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Les personnes dyslexiques, des étrangers dans nos bibliothèques?

1998
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    Les personnes dyslexiques, des étrangers dans nos bibliothèques?

    Services et documents spécifiques pour faibles lecteurs

    Par Gyda Skat Nielsen, trad
    Par Marie-Cécile Robin, Traduction de

    Les besoins d'information et de savoir

    Dans son discours d'introduction au congrès de l'IFLA de Copenhague, Morten Laursen Vig écrit :

    « Partout dans le monde d'au-jourd'hui des hommes et des femmes ont besoin de connaissances et de documentation susceptibles de les aider à relever les défis de l'ère de l'information Il précise également que l'information et le savoir apparaissent comme des leviers fondamentaux qui permettent à tout être humain d'assumer sa vie quotidienne, soit dans sa profession, soit comme responsable dans sa cité. La bibliothèque nationale danoise remarque aussi que ces facultés dépendent dans une très large mesure de la façon dont est ménagé l'accès au savoir et à sa communication.

    Dans chaque pays, une responsabilité majeure incombe aux bibliothèques publiques pour que ces désirs deviennent réalité.

    La dyslexie, un handicap qui se laisse ignorer

    La dyslexie, c'est-à-dire la difficulté à lire et à écrire, affecte un très grand nombre de personnes à travers le monde. L'Association européenne de dyslexie estime qu'environ 7 % de la population de ses États membres souffre de dyslexie. C'est un handicap sérieux dans le monde de l'écrit. Le fait que la dyslexie soit invisible ajoute une difficulté supplémentaire. Vous pouvez voir s'il manque un bras ou une jambe à quelqu'un. Mais vous ne pouvez pas savoir si une personne croisée dans la rue est dyslexique ou non. La plupart des dyslexiques souffrent de séquelles de blessures et d'échecs, en grande partie provoqués par leur scolarité.

    Une compréhension grandissante de la dyslexie

    Durant ces dernières années, la société danoise a compris de mieux en mieux les problèmes relatifs aux troubles de lecture et d'écriture. Il en est heureusement de même dans le monde des bibliothèques. Parents actifs d'enfants dyslexiques, adultes dyslexiques et professionnels de tous horizons : de plus en plus de personnes admettent ouvertement qu'elles ont des problèmes de lecture et d'écriture. Le fait que quelques personnes célèbres comme des acteurs, des artistes, des politiciens aient osé parler de leurs difficultés de lecture en a grandement fait bénéficier tous les autres.

    Le public s'est trouvé averti de ce que les dyslexiques sont souvent des personnes intelligentes et compétentes et qu'elles viennent de tous les milieux. Ces dernières années, la presse danoise a manifesté un intérêt croissant envers la dyslexie et les autres troubles de lecture. Leur contribution constitue évidemment une aide essentielle.

    Les dyslexiques en bibliothèque

    Les dyslexiques se sentent-ils bien accueillis dans les bibliothèques publiques ?

    Il est important de ne pas oublier que nombre de faibles lecteurs ne se sentent ni en confiance ni à leur place dans une bibliothèque publique. Ils préfèrent, pour beaucoup d'entre eux, s'en tenir éloignés. Il n'est pas rare d'entendre dire par une personne dyslexique : «Je ne vais pas à la bibliothèque car je ne veux pas subir de frustrations supplémentaires. » Il nous est peut-être difficile de comprendre que le simple fait d'entrer dans une bibliothèque peut demander un immense effort.

    Dans le cadre de l'importante campagne suédoise pour les dyslexiques, un petit livre, « Det var ju inte dum jag var (« Après tout, je ne suis pas stupide ») a été publié par quatre grandes bibliothèques suédoises. Dans ce livre maints adultes dyslexiques parlent de leurs démarches en bibliothèque publique. À vrai dire, leurs expériences ne sont pas très positives ! Même dans un pays comme la Suède, bien connue pour l'excellence de l'organisation de ses bibliothèques, les personnes confrontées à des difficultés de lecture y souffrent de nombreuses déceptions.

    Il est de la responsabilité de toute l'équipe de bibliothécaires d'inviter et d'accueillir de manière adéquate le grand nombre des citoyens qui ne sont pas très à l'aise en matière de lecture.

    Nous avons souvent à faire à des personnes faiblement socialisées qui ont peu d'estime d'elles-mêmes. Quelques-unes peuvent être au chômage à cause de leur handicap. Mais nous rencontrons aussi

    • et ceci est important à signaler
    • des personnes qui ont des capacités normales, et parfois très créatives.

    Prise de conscience du personnel des bibliothèques

    Il me semble que de nombreuses bibliothèques ont tendance à privilégier les usagers qui sont bien formés et qui sont à l'aise dans leur démarche plutôt que de se tourner vers les faibles lecteurs, qui sont fréquemment regardés comme des fauteurs de trouble et difficiles à gérer.

