L'on peut s'étonner, qu'aujourd'hui, les collections de la bibliothèque ne soient pas examinées d'un point de vue sociologique comme le sont les publics. Le développement de l'information et de sa gestion, dans et hors de la bibliothèque, pourrait être à l'origine de cette carence. L'apport de la sociologie de la connaissance apparaît d'autant plus pertinent qu'il permettrait de mieux comprendre les rapports que les publics entretiennent avec les collections de la bibliothèque : lieu de rassemblement des savoirs et de la connaissance.
Today, one might be amazed that library collections are not examined from the same sociological standpoint as their users. The development of information and its management, inside and outside the library, may be at the root of this deficiency. The contribution of the sociology of knowledge appears even more relevant because it would allow a better understanding of the relationship that the public maintains with library collections: an assembly of knowledge and learning.
Man kann sich darüber verwundern, daß heute die Bestände der Bibliotheken nicht aus soziologischer Sicht untersucht werden wie es bei den Benutzern geschieht. Die Entwicklung der Information und ihre Behandlung in und außerhalb der Bibliothek könnte der Grund für diesen Mangel sein. Der Beitrag der Soziologie des Wissens scheint hier umso wichtiger zu sein, weil er dazu beiträgt, die Beziehungen der Benutzer zu den Beständen der Bibliothek als ein Ort der Gelehrsamkeit und des Wissens besser zu verstehen.
L’homme a naturellement la passion de connaître. Aristote, Métaphysique
Le propos de cet article n’est pas de définir ou de redéfinir ce qu’est ou devrait être la bibliothéconomie du nouveau millénaire, ni même d’étudier en quoi elle serait une discipline si elle était autre chose qu’un ensemble de méthodes utilisées par le bibliothécaire pour faciliter, voire favoriser, la rencontre des publics et des collections de la bibliothèque. Il s’agit plutôt de s’interroger sur ce qui permet, dans la bibliothèque, de réfléchir à son action, de lui donner sens et d’en comprendre les effets.
Si les publics ont été, depuis quelques années, l’objet d’examen par la sociologie de la culture et particulièrement de la lecture, il n’en a pas été de même pour les collections. Certes, la réflexion sur les méthodes de constitution et de développement des collections s’est poursuivie, mais sans que soient pour autant clairement posées – ou reposées – quelques questions importantesBulletin des bibliothèques de France
, n° 6, 1997, p. 120-122)
La bibliothèque, depuis son origine, a partie liée avec les savoirs et la connaissance et l’on peut s’étonner qu’aujourd’hui, les collections de la bibliothèque – et l’accès à celles-ci – ne soient pas davantage examinées du point de vue d’une sociologie de la connaissance.
Avant de préciser quelle pourrait être la nature de cet apport, il paraît souhaitable de s’arrêter sur les motifs qui pourraient être à l’origine de cette carence.
Le développement de ce que l’on appelle communément information a conduit, semble-t-il, à une situation présentant aujourd’hui plusieurs aspects.
L’information proposée varie naturellement selon le type de bibliothèque. Elle est cependant caractérisée par un constant renouvellement qui actualise et valorise les savoirs
La gestion de cette information, éventuellement structurée en documentation, exige le recours à des techniques spécifiques modelées par les sciences et les techniques, parce qu’issues de leur propre développement
Or, cette évolution, qui se poursuit, est, semble-t-il, le signe d’une rupture avec une autre conception de la bibliothèque, qui considérait celle-ci comme la transposition dans l’espace d’une encyclopédie
Ce n’est pas le moindre des paradoxes de constater qu’au sein des collections de la bibliothèque, le développement des disciplines et leur degré accru de spécialisation ne s’accompagnent pas, corrélativement, d’une spécialisation disciplinaire plus grande du bibliothécaireBulletin des bibliothèques de France
, n° 3, 1992, p. 40-41.
