Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Bibliothécaires à l'hôpital

    Par Myriam Revial, Hôpital Raymond-Poincaré, Garches
    Par Marie-Nôel de Labbey, Hôpital Saint-Louis, Paris

    Myriam Revial, Hôpital Raymond Poincaré, Garches

    L'hôpital est un monde à part. Pour le patient, l'hospitalisation entraîne généralement le sentiment d'appartenir à un univers particulier fait d'isolement et de séparation, gouverné par d'autres lois et régi par un ordre différent du quotidien. Pendant 12 ans, j'ai exercé en bibliothèque municipale. Voilà bientôt 7 ans que j'occupe un poste de bibliothécaire à l'hôpital Raymond-Poincaré à Garches. Et je dois dire aujourd'hui que, lorsque j'ai pris mes fonctions à l'hôpital, j'ai été submergée par un sentiment analogue. Je quittais alors l'univers familier et rassurant des bibliothèques publiques et découvrais que, bien que munie d'un diplôme professionnel, j'étais sans expérience dans ce milieu spécifique. Cet isolement m'a permis de réfléchir à la spécificité de l'hospitalisation et à son influence sur la pratique de lecture ainsi qu'au rôle du bibliothécaire à l'hôpital.

    J'ai vite pensé que, si notre fonction n'a aucune visée thérapeutique, elle s'avère essentielle à plus d'un titre. Les bibliothécaires aiment généralement se définir comme des professionnels de l'information et des médiateurs. À l'hôpital, ce rôle éducatif se double d'une fonction sociale forte puis-qu'il s'agit de conseiller, d'écouter, d'aider l'ensemble de la communauté hospitalière. Ici les demandes sont multiples : aider un parent d'enfant hospitalisé à trouver l'album qui permettra d'aborder un sujet douloureux, inviter l'indécis à choisir un livre « facile à lire, pour s'évader "... et peut-être oublier un temps sa condition d'hospitalisé. La lecture à l'hôpital est en effet avant tout une lecture-évasion qui répond à la nécessité de mettre provisoirement entre parenthèses un espace-temps contraint. Elle peut être grâce à certains ouvrages - de psychologie, de philosophie ou aux textes religieux - un moyen de redéfinir son propre rapport au monde et peut favoriser une reconstitution d'identité. Elle est aussi facteur d'intégration à la communauté humaine par le biais de la lecture des hebdomadaires d'actualité ou « lecture-reconstruction » grâce aux documents sur le handicap, la douleur ou l'hôpital. Ces quelques exemples ne représentent bien sûr qu'une partie des demandes et la lecture conjugue toujours plusieurs finalités, la « lecture-évasion » s'imbriquant souvent par exemple avec la « lecture-reconstruction ». Mais quelle qu'elle soit, elle peut permettre au malade de maîtriser certains rouages du milieu hospitalier et de la maladie et d'intégrer son histoire personnelle dans une histoire plus vaste afin de lui donner du sens.

    Pour toutes ces raisons, la présence et une véritable intégration des lieux de lecture dans l'hôpital doivent être renforcées, l'action de la bibliothèque ne pouvant être une pratique parachutée dans quelques lieux privilégiés. La création d'une bibliothèque ne dépend pas en effet d'une volonté ministérielle mais de celle du directeur de l'hôpital. La politique culturelle dans le secteur de la santé, lors-qu'elle existe, étant donc sujette à de nombreuses fluctuations, les acquis restent précaires et les critères d'appréciation flous. À Raymond- Poincaré, nous avons la chance d'avoir une direction attentive et favorable qui a compris que doter la bibliothèque d'un véritable budget permet de créer des collections cohérentes et de les alimenter régulièrement. Mais cette situation est loin d'être généralisée. Comment alors vaincre les réticences économiques et humaines ? Comment faire comprendre à un directeur financier qu'on ne fait pas fonctionner une bibliothèque avec un fonds chaotique constitué de dons et 20 000 F de budget annuel ? Comment effacer ce concept « d'occupationnel », terme volontairement imprécis et confus qui colle à la peau de la bibliothèque à l'hôpital ? Il nous faut informer les responsables économiques et sociaux, les sensibiliser à la dimension culturelle de notre fonction. En invitant par exemple des acteurs, auteurs ou conteurs dont l'activité est reconnue à l'extérieur, la médiathèque favorise un élargissement de l'espace culturel de chacun. Il faut sans cesse interroger sur le sens de notre présence afin que peu à peu, il apparaisse au plus grand nombre que nous ne sommes pas là pour que cela se passe mieux, mais pour faire changer les choses.

    Pour atteindre cet objectif, une véritable professionnalisation s'impose. Ceci est d'autant plus difficile que cette profession, qui existe depuis plusieurs décennies, reste sans statut dans la fonction publique hospitalière où il est difficile de préciser qui exerce cette fonction et à quel titre. Parallèlement, la collaboration de nos bibliothèques avec le réseau de lecture publique est indispensable à plus d'un titre. Les échanges interprofessionnels permettent en effet non seulement de mettre régulièrement à distance sa propre pratique mais également de s'ouvrir à d'autres problématiques. De leur côté, les structures importantes de lecture - qui sont parfois des univers clos où il est souvent difficile de sortir des murs de l'institution - doivent s'ouvrir sur la cité. Autant d'échanges susceptibles d'enrichir les différents acteurs qui oeuvrent pour une plus grande prise en compte de la place du livre dans notre société.

    Marie-Noël de Labbey, Hôpital Saint-Louis, Paris

    Lorsque, après avoir travaillé en bibliothèque municipale, puis en bibliothèque spécialisée, je répondais à une annonce de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris recrutant une bibliothécaire titulaire du CAFB, je pensais retrouver un lieu de lecture publique. Au cours de mon premier entretien sur le site de l'hôpital Saint-Louis, une phrase de mon interlocuteur m'avait intriguée : « On ne travaille pas seulement à l'hôpital, on y vit. »

    À la réflexion, l'hôpital est le reflet de la société avec ses classes sociales, ses maux, sa violence comme sa sérénité, son caractère multi-ethnique... Le bibliothécaire s'adresse à cette société radicalement divisée en deux : les soignants et les patients ; dans le lieu même où s'exerce leur activité pour les premiers et où règne l'incertitude, voire la souffrance, pour les seconds. La bibliothèque est le lieu de rencontre de ces deux mondes. (...) Malades et personnels s'y retrouvent « à égalité,, : de simples citoyens libres de choisir ce qu'ils veulent.

    Afin d'offrir cette liberté de choix à tous les hospitalisés, le bibliothécaire passe dans chaque chambre, poussant son emblématique chariot chargé d'un échantillon des collections de la bibliothèque. Cette démarche physique d'offre de lecture auprès de ceux qu'on a coutume d'appeler les publics empêchés est déjà une ouverture vers un espace de discussion dans le propre espace du malade : sa chambre... Lorsqu'on frappe à la porte, on ne sait absolument pas qui est dans la chambre et c'est une des originalités de ce service. Écoute attentive, même du silence, doigté et intelligence sont indispensables : le malade veut ou ne veut pas de livres... Il parle d'un livre... mais c'est pour exprimer autre chose à une personne qui se trouve être ni de la famille, ni un soignant. Parfois, ce sera l'unique rencontre avec la lecture publique. (...) Le bibliothécaire à l'hôpital est paradoxalement, dans ce monde fermé et clos où l'on vit », un vecteur d'ouverture, une interface indispensable entre ceux qui oeuvrent pour la santé et ceux qui veulent la recouvrer..