Le congrès annuel de l’Association des bibliothécaires français (abf), qui s’est déroulé à Bourges du 15 au 18 mai, avait, cette année, pour thème le
En avant-première, un préséminaire à Blois a réuni plusieurs intervenants de bibliothèques de lecture publique qui ont débattu des réactions des bibliothécaires – en tant qu’utilisateurs et acteurs – face à l’informatisation et à la société du multimédia. Pour surmonter le vertige créé par des changements multiples et perpétuels – on change d’interlocuteurs, de contexte, de techniques… –, il devient urgent d’organiser des formations à l’intégration des technologies nouvelles.
Parallèlement, se tenait à Bourges une demi-journée sur l’évolution des profils professionnels.
Avant d’aborder le cas particulier des bibliothécaires, Élisabeth Dugué, chercheur au Conservatoire national des arts et métiers et Philippe Mouton, de l’Observatoire de la Fonction publique territoriale, ont fait part d’expériences concernant le développement social urbain (dsu). Dans l’étude qu’ils ont faite, ils ont choisi de mettre en relation le système du travail et celui de la formation, afin de définir des ensembles pertinents pouvant servir à élaborer une formation adaptée. Ainsi ont-ils cherché à déterminer si tous les professionnels du dsu occupent leur poste de la même façon, et si leurs cheminements antérieurs sont reconnus en termes de statuts.
L’étude a permis de distinguer deux groupes de professionnels, qui se caractérisent soit par une pratique de terrain, soit par une pratique institutionnelle. Ceci implique une formation initiale différente, les uns ayant une formation de travailleurs sociaux, les autres de technocrates, souvent titulaires dans ce cas d’un dess. Ces observations ont amené les auteurs de l’étude à se poser plusieurs questions : faut-il homogénéiser la formation ou en multiplier les aspects en fonction des demandes, quel statut faut-il donner à ces professionnels… ?
Tout autre est la situation des bibliothécaires, dont le corps fut créé en janvier 1992 et pour qui il y eut d’abord un statut, dans lequel sont apparues petit à petit de nouvelles fonctions. à côté des tâches traditionnelles telles que gestion des périodiques, service public, indexation… Ces dernières, si elles continuent d’exister, se font cependant de façon différente, souligne Bertrand Calenge, directeur de l’Institut de formation des bibliothécairesbbf
, 1997, n° 6, p. 40-51.
Malaise, mal-être, tension, c’est le climat dépeint par Jacqueline Levy-Benichou, directeur de la Bibliothèque départementale de prêt de l’Essonne et Dominique Meier, consultant en ressources humaines, confrontés au cas concret d’une bibliothèque privée de directeur pendant cinq ans et où il s’est agi de redessiner des relations de travail. Une mission d’accompagnement au changement a donc été entreprise, pour laquelle il a été fait appel à un consultant extérieur, qui a adapté les logiques du secteur privé à celles du secteur public.
Quelques principes essentiels ont été énoncés : seul un projet collectif peut permettre à une bibliothèque de se remettre en marche. Un projet, dans lequel la définition des objectifs à atteindre et des missions et tâches de chacun constitue une première étape. Un projet réaliste, accepté par tous, évalué en continu et qui ne génère aucun bouleversement majeur. Un projet enfin, où la formation joue un rôle important.
Le samedi, le colloque proprement dit commençait, introduit par le maire de Bourges, Serge Lepeltier, conscient que les bibliothécaires ne peuvent être acteurs du changement qu’avec l’appui, financier notamment, des élus locaux :
Les changements, on le sait, ne concernent pas que les bibliothèques et les bibliothécaires. Jean Lissarague, président du Centre français du droit de copie, fit une analyse pertinente des mutations dans la production de l’écrit en France. C’est, tout d’abord, le rapport du lecteur avec le livre qui a évolué. Si, il y a quarante ans on avait l’habitude d’acheter les livres et de les conserver dans sa bibliothèque personnelle, allant jusqu’à les faire relier, aujourd’hui, le lecteur éprouve beaucoup moins ce désir de conserver les livres achetés. L’exemple le plus flagrant concerne les livres de classe : prêtés désormais en primaire et au collège, s’ils sont achetés, au lycée, c’est pour être revendus l’année suivante. Le besoin du lecteur s’est transformé et cette tendance va continuer, accentuée par le développement des nouvelles technologies.
