Après avoir donné quelques indications sur la situation du livre au Pérou, l’auteur présente celle de la Bibliothèque nationale du Pérou et des bibliothèques publiques, et s’intéresse à deux grandes bibliothèques universitaires correspondant à deux modèles d’universités très différents. Il aborde enfin la question des bibliothécaires péruviens, de leur image et de leur formation.
After a brief introduction looking at the place of books in Peruvian society, the author presents the National Library of Peru and the country’s public library network. He then takes a closer look at two major university libraries in two very different types of university, before concluding with a study of the image and training of librarians in Peru.
Der Autor stellt, nachdem er einige Hinweise zur Buchsituation in Peru gegeben hat, jene der peruanischen Nationalbibliothek und der öffentlichen Bibliotheken vor und interessiert sich für zwei große Universitätsbibliotheken, die zwei sehr unterschiedlichen Universitätsmodellen entsprechen. Zuletzt ist die Rede von den peruanischen Bibliothekaren, ihrem Berufsbild und ihrer Ausbildung.
Después de haber dado algunas indicaciones sobre la situación del libro en Perú, el autor presenta la de la Biblioteca nacional del Perú y de las bibliotecas públicas, y se interesa en dos grandes bibliotecas universitarias que corresponden a dos modelos de universidades muy diferentes. El autor aborda finalmente la cuestión de los bibliotecarios peruanos, de su imagen y de su formación.
Le Pérou compte près de vingt-huit millions d’habitants – dont huit à Lima –, présente un niveau de développement parmi les plus bas d’Amérique latine, se caractérise par une géographie physique et humaine très hétérogène (
Cette question, qui fournit la trame du présent article, appelle une note liminaire sur l’information dont on dispose pour y répondre. L’auteur anonyme d’un essai sur Le livre au Pérou dans la décennie 1995-2005 indique que l’inscription au registre de l’agence péruvienne de l’ISBN (créée en 1995) ne s’est imposée dans la pratique des éditeurs qu’à partir de 2003-2004, ce qui oblige à « El libro en el Perú : evolución y diagnóstico
, 1995-2005, Lima, Promolibro, 2006, p. 9.
On donnera d’abord quelques indications sur la situation du livre au Pérou. On s’intéressera ensuite à la fois à la Bibliothèque nationale et aux bibliothèques publiques (la première étant considérée comme la plus importante des secondes). Enfin, on présentera deux grandes bibliothèques universitaires correspondant à deux modèles d’université.
Le Pérou a adopté en 2003 une « loi du livre », sur le modèle de la loi-type de GuayaquilInfobib : revista de bibliotecología
, 3 (2004), p. 33-48, ici p. 42.
Le marché péruvien du livre est marqué par de nombreuses faiblesses, qui ne sont pas sans incidence sur le travail des bibliothèques. D’une part, la demande sociale est difficile à mesurer. Le taux d’alphabétisation, qui tourne autour de 90 %, ne saurait être tenu pour un indicateur des pratiques de lecture. Or, les résultats apparemment positifs de l’enquête menée par la BN entre 2001 et 2004 ne résistent pas à la critique
Un cycle vertueux a toutefois été amorcé par l’entrée sur le marché du livre des groupes de presse, qui, forts de leurs réseaux de distribution, publient des éditions à prix abordable de « classiques » au succès assuré (Vargas Llosa, Bryce Echenique, García Márquez, Coehlo...), et par le développement des éditions institutionnelles, notamment universitaires. La dernière foire internationale du livre de Lima (juillet 2007) affichait une augmentation de 7 % du nombre de visiteurs et de 14 % du volume des ventes par rapport à l’année précédente
Au demeurant, plus de la moitié des librairies sont à Lima, la quasi-totalité des librairies indépendantes étant concentrée dans les quartiers huppés de Miraflorès et San Isidro. On doit d’autant plus saluer le travail de l’association Libros Peruanos, qui assure et publie en ligne une veille bibliographique, joue (dans l’ombre) un rôle d’intermédiaire entre la plupart des acteurs du livre, pallie par la vente à distance l’absence de librairies dans l’intérieur du pays, réunit des ressources documentaires autour des problèmes de lecture publique, etc.