La place accrue tenue par l’information, dans la société en général et dans la bibliothèque en particulier, n’a-t-elle pas encore été confortée par le succès de l’historicisme ? Celui-ci, sensible au caractère dynamique du monde, rejette toute possibilité de compréhension en dehors d’un processus historique particulier. Du même coup, une situation historique donnée détermine savoirs, connaissance et pensée
Associée à une sorte d’arraisonnement des contenus par les techniques documentaires, la conception historiciste semble favoriser la prise en compte de l’information dans la constitution des savoirs actuels et bloque, au-delà de l’accès à la connaissance, tout mouvement vers le sens et la compréhension.
S’il ne fait pas de doute que la bibliothèque liée à un établissement d’enseignement – école ou université – est un lieu de savoirs et de connaissance, elle est un lieu différent d’eux : la médiation proposée n’y est pas comparable à celle qui s’effectue dans la salle de cours.
Si, dans la bibliothèque de lecture publique, la relation aux savoirs et à la connaissance paraît être moins directe, elle est pourtant présente. D’abord parce que l’on sait que les publics des bibliothèques d’enseignement la fréquentent intensément, ensuite parce les motivations de venue d’autres publics peuvent être aussi liées aux savoirs et à la connaissance.
Ces évidents constats justifient la pertinence d’un examen de la bibliothèque par la sociologie de la connaissance. De surcroît, certaines collections de la bibliothèque qui, a priori, pourraient être décrites comme se situant pour une part à l’écart de la seule préoccupation d’un accès aux connaissances, n’en sont peut-être pas si éloignées. Selon Tzvetan Todorov, les textes littéraires eux-mêmes sont des formes d’accès à la connaissance. Ils ne sont pas que le lieu d’une esthétique. Tzvetan Todorov considère en effet que
Cette remarque peut être entendue comme une invitation à tenter d’abord d’établir, à partir des collections offertes par la bibliothèque, une typologie des objets, des formes et des modalités de connaissance
Elle invite, ensuite, à entendre le terme connaissance – celle-ci résultant de la mise en œuvre de procédés intellectuels agençant des savoirs – de manière extensive, en y incluant pensée et sens. Il s’agit alors de considérer la connaissance non seulement comme un processus explicatif, mais aussi compréhensif
L’analyse s’appuyant sur la sociologie de la connaissance peut enfin se consacrer à ce qui porte l’individu-lecteur vers la connaissance et la pensée, ce qui ne peut manquer d’intéresser le bibliothécaire. Si les motivations –
De manière plus générale, ces questions, qui pourraient être soumises à l’examen par la sociologie de la connaissance, revêtent aujourd’hui une grande importance. En effet, la démocratisation de l’enseignement dans les sociétés contemporaines – bien qu’on puisse l’estimer insuffisante – modifie l’enjeu, politique et social, que constitue l’accès aux savoirs et à la connaissance, entendue largement. Il y a déjà plusieurs années, Richard Hoggart soulignait que
Ces observations restent d’autant plus pertinentes que le mouvement de démocratisation de l’enseignement s’est accéléré ces dernières décennies et davantage encore sur le continent qu’en Grande-Bretagne. Les effets occultants de la démocratisation de l’enseignement, soulignés par Hoggart, ont sans nul doute une dimension idéologique.
Autrement dit, l’accès aux savoirs, à la connaissance, qui se présente comme en voie d’être résolu, n’est en fait que masqué. La valorisation de la connaissance au détriment de la pensée, la valorisation des savoirs, par l’information, au détriment de la connaissance que l’on perçoit aujourd’hui ont pour effet sinon de désamorcer, tout au moins de réduire, toute possibilité critique chez ceux à qui cette information est proposée. Ne peut-on pas faire l’hypothèse, en suivant Hoggart, que la valorisation de l’information constitue une construction idéologique qui, en tant que telle, a pour fonction le maintien de la division sociale ?
Aussi, le recours à la sociologie de la connaissance apparaîtrait hautement souhaitable pour mieux comprendre les rapports que les publics entretiennent avec les collections de la bibliothèque – y compris sur de nouveaux supports faisant appel aux techniques les plus récentes –, les usages qui en sont faits et leurs effets sociaux, mais aussi pour élucider et soumettre à la critique les mécanismes idéologiques à l’œuvre. Le recours à la sociologie de la connaissance placerait ainsi la bibliothèque dans un champ d’interrogation élargi.
Décembre 1997