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    Paul Poindron (1912-1980)

    Par Jean Bleton, Inspecteur général des Bibliothèques

    Nous sommes tous ici réunis ce soir, bouleversés par la nouvelle qui, telle une traînée de poudre, a atteint dans la journée un grand nombre de bibliothèques de France : la mort de M. POINDRON (1) .

    Cette nouvelle est trop récente, trop brutale pour que nous puissions mesurer le vide extraordinaire que sa disparition va créer. Comme beaucoup le savent, je suis de ceux qui l'ont approché le plus et le plus longtemps, puisque c'est en mars 1945 que j'avais été placé par Marcel Bouteron, le directeur des bibliothèques d'alors, sous ses ordres et que j'y suis resté jusqu'en 1972. Après cette date, ma vie d'inspecteur général a encore été vécue sans arrêt à ses côtés, en contact étroit et quasi permanent avec lui.

    Son oeuvre, au service des bibliothèques, aura été immense. Avec un peu de recul, on fera plus facilement le point et le bilan du travail qu'il a accompli à leur service durant plus de 45 ans. Dès 1935-1936, lorsqu'il entra à la Bibliothèque nationale après son diplôme de l'Ecole des Chartes, Julien Cain l'avait chargé d'un service d'achat de livres (à acquérir pour les bibliothèques publiques) sur des crédits de grands travaux débloqués par le gouvernement. C'est ainsi qu'il eut ses premiers contacts avec des bibliothécaires de province, ceux de Chalons-sur-Marne et de Nantes par exemple, je veux parler d'Henri Vendel et de Pierre Lelièvre. Durant la guerre il en eut d'autres comme secrétaire général de l'ABF, fonctions qu'il remplit de 1942 à 1945.

    Par ses capacités intellectuelles, sa mémoire, absolument fabuleuse, sa facilité à s'adapter à toutes les situations, les plus exceptionnelles comme les plus communes, il était vraiment de taille, dès le départ, à régler des problèmes, non à la dimension d'une bibliothèque, mais à celle du pays. Julien Cain, qui dès 1936 en avait fait un de ses collaborateurs, allait le retrouver, dix ans après, à la Direction des Bibliothèques et de la Lecture Publique où M. Bouteron et M. Lelièvre l'avaient appelé dès la libération de Paris, à la fin de 1944. C'est à lui que je dois ma première formation sur le plan administratif, le Service Technique auquel j'appartenais ayant à faire passer dans des formes administratives et juridiques ou par des conseils, écrits ou non, une « doctrine » en matière de bibliothèques, qu'il s'agisse de bibliothèques centrales de prêt, de bibliothèques municipales ou de bibliothèques universitaires. En quelques mots il savait définir la situation d'une bibliothèque donnée, deviner les problèmes qui se posaient à elle, trouver la réponse à une question, indiquer dans quel sens la formuler.

    Avec des vues prospectives sur des sujets qui rebutaient à cette époque nombre de bibliothécaires français, grâce aux relations de plus en plus nombreuses, souvent des amitiés, qu'il avait nouées avec des personnalités françaises et étrangères, il a été très vite dans des domaines qu'il connaissait bien, ou qu'il avait le souci de défricher s'il pensait ne pas les connaître assez bien, je pense en particulier à la bibliographie, à la photographie, à la normalisation, à l'informatique.

    Il a fait partie de ces bibliothécaires français qui ont pris très souvent le chemin de l'étranger, pour y représenter notre pays, prenant la parole à Londres, à Madrid, à Bruxelles, à Washington, à La Haye, à Rio de Janeiro, à Moscou, à Berlin, à Varsovie et ma liste est loin d'être complète, cela dans le cadre d'organisations internationales telle la FIAB - je me souviens notamment, m'y trouvant, de son élection, à Rome, en 1964, à la présidence de la commission FIAB pour la reprographie -, telle la FID - je rappelle qu'il a été conseiller et membre du bureau directeur de la FID durant des années -, telle l'ISO, où il présidait depuis longtemps la délégation française, avant d'être nommé président du Comité directeur pour l'année 1978-1979, tel le CIEPS, le Centre international d'enregistrement des publications en série, dont il était au sein du Conseil d'administration représentant de la France. Et j'ai conscience, en parlant de ses contributions à des organismes internationaux, de ne pas les citer tous.

    Sur le plan national, faut-il rappeler le rôle qu'il ajoué auprès de Julien Cain, puis de M. Dennery, lui aussi récemment décédé, puis de M. Groshens, comme avocat et défenseur des bibliothèques, le rôle qu'il a joué comme inspecteur général dans les académies et les régions dont il avait la charge, celles de Paris, d'Aix-Marseille, de Grenoble, de Nice, de Rennes et depuis peu de Strasbourg. En 1975, lorsque le découragement atteignait un grand nombre à la suite de la suppression de la Direction des Bibliothèques, il a fait front, presque seul, avec l'aide de moins d'une douzaine de collaborateurs, pour que soit reconnue, au sein du Ministère de la Culture, la place des bibliothèques publiques, la Direction du Livre n'ayant pris corps et vie qu'à partir de 1976 (2) .

    Je voudrais ajouter encore quelques mots sur l'homme, le collègue qu'a été pour moi M. Poindron. Durant les 35 ans que j'ai vécus près de lui, il n'est pas un jour où je n'ai senti, à travers ses propos, son action ou ses réactions, qu'une seule chose comptait, le bien des bibliothèques, la vie des bibliothèques, le bien et la vie du personnel qui y travaille. Parler d'un dévouement absolu à la cause des bibliothèques françaises n'est pas une exagération verbale, c'était une réalité. Je n'ose dire le nombre d'heures qu'il travaillait chaque jour pour elles, le nombre de week-ends qu'il leur a consacrés, je pourrais dire les vacances même, qui ne le coupaient jamais totalement d'elles, ses adjoints, ses collaborateurs sachant qu'on pouvait l'y joindre, l'y déranger. Il nous a quittés, faut-il le dire, victime de la passion qu'il a mis toute sa vie à servir les bibliothèques.

    L'ayant bien connu, ajouterais-je que derrière des réactions parfois vives se cachaient une bonté, un sens de la justice et de l'humain, une compréhension à l'égard des êtres, qui faisaient de lui un conseiller avisé auquel on n'hésitait pas à faire appel, d'autant plus qu'il se voulait disponible, accessible à tous et à tous moments.

    C'est un bibliothécaire et un administrateur exceptionnel, un collègue et pour certains d'entre nous un ami, sûr et fidèle, que nous avons perdu. Qu'il nous serve à tous d'exemple !

    1. Cet hommage a été prononcé, avec une intense émotion, quelques heures après avoir appris la nouvelle du décès de M. Poindron. L'auteur n'a pas cru devoir modifier ce qu'avait de personnel et de spontané les paroles prononcées devant les bibliothécaires conviés ce soir-là à entendre un compte-rendu des travaux du Congrès de la FIAB tenu en 1979 à Copenhague. retour au texte

    2. Dans le témoignage qu'il a rédigé quelques mois avant sa mort, en hommage à Henri Vendel, dans un ouvrage édité par la bibliothèque municipale de Chalons-sur-Marne (pp. 27-29) on verra combien il est resté attaché toute sa vie au développement de la lecture publique. retour au texte