    Ceci peut paraître provocant mais n'est jamais en dessous de la vérité. La cause de cette attitude est sans doute le plus fréquemment une information insuffisante des bibliothécaires, soit pendant leur formation initiale, soit ensuite au cours de leur pratique professionnelle.

    Cependant au sein des bibliothèques publiques danoises, il y a eu ces dernières années, une prise de conscience continue des difficultés de lecture. La section pour les usagers hors les murs de l'Union des bibliothécaires danois, en lien avec des bibliothécaires locaux, a organisé des rencontres et des conférences pour faibles lecteurs dans les bibliothèques.

    La responsabilité de chaque bibliothèque

    Il est absolument nécessaire que chaque bibliothèque fasse un effort pour informer la totalité de son personnel des questions posées par les différents handicaps qu'il peut rencontrer dans une bibliothèque, par exemple de la dyslexie.

    Une très bonne solution peut être d'inviter une personne dyslexique à venir à la bibliothèque pour parler de son handicap et de ses expériences en tant qu'usager.

    Dans les bibliothèques publiques de Sylleryd, au nord de Copenhague, où je travaille, nous avons essayé ceci il y a peu, avec grand succès.

    Écouter une personne parler de son expérience en bibliothèque vaut vraiment la peine.

    Les bibliothèques publiques de Sylleryd

    Depuis plusieurs années, les bibliothèques publiques de Sylleryd s'intéressent aux faibles lecteurs. Nous avons constaté qu'il est très difficile d'entrer en contact avec eux, par exemple parce qu'ils sont dans l'incapacité de lire les messages imprimés que diffuse la bibliothèque. Pour faire connaître une information aux faibles lecteurs, nous dépendons vraiment de la bonne volonté de parents et d'amis à leur communiquer.

    À la bibliothèque principale de Sylleryd, nous avons une section spéciale pour les usagers souffrant > de différents handicaps à la lecture, comme la dyslexie.

    Plus loin, je parlerai de quelques services adaptés que nous leur procurons.

    Livres parlés

    Au cours des nombreuses années écoulées, des milliers de livres et de cassettes ont été réalisés par des éditeurs danois. Ces livres parlés, enregistrés sur bande dans leur intégralité, peuvent être empruntés dans toutes les bibliothèques publiques du Danemark.

    Les livres parlés ne sont pas seulement utilisés par tous les groupes de handicapés qui ne sont pas à même de lire des livres imprimés, mais aussi par toute personne qui préfère recevoir l'information par l'ouïe plutôt que par la vue. Le fait que n'importe qui puisse maintenant écouter des livres parlés leur a retiré, aux yeux des faibles lecteurs qui les utilisent, cette image de documents « réservés aux handicapés ».

    La Bibliothèque nationale du Danemark pour les aveugles a ouvert, il y a quelques années, ses collections de livres parlés aux personnes souffrant de dyslexie en invitant un représentant de l'Association danoise des dyslexiques à participer à l'un de ses comités. Les livres de la bibliothèque pour les aveugles peuvent être empruntés par les dyslexiques par l'intermédiaire des bibliothèques publiques. Ils constituent un complément substantiel aux livres sur audio-cassettes achetés par les bibliothèques.

    Lectures facilitées

    Pendant des années, bibliothécaires et professeurs ont travaillé activement pour persuader les éditeurs de produire de la fiction et des documentaires faciles à lire par les faibles lecteurs, qu'ils soient enfants ou adultes. Il est édité annuellement un certain nombre d'ouvrages de lecture facile, mais c'est nettement insuffisant.

    La carence est encore plus criante dans le domaine des livres pour adultes. Ces lectures faciles peuvent être soit produites pour le groupe ciblé par les écrivains en coopération avec des spécialistes de la lecture ou peuvent être des livres « ordinaires » qui sont résumés et partiellement réécrits dans le but de rendre leur lecture moins ardue.

    Une ou plusieurs bandes sonores sont parfois publiées avec le texte. Quelquefois le texte est lu à une vitesse modérée, laissant les usagers lire simultanément avec leurs yeux et leurs oreilles, ce qui leur procure un entraînement à la lecture.

    Périodiques sur audiocassettes

    D'autres médias que le livre sont porteurs d'information. Différents périodiques sur audiocassettes, dont la plupart sont produits par la Bibliothèque pour les aveugles et achetés par les bibliothèques publiques, sont d'un intérêt majeur pour les personnes qui ont des difficultés de lecture. Sans ces publications adaptées, elles ne pourraient se tenir au courant de l'actualité dans les domaines scientifiques, en histoire, en médecine, ni connaître l'évolution du consumérisme ou de la décoration intérieure.