Exactement un mois après avoir proclamé l’indépendance du Pérou, José de San Martín, le 28 août 1821, créa à partir de sa collection personnelle «
Quoi qu’il en soit, le tournant du xxie siècle (1992-2006) fut pour elle un moment de réforme. Comme ailleurs, celle-ci passait d’abord par la construction d’un nouveau bâtiment : dotée depuis 2006 d’un nouveau siège, la BNP est sans doute la seule bibliothèque nationale à disposer... d’une piscine olympique. Ce raccourci, provocateur, résume assez bien l’écart qu’il y a entre les effets d’annonce et les réformes structurelles. Il est trop tôt, en réalité, pour prendre la mesure de ce que sera la Bibliothèque nationale au xxie siècle, car la répartition des tâches et des fonctions entre le nouveau siège de l’avenue Javier-Prado et le vieux local de l’avenue Abancay est encore inconnue (sans parler des six annexes liméniennes). Le fait qu’Abancay (dont les collections sont depuis longtemps dépassées) ait été rebaptisé « Biblioteca pública de Lima » suggère une volonté de conférer au nouveau centre, situé en face du Museo de la Nación, une dimension plus nationale, via des campagnes médiatiques
La BNP abrite aussi, depuis 1984, les services du Réseau national de bibliothèques (Sistema nacional de bibliotecas, SNB), réseau qui reste à construire. Alors que le SNB est encore perçu loin de la capitale comme la « Bibliothèque nationale de Lima », les conventions signées (appui logistique et scientifique de la BNP aux bibliothèques municipales, collaboration de ces dernières dans la collecte des exemplaires du dépôt légal envoyés à Lima) sont souvent en sommeil, et les projets de catalogues communs en ligne demeurent inachevés. En 2004, seules 5 % des bibliothèques scolaires et un tiers des bibliothèques publiques avaient signé un accord avec le SNB. Celui-ci, toutefois, a récemment obtenu que les bibliothèques soient prises en compte dans le formulaire remis par chaque collectivité territoriale à l’institut statistique national. C’est là une avancée prometteuse pour la connaissance des bibliothèques péruviennes, même si, dans le rapport de 2006 (pour l’année 2004), n’y sont traitées que deux informations : la superficie du local et la moyenne mensuelle du nombre d’usagers (cette dernière valeur méritant précaution)
Si l’on excepte la BNP, les premiers véritables développements de la lecture publique remontent au dernier quart du xixe siècleLa Biblioteca Nacional del Perú y las bibliotecas públicas municipales : avances y perspectivas, tesis para el titulo de licenciado en bibliotecologia (UNMSM)
, Lima, 2002, p. 28-36.Origen y nacimiento de la biblioteca universitaria en San Marcos (1871-1906)
», à paraître.
Les bibliothèques publiques connurent ensuite une impulsion sous l’ère de Basadre. Outre la création du Fondo San Martin (1947) – qui se révéla en fin de compte un échec, celui-ci ayant surtout financé la nouvelle Bibliothèque nationale – puis d’un organisme de coordination (1956), il faut signaler l’inauguration en 1956 de la bibliothèque publique du Callao (ville attenante à Lima). Celle-ci, dotée d’un bibliobus et baptisée « bibliothèque pilote » avait vocation à constituer un modèle pour l’Amérique latine et à attirer le regard de l’étranger. De fait, l’Unesco et la fondation Rockfeller lui apportèrent leur appui, avant qu’elle n’entre en déclin après la mort de Basadre. Les années 1980-2000 furent pour les bibliothèques publiques comme pour le pays entier des années sombres, dont certaines collections de périodiques gardent d’ailleurs une trace : les pages de journal arrachées parce qu’elles contenaient de l’information dérangeante. C’est à cette époque pourtant que des « lois organiques sur les municipalités » mentionnent l’obligation pour les collectivités locales de développer des bibliothèques. Le caractère non contraignant de la prescription et la faible légimitation sociale de l’institution empêchèrent toute réalisation d’importance. Quelle est la situation au début du xxie siècle ?
S’en tenant ici à une démarche empirique, on répartira les bibliothèques publiques en trois groupes : les bibliothèques des grandes villes de province, celles des arrondissements riches de Lima, celles situées en zone rurale (rares) et urbano-marginale.
Une comparaison permet de dessiner les contours d’une équipe idéale typique travaillant dans une bibliothèque de capitale provinciale. Relevant d’une sous-direction de la municipalité (à Cuzco : la « gerencia » de la culture, de l’éducation, du tourisme et de l’environnement), le directeur est une figure intellectuelle de la notabilité locale proche de la mouvance occupant l’hôtel de ville (son poste entrant dans la catégorie dite des « charges de confiance » dont les responsables sont nommés à la discrétion du maire). Une quinzaine d’agents municipaux font fonctionner l’établissement. Ils ont appris le métier sur le tas, car aucune bibliothèque publique, hors de Lima, n’emploie de personnel diplômé (en partie à cause de l’absence de formation bibliothécologique en province). Or, les formations dispensées par la BNP dans le cadre des accords du SNB sont rares et courtes, et la question de savoir qui de l’État ou de la collectivité doit les financer reste souvent en suspens. C’est pourquoi les bibliothécaires « convaincus » se plaignent d’un déficit de professionnalisation. Quelques-uns, à l’occasion de la réunion à Cuzco du premier congrès national des bibliothèques publiques (avril 2006), ont demandé « aux liméniens » (San Marcos, la Católica, la BNP) de mettre en place un site internet de formation à distance – rien n’a depuis été réalisé en ce sens.
