Signe parmi d’autres de la « judiciarisation » croissante de nos sociétés (et, s’agissant de la création artistique, d’une inquiétante crispation morale), l’édition subit, comme d’autres professions, une pression croissante des juges et se trouve aujourd’hui menacée d’être empêchée de faire librement son métier. Les nombreuses affaires qui ont défrayé la chronique ces dernières années, telles que les procès à répétition contre le livre d’Antoine Gaudino,
Les effets ? Ils sont d’abord économiques. Les lourdes condamnations pécuniaires, les astreintes multiples, les décisions conduisant à l’interruption forcée de l’exploitation d’un titre, sont des armes redoutables. Les juges qui prononcent de telles peines sont-ils conscients qu’elles peuvent menacer jusqu’à l’existence de beaucoup de maisons d’édition, dont l’équilibre économique, comme chacun sait, est extrêmement fragile ? Dans un plaidoyer à la fois précis et mesuré – le rôle des magistrats et le fonctionnement de la justice, en l’espèce, ne sont pas mis en cause –, les auteurs du livre font valoir la nécessité de proportionner les peines au préjudice subi par les plaignants, en particulier, dans les affaires jugées au civil, pour le calcul des dommages et intérêts. Revenir à cette règle d’appréciation ne serait après tout, comme ils le soulignent, que respecter un principe de base de la responsabilité civile.
Les auteurs soulignent aussi le caractère inadapté de beaucoup de peines, dans un secteur comme celui de l’édition : apposer un autocollant, insérer un correctif, modifier tous les exemplaires d’un tirage, alors que le livre est déjà chez les libraires, sont des opérations coûteuses. De surcroît, leur exécution même scrupuleuse ne garantit pas l’éditeur contre de nouvelles infractions, dès lors que le livre vendu ne lui appartient plus et qu’il n’a donc aucun moyen de contrainte d’en récupérer tous les exemplaires.
Pour asseoir le plaidoyer, le livre blanc prend le soin de présenter la structure économique du monde de l’édition, de souligner la fragilité d’un secteur où, malgré la présence écrasante de quelques poids lourds, dominent les petites entreprises, marquées par une culture plus artisanale qu’industrielle. La présentation, cependant, ne se limite pas à l’aspect économique, tant s’en faut. Car de nombreux signes font craindre par ailleurs une intervention de plus en plus fréquente du juge sur un autre terrain, celui de la liberté d’expression, quand ce n’est pas, hélas, sur celui du goût ou de l’esthétique.
À cet égard, l’offensive
Il y a aussi, rançon de l’évolution récente du droit de la communication et de l’extension du droit à l’image, l’atteinte à la vie privée, dont l’appréciation n’est pas moins subjective. Enfin, les prétoires voient à nouveau (car il faut rappeler des temps pas si anciens, et qu’on ne souhaite pas voir revenir, où c’était monnaie courante) des condamnations pour des satires, des caricatures, telles que ces genres sont aujourd’hui à manier avec d’extrêmes précautions, ce qui, on en conviendra, est bien le comble de l’absurde.
Le dernier chapitre du mémoire en défense des éditeurs concerne leur responsabilité. L’évolution de la jurisprudence, marquée par l’instabilité et l’imprévisibilité, fait ressortir de plus en plus l’insécurité juridique dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui. Le cas de la prescription, dont les conditions sont aujourd’hui moins favorables à l’édition qu’à Internet, et celui de la responsabilité en matière de contrefaçon, illustrent bien la difficulté dans laquelle ils se débattent.
Espérant convaincre, les rédacteurs du livre blanc concluent ce plaidoyer par une série de propositions qu’il ne me semble pas inutile de reprendre ici :
– modérer le montant des condamnations pécuniaires ;
– appliquer la règle du non-cumul des peines, pour garantir la proportionnalité à l’atteinte ;
– limiter les mesures de suppression d’extraits d’ouvrages ou de suspension de commercialisation, coûteuses, quand elles ne sont pas mortelles pour l’ouvrage ;
– aménager certaines peines ;
– assouplir certaines règles relatives aux délits de presse, en matière de bonne foi par exemple, au titre du respect de la liberté d’expression et du droit à l’information, ou en matière de prescription ;
– assouplir certaines règles relatives à la contrefaçon : limiter la durée de prescription, dégager la responsabilité de l’éditeur en matière de plagiat, si sa bonne foi est manifeste, enfin admettre comme référence unique la base Électre pour la recherche sur l’antériorité des titres.
On le voit, le