Voici la nouvelle édition du « repère » des éditions La Découverte consacré à la sociologie de la lectureBBF
, 2004, no 3,
À première vue, ce parti pris est légitime. La plupart des données présentées dans l’ouvrage conservent toute leur pertinence, notamment les nombreuses données historiques, et nous sommes par ailleurs dans l’attente des résultats de la prochaine enquête Pratique culturelles des Français – en cours actuellement – qui devrait permettre d’affiner le diagnostic sur les évolutions récentes des pratiques de lecture des Français
Il reste que l’ouvrage qui, comme je le disais déjà dans ma première recension, voit grand (la lecture est envisagée sur le plan historique, pédagogique, sociologique : du point de vue de la consommation et de la réception), délaisse quelque peu certaines voies actuelles de la recherche qui permettent pourtant de caractériser les pratiques actuelles et les pratiques émergentes : à savoir les recherches sur l’évolution des pratiques de lecture des jeunes (des enfants jusqu’aux jeunes adultesLes loisirs culturels des 6-14 ans
, La Documentation française, 2004).
À l’heure où la France enregistre à nouveau des résultats plus que moyens en termes de performances scolaires (voir les conclusions récentes de l’enquête internationale Pisa), il serait bon également aujourd’hui de revenir sur l’analyse statistique comparée des taux de pratique de lecture non contrainte en Europe (lectures non scolaires et non professionnelles) réalisée par Eurostat en 2003, et qui placent l’Hexagone sous la moyenne européenne ; même si fréquentation et taux d’inscrits en bibliothèque municipale ont augmenté en moyenne de 1997 à 2005 (voir la synthèse de Bruno Maresca du CrédocLes Bibliothèques municipales en France après le tournant internet : attractivité, fréquentation et devenir
, Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2007. Voir, dans ce numéro, les comptes rendus rédigés par Dominique Peignet et Anne-Marie Bertrand.
On frôlerait la dépression culturelle, enfin, si l’on poursuivait cette revue d’ensemble, ce que ne fait pas la nouvelle édition de Sociologie de la lecture
, par les travaux pilotés par l’Insee sur les difficultés de lecture et de compréhension des textes des Français âgés de 18 à 65 ans
Quoi qu’il en soit, comme le soulignent justement les auteurs, il faut rappeler que les pratiques de lecture sont éminemment diverses – polymorphes, comme le notait Jean-Claude Passeron – et en voie d’expansion. Le modèle de la lecture savante ne s’est pas imposé et ce sont surtout des pratiques de lectures « ordinaires » qui se diffusent dans la société française. Au temps long du livre, et notamment de la lecture romanesque, se substituent les temps courts et segmentés des lectures d’extraits, de coupures, les saisies en diagonale…
Toutefois, lorsqu’on y regarde de plus près, on trouve encore facilement aujourd’hui des lecteurs exigeants, que les livres de plus de 200 pages ne rebutent pas. Je ne pense pas ici aux millions de lecteurs du petit sorcier à lunettes qui, par une magie que la sociologie empirique est en mesure d’expliquer, ont dévoré plusieurs milliers de pages, mais aux lecteurs assidus de romans policiers qu’Annie Collovald et Erik Neveu ont interrogés longuementLire le noir : enquête sur les lecteurs de récits policiers
, Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2004.
Ces dernières ont par ailleurs le bon goût de faire figurer dans leur bibliographie le livre de Pierre Bayard que tout lecteur et tout médiateur du livre et de la littérature pourraient avoir intérêt à lire : Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?
Bref, pour conclure, une réédition importante, en dépit de certains petits manques, et dont profiteront surtout ceux (lecteurs pressés, contraints, et lecteurs attentifs, disposés à aller plus loin en explorant les pistes proposées en bibliographie) qui n’ont pas lu la première édition ou qui ne la possèdent pas.