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    Comités d'usagers

    Le retour?

    Par Hugues Van Bésien, Réseau des médiathèques du syndicat d'agglomération nouvellede Soint-Quentin-en- Yvelines

    La participation des usagers au fonctionnement des bibliothèques de lecture publique a longtemps pesé sur leurs orientations : les usagers ont cogéré les bibliothèques à un degré inconnu dans la plupart des services publics, puisque cette participation a été institutionnalisée en fait jusqu'en 1945 et en droit jusqu'en 1986. De plus, des usagers ont souvent cogéré les bibliothèques avant qu'elles deviennent des services publics, et le passage en régie publique directe de même que la professionnalisation des services ont pu revêtir la forme d'une progressive émancipation de la bibliothèque et des bibliothécaires par rapport à la tutelle de ces usagers.

    Or, la participation de l'usager à la vie du service public est à l'ordre du jour dans le contexte général de réforme des administrations. Pour les services de l'État, la démarche est engagée depuis la circulaire Rocard et, pour les services publics en général, le mouvement procède à la fois du cadre national (développement de l'administration, des médiateurs) et du cadre local (plans d'accueil, chartes de qualité, etc.).

    La loi 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement de la coopération intercommunale (J.O.R. F. du 13 juillet 1999), dite loi Chevènement, institue par son article 43 la possibilité de créer :

    « [... des comités consultatifs sur toutes affaires d'intérêt intercommunal relevant de sa compétence sur tout ou partie du territoire communautaire. Les comités peuvent être consultés par le président sur toute question intéressant ou projet intéressant les services publics et équipements de proximité en rapport avec l'objet pour lequel ils ont été institués, et ils peuvent transmettre au président toute proposition concernant tout problème d'intérêt intercommunal en rapport avec le même objet.

    Ils comprennent toutes personnes désignées pour une année, en raison de leur représentativité ou de leur compétence, par l'organe délibérant, sur proposition du président, et notamment des représentants des associations locales. Ils sont présidés par un membre de l'organe délibérant désigné par le président. »

    De plus, elle institue obligatoirement un espace de concertation sous la forme de commissions d'usagers :

    « Dans les établissements publics de coopération intercommunale comprenant au moins une commune de 3 500 habitants ou plus, il est créé une commission consultative compétente pour un ou plusieurs services publics locaux exploités en régie ou dans le cadre d'une convention de gestion déléguée. Elle doit comprendre parmi ses membres des représentants d'associations d'usagers du ou des services concernés. Elle est présidée par le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent. »

    Comme plusieurs réseaux de lecture publique sont d'ores et déjà gérés par des établissements publics de coopération intercommunale et que de nombreux autres services de lecture sont en passe d'être transférés à ces nouvelles entités, leurs bibliothèques vont être confrontées à l'application de ce texte qui institutionnalise de façon globale la participation de l'usager au fonctionnement du service public.

    Il est clair que les associations d'usagers qui existent ici ou là ne correspondent pas aux commissions consultatives instituées par la loi, même si elles peuvent y siéger, puisque ces comités sont formés par la collectivité et présidés par son président.

    Par ailleurs, la loi ne précise pas le niveau de création des comités/commissions en question : l'établissement public de coopération intercommunal décide lui-même de les créer pour chaque service ou pour des ensembles de services. Dans la pratique, plusieurs cas de figure sont possibles. Selon que les établissements publics intercommunaux créeront ces commissions consultatives spécialisées et proches des services opérationnels ou à un niveau de délégation plus important, les commissions n'auront pas la même composition ni les mêmes opportunités et tentations...

    La création d'une commission générale pour l'ensemble des services publics de l'organe intercommunal est probablement la solution la plus positive. On peut penser que cette formule encourage la présence de représentations d'usagers issues des associations nationales de consommateurs (UFC, CSCV, CSF, UFCS, etc.), qui sont traditionnellement vigilantes sur les questions de tarifs, d'abus de pouvoir, d'horaires d'ouverture, ne poseront pas spontanément des questions propres au fonctionnement des bibliothèques (interventions dans les acquisitions...) et sont des interlocuteurs expérimentés et responsables, donc fiables pour les élus.