    Brochures et circulaires

    Chaque année, la Bibliothèque pour les aveugles produit un nombre de brochures et circulaires émanant de l'État, des collectivités locales et d'autres autorités administratives.

    L'essentiel de cette documentation peut être consulté dans notre propre bibliothèque et joue un rôle capital auprès de nos usagers faibles lecteurs.

    Journaux sur bande

    De nombreuses bibliothèques publiques du réseau danois produisent un hebdomadaire local sur audiocassettes pour les personnes ayant des difficultés de lecture : aveugles, malvoyants, handicapés physiques, et bien sûr dyslexiques et faibles lecteurs. Avoir la possibilité de participer à la même vie sociale que ses concitoyens, à égalité de moyens, doit être regardé comme un des droits de l'homme.

    Les bibliothèques publiques de Sylleryd furent parmi les toutes premières à inaugurer un "journal sur audiocassette, il y a une quinzaine d'années. Le contenu est élaboré une fois par semaine, lu dans notre studio, copié et envoyé par courrier à 70 personnes environ.

    Comme tous les autres services aux handicapés, ce journal est servi à titre gracieux.

    Service de lecture

    Il y a environ cinq ans, nous avons créé un Service de lecture. Nos concitoyens qui ont des difficultés à lire peuvent apporter leurs lettres personnelles, des articles de presse, des modes d'emploi, des documents officiels et autres papiers imprimés à la bibliothèque. Nous les leur lisons sur audiocassette. Aujourd'hui, il existe très peu de bibliothèques à offrir un tel service, malheureusement.

    Les nouvelles technologies

    « Yak- Yak »

    En 1997, une organisation locale a fait don d'une substantielle somme d'argent pour l'équipement destiné à différentes catégories d'emprunteurs handicapés par des difficultés de lecture.

    Ce don nous a permis entre autres choses d'acheter un ordinateur avec un nouveau programme danois, appelé Yak-Yak ». Ce programme est efficace pour ceux qui ont des difficultés à déchiffrer leurs lettres. Grâce à l'intelligence artificielle et à la voix de synthèse, même des personnes très dyslexiques sont capables d'écrire des textes et des lettres. À l'aide d'un scanner, l'utilisateur est capable d'écouter un texte, par exemple d'un livre.

    Puisque nous n'avons pas assez de temps pour former nous-mêmes les usagers, nous organisons en collaboration avec un professeur spécialisé des cours d'utilisation du programme. Ce service est rendu à titre gracieux.

    Internet,

    Sans aucun doute, à l'avenir, une des aides les plus conséquentes pour les dyslexiques sera Internet. Comme beaucoup d'autres bibliothèques danoises, les bibliothèques publiques de Sylleryd offrent un accès à Internet.

    CD-ROM

    Bien que nous ayons un bon nombre de CD-ROM disponibles, nous regardons plutôt du côté des nouvelles réalisations en danois qui sont produites spécialement pour les faibles lecteurs.

    Étant donné la rapidité du développement technologique, il est important de suivre d'aussi près que possible ce qui est en cours d'édition pour y puiser l'inspiration nécessaire à notre futur travail afin de créer un meilleur accès à l'information pour tous.

    Comment faire pour que les faibles lecteurs se sentent à l'aise ?

    J'aimerais poser ces questions : Comment rendre nos bibliothèques attirantes pour les personnes ayant diverses difficultés de lecture ? Comment faire pour qu'elles se sentent à l'aise ? Et comment peut-on y arriver avec des moyens financiers limités ?

    On s'est également demandé, dans ma bibliothèque aussi, s'il était nécessaire de créer une section spéciale dans la bibliothèque pour ceux qui avaient des problèmes de lecture.

    Ne seraient-ils pas capables de trouver la documentation dont ils ont besoin parmi les livres usuels ? Serait-il possible pour eux de s'adresser au personnel pour demander de l'aide ? Voici quelques-unes des questions que nous nous sommes posées.

    Il est essentiel que les documents qui plaisent aux personnes ayant des difficultés de lecture soient réunis dans une section séparée, située au centre de la bibliothèque de façon à localiser cet espace immédiatement lors-qu'on y rentre. Il est primordial que ceux qui ne sont pas des familiers de la bibliothèque puissent trouver facilement l'information désirée sans avoir à parler de leur handicap.

    La signalisation devra être claire et la section attrayante devra posséder un endroit confortable pour s'asseoir. Il y faut un magnétophone avec des écouteurs pour pouvoir profiter des livres parlés qu'ils auront choisis.

    Cette installation peut trouver sa place aussi bien dans une bibliothèque très importante que dans les plus petites. Créer un « refuge » dans la bibliothèque pour les handicapés ne nécessite pas une grosse dépense. Avant tout, il requiert la bonne volonté du personnel.

