disposons pas, comme dans certains hôpitaux pour adultes ou de longs séjours d'une salle de prêt et de lecture, mais d'un local de réserve où les livres sont entreposés, avec notre matériel de travail.)

    Le fonds de livres comprend : des albums illustrés (certains sont cartonnés pour les toutes petites mains), des contes, des romans, des bandes dessinées, des périodiques, des documentaires.

    Nous avons aussi des livres en arabe, en portugais, en italien, car beaucoup d'enfants viennent de ces pays, pour de longs moments souvent, et ces livres sont avec les cours de Zina leur professeur de langue arabe, un des seuls moments où ils peuvent retrouver leur identité propre.

    Nous remarquons également l'importance des livres illustrés dans la demande des lecteurs. En effet les hospitalisations fréquentes, pour certains, sont suivies de retards scolaires entraînant un décalage important entre leur niveau de lecture et leur âge. De plus ces livres 'sont aussi appréciés par les enfants non francophones : nous sommes donc soucieuses de la qualité des illustrations.

    Notre rôle essentiel est de faire connaître ces livres aux enfants, de répondre à leur appétit de lecture, de les conseillerselon leurs goûts. Pour cela le prêt de livres est accompagné de 2 activités principales, pour le rendre plus vivant : la présentation de livres et l'heure du conte.

    L'activité de bibliothèque s'insère là dans le planning scolaire, comme une activité régulière (2 fois par semaine dans chaque service) : activité d'éveil à la lecture mais aussi créatrice d'autres activités (dessin, invention d'histoires, de bandes dessinées...)

    Cette activité est souhaitée par l'ensemble des institutrices qui ont la volonté de travailler, en maternelle comme en primaire, avec le livre, qu'il soit documentaire ou bien ouvrage de fiction.

    Cette attitude est suscitée par une volonté d'inciter à la lecture pour le plaisir de lire et par la reconnaissance de ce que peut apporter un livre d'images ou un roman à l'imaginaire de l'enfant, même très jeune.

    nous pratiquons aussi régulièrement des présentations de livres. Elles peuvent être faites selon un thème (avec documentaires, romans, contes, albums). Par exemple : le racisme, la montagne, différents pays d'Afrique de Nord, la nature. En préparation : la cuisine. Beaucoup de ces thèmes sont proposés en liaison avec l'institutrice ou l'éducatrice qui est quotidiennement auprès des enfants, et nous, bibliothécaires, nous apportons notre contribution par le choix des livres que nosu présentons aux enfants.

    Ce peut être aussi la présentation d'une collection au travers de 2 ou 3 livres (ex : la bibliothèque internationale, Arc-en-poche, Folio-Benjamin, J'aime lire). A cette occasion nous parlons plus de la conception du livre, d'un auteur, de la présentation de la collection des illustrations, de ce qui est a retenir dans le titre (humour, mystère...). Tout ceci contribue à développer le sens de l'analyse critique chez les enfants.

    La présentation de livres peut être individuelle pour l'enfant qui n'arrive pas à se décider ou qui a envie que l'on s'occupe de lui tout seul, ou pour les enfants qui restent dans leur chambre. A ce moment là les parents en profitent pour noter un titre, une collection, un abonnement à un périodique pour leur enfant. Nous jouons là, spontanément, un rôle d'information auprès des parents au travers des découvertes qu'ils font. C'est important car le livre est souvent le cadeau offert par l'adulte à l'enfant.

    Il y a le caractère particulier de l'hémodialyse, où l'institutrice connaît bien les enfants qui reviennent régulièrement à l'hôpital, et la bibliothécaire ne peut les voir tous. Dans ce cas l'institutrice sert d'intermédiaire entre la bibliothécaire et l'enfant.

    Les enfants ayant souvent envie de lire, avant que l'on arrive, le prêt est toujours un moment d'effervescence en classe ou dans les couloirs. Le fait d'emprunter un livre est très important pour l'enfant, car il lui permet de décider lui-même de ce qu'il va choisir. C'est, avec l'école, un des moments d'autonomie à l'hôpital.

    Le livre a aussi un intérêt affectif et psychologique important, car il permet aux parents, en racontant une histoire, de retrouver une relation privilégiée dont l'enfant a bien besoin, à ce moment là.

    L'heure du Conte à l'hôpital

    Aces moments où l'enfant découvre les plaisirs de la lecture, s'ajoute l'heure privilégiée du conte. Privilégiée certes, car les enfants s'y préparent, attendent la surprise de l'histoire, s'installent en rond ou sur des coussins, ou en profitent pour faire un câlin à l'une ou l'autre. Cette animation peut s'exercer de différentes manières :

    • ce sont les conteurs de « l'Age d'or qui viennent une fois par mois dans chaque service où nous passons. Ces « grands-parents conteurs » ont voulu retrouver auprès des enfants un auditoire qu'avaient les anciens que l'on écoutait lors des veillées d'antan. Ce sont eux aussi qui sont venus anime, avec succès, un après-midi du mois d'octobre un montage de contes audio-visuels, à partir de livres illustrés pour les enfants.
    • Nous avions aussi mis en place cette année des animations de conteurs d'Afrique du Nord pour les enfants qui viennent du Maghreb, et à la suite des activités en classe autour des pays d'Afrique du Nord. C'était l'occasion, pour eux, de parler dans leur langue, de leur pays, de leur ville, de leurs coutumes, au milieu d'une atmosphère de fête de laquelle les autres enfants et nous-mêmes ne manquions pas de participer, tout en découvrant une autre culture. Pour le moment cette animation est malheureusement interrompue.