La situation fragile actuelle de l’édition est due aussi au fait, que l’on a tendance, à tort, à considérer le livre comme un ensemble homogène, alors qu’il y aurait des analyses spécifiques à faire, que ce soit sur le livre scolaire ou les ouvrages de vulgarisation…
La production de livres a, continua Jean Lissarague, deux caractéristiques fortes : elle se mondialise – l’exemple le plus frappant étant celui de l’éditeur allemand Bertelsmann – et elle se spécialise : les éditeurs ne raisonnent plus en termes de produit, mais en termes de marché. Là encore les nouvelles technologies vont accélérer ces évolutions. Or, les éditeurs français ne sont ni assez spécialisés, ni assez internationaux, ni assez rentables pour être en position forte et ils courent le risque d’être rachetés par des éditeurs étrangers, à moins qu’ils ne réfléchissent ensemble et rapidement aux mesures à prendre.
La place de la bibliothèque dans l’espace public, c’est ce qu’Anne-Marie Bertrand a cherché à définir s’appuyant, dans un brillant exposé, tant sur des références littéraires que sur des citations de professionnels ou d’hommes politiques.
Tout d’abord, la place de la bibliothèque est paradoxale : elle est une institution politique, mais elle n’est pas reconnue comme telle. Politique, la bibliothèque publique l’est par les objectifs qu’elle poursuit et les moyens qu’elle met en œuvre. Logée dans un bâtiment public, elle est un lieu unique, rassembleur, unificateur.
Si l’on compare la bibliothèque publique à d’autres institutions comme l’école, on constate que les mêmes attentes pèsent sur elles, à savoir la défense des valeurs républicaines. Dans la bibliothèque, cela passe par la démocratisation de la lecture et des usages. Cependant, on ressent une profonde ambiguïté dans son rapport avec le monde éducatif, tout comme avec le monde politique. Si l’on est conscient de son rôle politique, on ne lui confère ni les moyens d’action, ni les protections, ni les pouvoirs, auxquels toute institution politique peut prétendre. L’augmentation de la fréquentation des bibliothèques en fait un enjeu politique visible, que certains hommes politiques ont bien compris, qui exercent des pressions à leur encontre – et les exemples ne manquent pas actuellement –, alors que l’école est protégée de ce genre d’intrusions.
Le moyen pour que la bibliothèque reste un espace public, pour qu’elle ne devienne pas un espace marchand soumis à la loi du marché est, conclut Anne-Marie Bertrand
Concevoir l’avenir : programmer, évaluer pour évoluer ? Isabelle Redlak, programmiste à la société Setek, a déjà plusieurs expériences de programmation de bibliothèques : bibliothèque municipale à vocation régionale de Reims, bibliothèque municipale et universitaire de Clermont-Ferrand, bibliothèque universitaire de Dijon. La programmation, passage indispensable à la construction ou à la rénovation d’une bibliothèque, est un processus continu, où interviennent le maître d’ouvrage, le programmiste, le concepteur, le réalisateur et les usagers, destinataires du bâtiment. C’est un travail où la notion d’équipe intervient donc et qui nécessite du temps et des moyens. Exprimant les attentes et les besoins et aidant au dialogue entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre, la programmation intervient dès l’idée même du projet et se prolonge jusqu’à la mise en service du bâtiment.
Les propos d’Isabelle Redlak ont été illustrés par l’expérience de Jean-Claude Annezer, directeur du service commun de la documentation de Toulouse-Le Mirail. La nouvelle construction en était, au mois de mai, à l’avant-projet détaillé. Même s’il n’y a pas de méthode ou de modèle de programmation, il est important, insiste Jean-Claude Annezer,
La matinée du lundi était consacrée, comme c’est désormais la tradition, aux exposés des administrations centrales et du Conseil supérieur des bibliothèques.
Représentant la direction de l’enseignement supérieur, Claude Jolly a démontré, chiffres à l’appui, comment, dix ans après le
Véronique Chatenay-Dolto, au nom de la Direction du livre et de la lecture, présentait de manière détaillée les initiatives du ministère de la Culture dans le double contexte de la décentralisation et de la déconcentration, en particulier dans les domaines de l’aménagement du territoire, du développement de la lecture et des ressources électroniques. C’était aussi l’occasion pour elle de donner des informations très attendues sur la maturation d’un projet de loi sur les bibliothèques et d’annoncer le début d’une série de concertations avec les partenaires interministériels et associatifs (dont bien sûr l’abf). Cette loi, destinée à asseoir la légitimité des interventions de l’État dans ses diverses interventions, pourrait embrasser les domaines suivants : identité et missions des bibliothèques publiques, vocation des bibliothèques à coopérer entre elles, postes de direction exclusivement confiés à des professionnels formés, renforcement du contrôle technique et scientifique de l’État et du rôle de l’Inspection générale des bibliothèques, meilleure adaptation des aides de l’État, rénovation du statut des bibliothèques détentrices du patrimoine et des textes concernant ce patrimoine.
Le Président du Conseil supérieur des bibliothèques, Jean-Claude Groshens, fondait son exposé sur l’affirmation centrale du