    « Une bibliothèque bien à moi »

    La plupart des dyslexiques seraient aidés s'ils avaient leur « propre bibliothécaire» : un bibliothécaire connaissant les handicaps liés à la lecture, ayant à sa disposition des documents adaptés à ce groupe d'usagers. Conscients de ce besoin, nous invitons tous les lecteurs handicapés à venir rencontrer « leur bibliothécaire dans le département des services pour les lecteurs hors les murs », dans la bibliothèque principale, chaque mardi ou sur rendez-vous.

    Chacun est bienvenu et reçoit différentes sortes d'aide, surtout pour trouver la littérature souhaitée, mais aussi quelquefois pour être secondé dans la solution de problèmes divers, comme de savoir à qui s'adresser pour améliorer sa capacité de lire.

    La personne en charge des dyslexiques a besoin d'un large contact avec les autorités locales, les écoles et différentes institutions comme l'Association locale pour les dyslexiques pour être capable de rendre à l'usager des services pertinents.

    Mesures pour informer et attirer l'attention

    Pour attirer l'attention sur les handicaps à la lecture, nous avons fait récemment une campagne sur la dyslexie en coopération avec l'Association danoise des dyslexiques, un internat local pour jeunes handicapés, plusieurs autres organisations et institutions. Différents exposés (notamment par la Bibliothèque pour aveugles) et un « Coin kiosque » avec des stands pour environ dix organisations, plusieurs articles dans les journaux, ont mis l'accent sur la dyslexie et ont contribué à une compréhension et une acceptation bien meilleures des problèmes et besoins du lecteur handicapé. Naturellement, cette campagne a permis aux élus locaux de prendre conscience de ces problèmes.

    Une minute d'attention, s'il vous plaît

    Ne vous attendez pas à être envahis par des lecteurs handicapés quand vous leur ouvrez votre bibliothèque. En raison des nombreux échecs qu'ils ont subis spécialement pendant leur scolarité, beaucoup peuvent hésiter à entrer dans une bibliothèque publique. N'oubliez pas que pour de nombreux dyslexiques, entrer dans une bibliothèque présente une difficulté majeure. Il est important qu'ils soient encouragés et reçus de façon judicieuse, qu'ils trouvent des documents adaptés, qu'ils se sentent à l'aise. Si vous échouez, ne serait-ce qu'une seule fois, ils ne reviendront jamais.

    Relations publiques

    Il est nécessaire de mettre sur pied toute une politique de communication : articles et publicités dans la presse locale ou le périodique de l'Association dyslexique de votre région (si une telle association n'existe pas, pourquoi ne pas en créer une ?). Un dépliant indiquant ce que vous avez à offrir est le meilleur support de comunication.

    N'oubliez pas d'utiliser un langage facile à lire (phrases courtes, pas de mots trop difficiles) et des grands caractères. Mettez au point ces documents avec l'aide de spécialistes de la lecture. Enfin, tout document d'information s'adressant à de faibles lecteurs doit être disponible sur cassette.

    Invitation à une future cooperation

    L'Association européenne des dyslexiques (EDA), qui couvre environ trente pays et régions dans et en dehors de l'Europe, avait l'intention de lancer une campagne internationale en 1998-1999. Le thème retenu était Accès à l'information, une nécessité pour les dyslexiques » et les principaux partenaires devaient en être les bibliothèques publiques de nos pays membres.

    Malheureusement, cette campagne a dû être annulée pour raisons financières. Cependant, cette annulation n'exclut pas une future coopération entre EDA et les bibliothèques dans nos pays membres.

    Il est de la plus grande importance qu'un maximum d'organisations et de professions travaille à améliorer les conditions de l'information pour les personnes ayant des difficultés de lecture. Dans un tel réseau, les bibliothèques devraient naturellement jouer un rôle décisif.

    C'est mon espoir que notre atelier ait contribué à une meilleure compréhension de la dyslexie, de ses problèmes, de ce qui peut être fait pour faire exister cet important groupe de citoyens dans nos pays.

    Une façon efficace pour vous d'aider les personnes dyslexiques pourrait être d'initier une coopération entre votre bibliothèque et l'association des dyslexiques de votre région.

    Lors de ce congrès de l'IFLA, on parlera beaucoup d'information et du besoin d'être bien informé. L'information est le pilier des démocraties. L'égalité des droits dans une société signifie que les possibilités d'accès à l'information sont les mêmes pour tous. Malheureusement aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Devrions-nous entrer dans un nouveau millénaire sans avoir au moins essayé d'améliorer cette situation ?

    La coopération entre IFLA et l'Association européenne des dyslexiques pour préparer cet atelier a été très fructueuse et sera, je l'espère, le premier pas vers un futur travail commun pour l'accès à l'information pour tous. +