    Plus modestement, auprès de ces professionnels, ce sont nousmêmes, les bibliothécaires qui animons l'heure du conte, soit avec un support illustré (diapositives) soit de manière plus traditionnelle. Ces moments permettent à l'enfant d'approcher le livre d'une autre manière, et ont autant d'intérêt psychologique que culturel.

    Des activités qui s'insèrent dans la vie de l'hôpital

    En apparence, ces activités semblent se dérouler comme dans les autres bibliothèques. Elles sont pourtant différentes, car elles se passent dans le cadre particulier de l'hôpital où plusieurs institutions sont déjà attribué, mais où nous avions notre place. Nous avons donc adapté notre activité aussi souplement que possible selon les moments et les personnalités. Ceci est une première originalité. Comme nous sommes dans un hôpital, il est évident que les rôles principaux sont joués par les personnes en blouse blanche ; médecins, infirmières, surveillantes, psychologues. C'est ce que nous appellerions l'institution de soins. Certains ont encore un regard étonné en nous rencontrant et nous sommes, avec les institutrices, la cause de perturbations dans leurs habitudes. Beaucoup se renseignent sur notre travail auprès des enfants, s'intéressent aux goûts de lecture des enfants.

    L'autre institution qui joue un rôle important est l'institution pédagogique, avec les éducatrices et les institutrices. Chacune d'elle est détachée dans un service et a la privilège de mieux connaître les enfants que nous. Notre activité aurait pu nous mettre en concurrence si elle avait été mal comprise, ou nous rapprocher de la leur. Elle nous a rapproché : Les institutrices qui souhaitent travailler avec le livre non-scolaire demandent à connaître et à utiliser Is livres de la bibliothèque pour l'acquisition du langage, pour l'apprentissage de la lecture, car l'enfant est parfois plus motivé par un livre qu'il a eu envie d'emprunter.

    Pour répondre à cette attente, nous présentons dorénavant, une fois par mois, nos nouvelles acquisitions aux institutrices.

    Les uns et les autres contribuent par les échanges que nous pouvons avoir, lors des réunions de service, ou pour un travail plus étroit (avec les institutrices et les éducatrices) à nous faire mieux connaître les enfants et ainsi à nous permettre d'établir d'emblée une meilleure communication avec les enfants en évitant les maladresses possibles. Les infirmières et les surveillantes nous enseignent aussi sur les nouveaux enfants hospitalisés ou sur leurs désirs particuliers.

    La présence de Zina, le professeur de langue arabe, nous permet de mieux connaître les besoins de lecture des enfants d'Afrique du nord.

    L'autre particularité est que cette activité nous conduit (à l'aide de nos chariots) vers un lecteur potentiel et ainsi nous touchons un public plus large et plus hétérogène qu'une autre bibliothèque publique. Ces enfants viennent en effet de milieux sociaux les plus divers, de pays différents. Tous ne sont pas forcément lecteurs. Pour certains, le séjour à l'hôpital est l'occasion d'un premier contact avec le livre non-scolaire. Pour d'autres, des séjours fréquents à l'hôpital ont entraîné des retards scolaires et ont accru leur décalage avec d'autres enfants et leur dégoût de lecture. Nous devons proposer à ces enfants des livres qui puissent les intéresser et les valoriser.

    De plus, ce public est mouvant parce que les enfants ne restent pas à l'hôpital, ou même en l'espace d'un heure, tout ne restent pas dans la classe au même moment, ou dans leur chambre, en raison des soins et des examens. L'état physique d'un enfant peut être différent d'un jour à l'autre et sa demande ne sera pas la même, selon sa fatigue. Il est donc difficile de prévoir une activité suivie, à long terme.

    Mais enfin, il y a très peu d'enfants qui refusent la lecture pour se distraire. Même les plus fatigués ouvrent un oeil intéressé lorsqu'on leur propose des livres illustrés pour les regarder plus tard.

    Pour vous donner une idée de ce que les enfants aiment lire, voici les prêts de l'année 1981, à titre indicatif.

    Sur 6 500 prêts par an, pour les 8 services visités :

    • 2 390 Bandes dessinées
    • 2 320 Romans
    • 820 Périodiques
    • 680 Romans
    • 1 70 Documentaires
    • 220 Livres étrangers (sur les 2 derniers mois)

    Arrêtons donc là toutes ces réflexions qui nous font penser que notre travail n'est pas inutile, car le livre contribue à adoucir et à améliorer les conditions d'hospitalisation de ces enfants, tout en contribuant par son contenu à enrichir et à libérer leur imaginaire.

    Cette activité, comme l'école, n'est pas un luxe. Même si nous avons de beaux et bons livres, comme on nous le dit souvent avec étonnement, c'est le droit de tout lecteur et de tout futur lecteur, à l'hôpital, d'y avoir accès.