Ce livre s’inscrit dans la lignée des traités qui fleurissent dans les catalogues de nombre d’éditeurs (Village mondial, Dunod…) et qui entendent présenter un ensemble de techniques et de pratiques liés à l’analyse et l’approche du marché. Force est de constater que Le marketing du livre
remplit cet objectif en un peu plus de 150 pages : il s’agit d’un ouvrage complet, n’occultant aucun des aspects de l’étude marketing et présentant ses applications de façon riche et précise à l’aide d’exemples et d’entretiens souvent fort pertinents.
Ce livre s’inscrit en cela parfaitement dans les objectifs de la collection « Pratiques éditoriales » qui sont, ainsi qu’il est dit en quatrième de couverture, de proposer «
De plus, et chose rare, il n’est pas fait d’impasse sur les diverses utilisations de cette pensée et sur les motivations parfois troubles qui peuvent présider à la commande d’une étude. Outre le besoin de « tester » un produit, d’évaluer l’évolution des attentes du consommateur vis-à-vis du catalogue de la maison ou d’envisager de nouveaux axes de développement, il est ainsi fait mention de la volonté moins avouable de «
On retrouve la même volonté en ce qui concerne les éléments d’« aide à la décision » : les différents types d’étude (marketing, quantitative, qualitative) font l’objet d’un chapitre et sont présentés dans le détail. L’évocation des différents procédés de collecte, tri et synthèse d’informations, met en évidence la spécificité de chaque méthode et l’éclairage qu’elle est susceptible d’apporter au commanditaire de l’étude. Le chapitre qui clôt l’ouvrage, « Comment tirer parti des résultats d’une étude », permet de mettre ces analyses en perspective et montre quel parti tirer d’une adhésion favorable, « segmentée » ou défavorable au projet évalué. Nous sommes donc face à un livre pratique soucieux de présenter de manière claire et intelligente les enjeux et modalités d’un ensemble de techniques : sur ce point, cet ouvrage est sans aucun doute susceptible d’informer de façon judicieuse nombre d’étudiants et de professionnels des métiers du livre.
Le sérieux de ce travail ne permet toutefois pas de masquer le problème fondamental qu’il soulève mais ne pose jamais vraiment : existe-t-il un marketing « du livre » ou un marketing tout court ? Quelles sont les spécificités, et impasses, de l’approche des marchés de ce produit si particulier qu’est le livre ? Les auteurs semblent prendre bien soin de ne jamais s’engager dans semblables interrogations et proposent plus simplement de considérer que la notion de marché ne doit pas être hégémonique : «
Éviter le débat ne permet pas pour autant de le clore et les questions que nous posons ci-dessus restent entières, d’où un malaise perceptible dès le sommaire où, parmi des titres très généraux (« Qu’est-ce que le marketing ? », « Les études marketing »…), les termes « livre » et « lecteur » n’apparaissent jamais. Cette entrée en matière est à la mesure de la place conférée au livre dans ce petit ouvrage : il est quasiment toujours présent sous forme d’exemples ou d’entretiens, volontiers précédé d’un pictogramme. Le livre a valeur d’illustration et d’application et nous ne sommes pas tant face à un « marketing du livre » qu’à un « marketing dans le monde du livre », à une discipline tentant de s’inscrire dans le champ de l’activité éditoriale. D’où une difficulté évidente à prendre la mesure d’une variété et d’une diversité : le livre scolaire est abondamment cité et, dans une moindre mesure, les ouvrages parascolaires, universitaires et « pratiques », alors que la littérature (à l’exception des productions des éditions Harlequin), les essais et documents ou les sciences humaines sont laissés de côté. Les auteurs s’expliquent d’ailleurs fort brièvement sur ce point : le livre «
Une louable déclaration d’intention, réconcilier création et marketing, voire art et argent, aboutit ainsi à une impasse : il y aurait deux disciplines différentes correspondant à deux productions différentes (œuvres d’art ou non). La conclusion entérine cet état de fait
Semblable insuffisance s’explique sans doute en grande partie par le format et la destination (c’est-à-dire par le marketing) de cet ouvrage, mais il n’empêche que les auteurs auraient sans doute gagné à aller piocher exemples et réflexions dans les écrits d’Hubert Nyssen (L’éditeur et son double
, Actes Sud) ou de Robert Laffont (Une si longue quête
, Anne Carrière). En effet, il est une réalité qu’ils négligent totalement : celle des éditeurs qui, sans avoir recours à des études, développent une véritable sensibilité à l’égard du marché et de la valeur qu’acquiert aux yeux de ses acheteurs cet objet qu’est le livre. Les auteurs se contentent d’évoquer le « bricolage » auquel se livrent les éditeurs et de déclarer que ceux-ci font souvent du marketing « sans le savoir » (p. 135), au lieu de poser le problème du « flair » de l’éditeur, de cette capacité à se représenter ce qui ne peut être que fort imparfaitement quantifié. C’est pourtant sur une telle roublardise, sur cette pratique audacieuse de l’édition, qu’il est peut-être possible d’asseoir le marketing qu’ils appellent de leurs vœux, et de prendre la mesure, comme l’écrit -Edmond Buchet, de cet « Les auteurs de ma vie ou Ma vie d’éditeur
, Buchet-Chastel, 1969, p. 11.