    On peut aussi présumer que ces commissions représentent potentiellement un moyen de pression en faveur des bibliothèques, puisqu'elles sont des services publics de masse, et que, finalement, la masse de leur public n'a jusqu'ici pas pesé autant qu'elle l'aurait dû, nationalement et localement, face à des lobbies peu nombreux mais bien organisés. Les questions touchant la bibliothèque seraient alors abordées d'abord sous l'angle des services rendus au public, et non sous celui de leur spécifité d'équipements culturels ; cette insertion dans la vie locale des services publics ne peut que produire des effets positifs pour l'insertion de la bibliothèque dans la vie quotidienne.

    La création de commissions reprenant les contours administratifs des grandes délégations organisées au sein de la collectivité (culture, vie scolaire, sports, services administratifs, voirie...), avec une délégation de la présidence de la commission au vice-président en charge du domaine concerné (que le texte ne prévoit pas explicitement), maintiendrait les bibliothèques de lecture publique dans le seul secteur culturel, où elles ne sont pas nécessairement en position de force, quand elles n'y sont pas victimes de tentatives de prises de contrôle de la part de courants de pensée divers.

    On voit mal, dans ce cas de figure, le même investissement des grandes associations nationales d'usagers ou de consommateurs, et les commissions risquent alors de se former à partir d'usagers autorisés (le terme de notable ne convient plus). Dans ce cas, et à plus forte raison dans celui de la création d'un comité d'usagers auprès de chaque service, donc d'un comité spécifique d'usagers des bibliothèques, l'intérêt du comité risque de porter moins sur le fonctionnement courant et sur le respect de droits que sur les « contenus » culturels.

    J'ai pu constater que la tentation de ressusciter ces comités de proximité était une récurrence du côté des élus et des responsables politiques, et pas forcément sur des postulats malintentionnés. Découvrant qu'au fond elles ne connaissaient rien à la façon dont s'effectuaient les acquisitions à propos des affaires des bibliothèques gérées par des municipalités FN, des collectivités assez nombreuses ont pensé à mettre en place ce type de conseil par précaution, et sans voir à quels risques de « noyautage », ou simplement de confiscation, elles s'exposaient, à une époque où des militants politiques vérifiaient listes en main le respect de leur conception du pluralisme dans les bibliothèques (1)

    Ces dérives sont d'ailleurs d'autant plus faciles qu'aucun texte ne donne vraiment la lettre de mission de ces comités. D'autres collectivités ont envisagé d'en créer parce qu'elles disposaient d'informations administratives erronées (il s'en publiait encore en 1999), ou appellent administrations et associations pour savoir comment constituer le conseil de la future bibliothèque...

    Mémoire et prudence s'imposent donc. Cependant, il existe une opportunité à saisir dans la reconnaissance de droits et de parole pour l'usager. Parce que nos usagers peuvent devenir notre force, mais aussi parce que le rôle des professionnels est insuffisamment défini ou reconnu, il convient de se préoccuper de la mise en place des commissions d'usagers, en faisant acte de suggestion sur leur niveau d'institution et sur les limites de leurs compétences, en faisant préventivement acte de transparence vers l'extérieur grâce à des documents cadres (chartes des collections, etc.) (2) qui bornent la part des uns et des autres...

    Règlement intérieur du public et règlement intérieur du personnel devraient également être revus à l'avance pour comporter non seulement des devoirs, mais aussi des droits pour l'usager : droit à une réponse dans certains délais dans les cahiers de suggestion, conditions de réponse aux demandes individuelles, confidentialité des données personnelles, délais d'information en cas de fermeture du service, etc.

    Notre histoire collective si méconnue à l'extérieur doit nous inciter à la vigilance. Mais, si la voix des usagers peut désormais s'entendre sur la base d'une véritable représentation, ou par le biais d'un contre-pouvoir disposant d'une certaine expertise, nous aurons peut-être gagné des appuis et des témoins dans nos relations extérieures parfois difficiles, trouvé des garanties pour un service public local plus efficace que des mesures nationales toujours différées.

    1. Bibliothèques ou conformothèques : enquête du Front nationa à l'été 1996 sur les collections des bibliothèques municipales, présentée à la presse le 7 novembre 1996. retour au texte

    2. Texte publié par l'ABF : « Acquisitions dans les bibliothèques de service public novembre 1998. retour au texte