Le principal handicap de ces bibliothèques tient cependant à l’immaturité des formes de gestion publique au Pérou. À Cajamarca
Le public de ces bibliothèques est divers, même si on y rencontre beaucoup d’écoliers et d’étudiants venant travailler, et de retraités lisant la presse. Leurs collections (environ 18 500 livres à Cajamarca, 40 000 à Cuzco et Aréquipa) sont très majoritairement constituées par des dons (plus anecdotiquement par le « troc ») provenant de bibliothèques personnelles, d’exemplaires fournis par les auteurs, du désherbage provenant de la BNP (même si cela n’est pas présenté ainsi) et de l’étranger (notamment d’Espagne). Entre janvier et juin 2007, 320 livres sont ainsi entrés dans le fonds de la bibliothèque de Cuzco, dont l’écrasante majorité est en complet décalage avec les besoins documentaires de la population – on n’y trouve pas, par exemple, d’édition récente du code civil péruvien. Dans ce triste tableau, il est possible que la dématérialisation du livre joue en faveur de ce type de bibliothèque : celle de Cuzco a tenté l’expérience d’abonnements électroniques (E-libro, Infrotrac) lui permettant pour un prix fixe (environ 25 000 soles par an) de fournir un accès à des collections numérisées plus grandes (environ 250 000 livres) et plus actualisées que ne pourrait jamais être – en l’état actuel des choses – sa collection matérielle
La bibliothèque Ricardo-Palma, dans l’arrondissement emblématique de Miraflorès, reçoit un fort appui de sa mairie. La directrice collabore avec trois professionnels diplômés et cinq assistants. Sans surprise dans ce quartier international et bourgeois, le modèle managérial est ici celui de l’entreprise et de l’appel aux ressources du secteur privé, comme dans le cas de l’informatisation de la bibliothèque qui fut permise par une mise à disposition gracieuse de l’auditorium du centre culturel. Si l’essentiel des collections (environ 40 000 livres) provient encore de dons, la bibliothèque dispose d’un confortable budget d’acquisition, et jouit des « donations » effectuées chaque année par la Chambre péruvienne du livre (les éditeurs) à l’occasion de l’importante foire du livre qu’elle organise à Miraflorès. Elle publie depuis 1999 un catalogue en ligne, constitue une collection de dossiers de presse, organise des expositions bibliographiques, conserve un patrimoine photographique, a – comme la BNP – une salle « jeunesse » et – un peu de « social » ne faisant pas de mal – une annexe réservée aux employés d’un marché. La bibliothèque Ricardo-Palma est à l’heure des réseaux, elle pilote depuis 2003 le projet Punku (« porte » en quechua) de « consortium des bibliothèques de Miraflorès » qui vise à établir une collaboration entre sept bibliothèques spécialisées (dont celle de l’Institut français d’études andines, une des meilleures bibliothèques de recherche du pays).
On compte sur les doigts de la main les bibliothèques comparables à celle de Miraflorès (San Isidro, Surco). Même la vieille bibliothèque du quartier riche et bourgeois-bohème de Barranco, privée de direction depuis longtemps, est en état de léthargie. La municipalité métropolitaine de Lima, quant à elle, possède une importante bibliothèque de recherche, mais pas de salle de lecture publique.
