Le congrès de l’Association des directeurs des bibliothèques municipales et intercommunales des grandes villes de France se tenait cette année 2008 à Orléans. Pour la désormais traditionnelle journée d’étude qui suit l’assemblée générale de l’association, les organisateurs avaient choisi, sous un titre un peu provocateur, de confronter la réflexion théorique sur les missions des bibliothèques et l’analyse de l’expérience.
Ouvrant les débats, Michel Marion et Marie-Claude Sullerot (respectivement directeur et directrice adjointe), sont ainsi revenus sur l’histoire de la bibliothèque municipale d’Orléans, pour montrer comment une bibliothèque patrimoniale très ancienne et très illustre, aux missions fixées par l’Histoire, avait vécu et assimilé la « révolution » provoquée par l’ouverture en 1994 d’une médiathèque ultramoderne, dans un climat fortement polémique et sans garantie aucune de succès BBF
, 1996, no 5, p. 25-30.
Ces nouveaux publics, le sociologue Claude Poissenot a invité la salle à les saisir dans leur réalité. «
L’énergie communicative de Lise Bissonnette, présidente de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, a fait passer sur la salle un souffle mobilisateur, à défaut de lui rendre son optimisme. La remarquable réalisation montréalaise, dont le succès tient quasiment du prodige (400 000 abonnés, 10 000 à 13 000 entrées par jour), montre le pouvoir d’attraction des bibliothèques contemporaines
Pour autant, le succès peut cacher les risques de dérives : en mutant de leurs missions culturelles traditionnelles vers des missions sociales élargies, ne risquent-elles pas, comme c’est le cas aux États-Unis, de sacrifier la culture à l’information et à n’importe quelle activité, dès lors qu’elle a un caractère social ? En réponse à une remarque de François Marin (BM de Saint-Étienne), rappelant que l’offre très diversifiée des bibliothèques nord-américaines, sociale, civique, éducative, économique, est distribuée en France ailleurs que dans les bibliothèques, et que celles-ci occupent essentiellement le champ culturel, Lise Bissonnette invite pourtant à une prise en compte de ces demandes au sein même de la bibliothèque, dès lors que celle-ci est devenue «
Celles-ci, dans le paysage numérique et dématérialisé d’aujourd’hui, peuvent se concrétiser dans des projets construits autour d’internet et des services à distance. Frédéric Burgot (ville de Brest) a donné l’exemple, pour sa ville, des Papi, points d’accès à internet, et du Wiki-Brest
En décrivant « un dimanche après-midi aux Champs libres », Bénédicte Gornouvel (Rennes) a donné un autre exemple, après celui de Montréal, de l’incontestable succès des grandes bibliothèques ouvertes dans les villes françaises ces vingt dernières années comme autant de lieux privilégiés du lien social, de l’accès au savoir et du partage culturel. L’ouverture dominicale attire un public neuf. Les conditions pour ouvrir ne sont pas simples, de la négociation des régimes indemnitaires aux casse-têtes des plannings. Mais le jeu en vaut la chandelle, puisqu’au bout du compte, c’est l’insertion de l’établissement dans le tissu social et urbain qui s’en trouve renforcée.
Prolongeant les interventions, la table ronde modérée par Patrick Bazin (Lyon) se proposait de définir « la fonction de direction au service d’une bibliothèque à dimension sociale » : si la mission de diffusion de la culture est encapsulée dans des missions plus larges et plus diverses, que doit être un directeur de bibliothèque ? Jean-François Jacques (Paris) plaide pour une diversification des compétences. Delphine Quéreux-Sbai (Reims) invite à se positionner clairement dans le rôle nouveau de la bibliothèque, au cœur du champ social. Gilles Gudin de Vallerin (Montpellier, président de l’ADBGV) relève la complexité croissante des métiers, et la nécessité de l’ancrage territorial.
Message relayé par Thierry Ermakoff (Enssib), qui insiste sur la convergence de ces métiers, et appelle les professionnels à transmettre leur expérience aux responsables de demain. Quelles bibliothèques piloteront-ils dans le futur ? La synthèse conclusive de Michel Melot n’était ni optimiste ni pessimiste. Pour construire la bibliothèque du futur, la sagesse du bibliothécaire doit concilier innovation et pragmatisme.