Surtout, les bibliothèques localisées dans les
Ce paysage bibliothécaire, bien qu’hétérogène, demeure rudimentaire : les bibliothèques, largement orientées vers une mission de diffusion de la lecture chez les enfants, sont encore loin de fournir l’« information citoyenne » indispensable à la populationBiblios
, 5 (2000). En ligne :
S’il est vrai qu’un fort clivage entre institutions publiques et établissements privés caractérise l’offre universitaire péruvienne, celui-ci n’est pas le point de départ le plus pertinent d’une observation des bibliothèques universitaires. Car il faut distinguer, parmi les premières, entre quelques universités prestigieuses essentiellement concentrées à Lima (San Marcos, l’UNI où se forment les ingénieurs, l’Agraria) et une kyrielle de petites universités provinciales dont la majorité sont réputées être d’un faible niveau académique
L’Université nationale majeure de San Marcos (UNMSM, ou San Marcos) s’enorgueillit d’être la plus ancienne du continent américain. On y entre sur concours mais les droits d’inscription sont très bas. Les étudiants proviennent donc des couches inférieures et moyennes de la société. Cette université a une réputation très contrastée : prestigieuse aux yeux d’une opinion peu au fait des réalités de l’enseignement supérieur, d’aucuns jugent que son archaïsme gâche le potentiel des étudiants. À l’opposé, la Católica présente des airs de campus nord-américain. La plus ancienne université privée du pays
Contrairement à ce qu’auraient souhaité certains Sanmarquinos, aucune des bibliothèques de l’UNMSM ne remonte au xvie siècleRBM : A journal of Rare Books, Manuscripts and Cultural Heritage
, 6/2 (automne 2005), p. 108-123, disponible en ligne :
La bibliothèque centrale, la seule à disposer d’un véritable budget d’acquisition
Mais le développement de l’offre documentaire demeure entravé par plusieurs handicaps structurels. La complexité administrative du fonctionnement quotidien des organismes publics péruviens gêne notamment les acquisitions : l’assimilation des livres à des bien immobiliers, et sans doute la hantise du détournement de fonds, pèsent sur la procédure d’achat et empêchent de facto tout achat à l’étranger. Dès lors, les acquisitions de la bibliothèque sont dictées par les catalogues des libraires locaux (et on a vu les faiblesses du marché du livre péruvien), ce qui interdit toute réelle politique documentaire.
Un autre problème tient à une forte tradition facultaire, à laquelle se superposent de violentes luttes de pouvoir qui, opposant personnes et factions, freinent la synergie au sein de l’université. D’où la précarité du réseau (sistema) de trente bibliothèques dont la Pedro-Zulen est théoriquement le centre. Rares sont les facultés qui ont accepté d’intégrer leurs bibliothèques au catalogue commun. Or, si l’on se tourne vers ces bibliothèques, le paysage n’est pas reluisant. Celle de la faculté de médecine, une des plus importantes en termes de surface, de personnel et de lecteurs, n’a acheté aucun document pour l’année 2006, à l’instar des bibliothèques d’odontologie, de pharmacie, de mécanique des fluides (toutes spécialisées dans des domaines où la bibliographie se renouvelle vite). En outre, si la conservation des mémoires et thèses fait partie de leurs missions, force est de constater que son accomplissement est inégal : l’importante faculté des sciences administratives n’en conserve que quarante-sept, tandis qu’une collection de thèses d’éducation physique du début du xxe siècle, qui aurait eu toute sa place à la Réserve de la bibliothèque centrale, a été récemment jetée – de quoi faire frémir les historiens du corps... L’éclatement des fonds, aggravé par l’absence de catalogue commun, induit gâchis de travail (catalogage répété) et coûts (doublons, achats de licences).
La principale fonction des bibliothèques de faculté demeure sans doute le service de prêt, qui prend une dimension particulière du fait de la collaboration tacite des bibliothèques et des officines de reprographie, lesquelles, installées au sein de chaque faculté, jouent un rôle important dans la vie universitaire
À quelques minutes du campus sanmarquinien, le réseau de bibliothèques de la Católica est, lui, une réalité. Y sont présentes neuf bibliothèques, mais les procédures d’achats, de catalogage, d’informatisation et de services au public y sont prises en charge par des départements centralisés. Le bâtiment actuel de la bibliothèque centrale étant jugé obsolète, un projet est à l’étude : la construction d’un second édifice permettrait de franchir une étape supplémentaire dans la concentration des moyens, puisque ne resteraient sur le campus que deux bibliothèques (un pôle « littéraire » et un pôle « scientifique »).
Même si l’on ne considère que la bibliothèque centrale, on est frappé du décalage avec San Marcos. Le personnel travaille dans des conditions meilleures (salaires, stabilité, atmosphère) et est plus qualifié : tandis qu’à San Marcos, dix-huit bibliothécaires pilotent une masse « salariale » incluant plus de 180 étudiants dits « boursiers » (ce statut correspond à l’obtention d’un job d’étudiant payé environ 30 euros par mois...), la bibliothèque de la Católica emploie une trentaine de bibliothécaires pour un total de 160 employés – suffisamment pour faire de la formation des usagers. Si le volume des collections est sensiblement égal, la Católica dépense environ 600 000 dollars par an pour accroître les siennes, la moitié de cette somme étant affectée aux périodiques (papier, électroniques). Cela en fait sans doute la seule BU du pays dont les collections soient peu ou prou actualisées (elle n’a en revanche pas de fonds patrimonial important). Mais c’est sans doute à la périphérie de la bibliothèque qu’on mesure le mieux tout l’écart entre la principale université publique et la principale université privée du Pérou, en l’occurrence la documentation audiovisuelle (dont la demande est notamment forte de la part des facultés de communication et d’art). La première a une salle audiovisuelle, la seconde un département, avec à sa tête un bibliothécaire diplômé. À San Marcos, la collection, qui compte surtout des cassettes, se constitue exclusivement à partir de dons ; la Católica dépense 10 000 dollars par an pour acheter des cassettes et DVD, met en place une banque d’images pour les enseignants et les étudiants et propose des répertoires de liens. On ne prête qu’aux riches.
Disons, avant de conclure, un mot des bibliothécaires péruviens. L’image du bibliothécaire est, dans les représentations sociales, aussi bonne que floue. Souvent mal distingué de l’érudit, il jouit notamment de l’aura d’une figure du Panthéon national, Jorge Basadre (1903-1980), qui fut à la fois le grand historien et le grand bibliothécaire du Pérou. Selon un découpage mémoriel souvent répété, Basadre (fondateur en 1943 de l’École nationale de bibliothécaires) et ses disciples formèrent la « génération héroïque » des bibliothécaires, composée d’individus issus de la bourgeoisie créole liménienne qui considéraient leur tâche comme un apostolat. Pour l’anecdote : Basadre, bon patriote, demanda à un disciple de « péruaniser » Dewey, et ainsi naquit la décimale Tabla Perú, parfois encore utilisée.
La deuxième génération, en rupture avec la précédente et contemporaine de la difficile incorporation de l’École à la faculté des lettres de l’université de San Marcos, fut celle de la professionnalisation et des premières luttes syndicales : la bibliothèque n’était plus une mission mais une administration. La génération actuellement en poste, et dont certains des représentants les plus éminents sont professeurs, se définit elle-même comme une « génération rhétorique ». Il est vrai que, jadis confrontée aux heures sombres de la violence politiqueLetras
, 109-110 (2005), p. 109-125.
Il n’existe aujourd’hui que deux filières « bibliothécologiques » (il faut comprendre sous cette appellation l’ensemble des filières documentaires et bibliothéconomiques) : celle de l’Université catholique, jadis créée à l’instigation d’entreprises britanniques désireuses de constituer un vivier de documentalistes, est moribonde du fait du petit nombre d’inscrits (le salaire moyen garanti par le diplôme ne justifiant pas l’important investissement que constitue l’inscription dans cette établissement). La filière publique en revanche se porte bien, réunissant 16 % des inscrits à la faculté des lettres en 2006 – ce qui s’explique par une certaine sûreté de la recherche du premier emploi dans cette branche.
Le cursus dure cinq ans (dont une année propédeutique commune à tous les élèves de la faculté), et comprend une gamme d’enseignements techniques (catalogage), pratiques (gestion de projet), théoriques (sur la lecture), réflexifs (« développement et information »)... Si la régularité et la qualité des cours sont parfois critiquées, il est important de noter une relative diversité sociale des élèves bibliothécaires. Mais, en l’absence de bourses d’études, la majorité des étudiants ne peuvent aller jusqu'à l'obtention de leur « titre » universitaire (la Letras
, 113-114, Lima, 2007 p. 1-9.Revista de Biblioteconomia de Brasilia
, Brasilia, 23-24/3 (1999-2000), p. 309-328, ici p. 312.
Ajoutons que les tableaux comparatifs que l’auteur présente placent systématiquement le Pérou en queue des pays latino-américains. Outre l’absence de formation de niveau master ou doctorat, la faiblesse du niveau académique transparaît encore dans celle de la majorité des revues, même si l’apparition d’une blogosphère (encore limitée) et l’ouverture internationale de la revue électronique Biblios
De fait, si des progrès ont été réalisés ces dernières années dans le domaine des bibliothèques, ils concernent surtout le milieu le plus privilégié ou se situent encore majoritairement dans l’ordre du discours (ce qui n’est pas négligeable). La transformation de la Bibliothèque nationale, la concrétisation du SNB, la poursuite du développement des BU publiques, l’amélioration de l’accès au livre dans les zones marginales appartiennent encore au futur. Sont-elles possibles sans l’émergence d’un État péruvien ? Le bibliothécaire ne peut que constater, en attendant, les criantes inégalités dans l’accès à l’information.