La Bibliothèque numérique de Roubaix (bn-r) est la partie émergée d’un « iceberg » composé des ressources patrimoniales des principaux équipements culturels de la ville : la médiathèque, les archives, le musée et le conservatoire. Bien que de conception récente, elle permet la réalisation d’un projet d’inspiration bien plus ancienne, qui prévoyait déjà la mise en commun et la valorisation des éléments du patrimoine local - ou comment les initiatives de nos devanciers du XIXe siècle en faveur du rapprochement des équipements culturels, poursuivies et réalisées au XXIe siècle, demeurent résolument d’actualité.
The Roubaix digital library is the tip of the iceberg of heritage resources offered by the town’s principal cultural institutions: the multimedia library, archives, museum, and conservatoire. While it was only planned recently, it nonetheless represents the fruition of a much older project to bring together institutions representing the local heritage as a way of promoting their holdings. The article looks back at the nineteenth-century forerunners who first planned to bring these cultural institutions together – a project that is still underway and that remains highly relevant in the twenty-first century.
Die digitale Bibliothek Roubaix (bn-r) ist der herausragende Teil eines Eisbergs, der aus Ressourcen des Kulturguts der wichtigsten kulturellen Einrichtungen der Stadt zusammengesetzt ist: der Mediathek, der Archive, des Museums und des Konservatoriums. Obwohl ganz neu konzipiert, ermöglicht sie die Umsetzung eines mehr als alten Inspirationsprojekts, das bereits die Zusammenlegung und die Aufwertung der Bestandteile des lokalen Kulturerbes vorsah – oder wie die Unternehmungen unserer Vorgänger des 19. Jahrhunderts zu Gunsten der Annäherung der kulturellen Einrichtungen, die im 21. Jahrhundert weiterverfolgt und realisiert wurden, bewusst aktuell bleiben.
La Biblioteca digital de Roubaix (bn-r) es la parte emergente de un “iceberg” compuesto de recursos patrimoniales de los principales equipamientos culturales de la ciudad: la mediateca, los archivos, el museo y el conservatorio. A pesar de su concepción reciente, ella permite la realización de un proyecto de inspiración mucho más antigua, que preveía ya la puesta en común y la valorización de los elementos del patrimonio local – o cómo las iniciativas de nuestros predecesores del siglo 19 en favor de un acercamiento de los equipamientos culturales, proseguidos y realizados en el siglo 21, permanecen resueltamente de actualidad.
Rapprocher les équipements culturels municipaux n’est pas une idée neuve à Roubaix. Longtemps, le sort de la bibliothèque, des archives et du musée furent liés et, après s’être éloignés au gré de diverses péripéties, ces institutions se retrouvent aujourd’hui à travers des projets communs, au sein d’espaces partagés, réels et virtuels.
Commençons par rendre hommage à notre illustre devancier, Théodore Leuridan (1819 – 1900), lequel se présentait dans son Histoire de Roubaix
Histoire de Roubaix : 1860-1864
, 5 volumes (vol. 1 et 2 :
Chacune des institutions culturelles de la ville de Roubaix connut successivement gloires et déboires. La bibliothèque et le musée furent cédés par convention à l’État en 1882 pour permettre l’installation d’une école nationale d’ingénieurs textiles sur le territoire roubaisien. La convention stipulait dans son article 2 que « La bibliothèque de l’École nationale supérieure des arts et industries textiles de Roubaix, 1886-1890
, Roubaix, archives municipales, RIII AB 1 (mémoire de maîtrise d’histoire de l’art, université de Lille 3, 1986).
Celles du musée s’en trouvèrent à leur aise pour un temps. Le bâtiment qui les abritait désormais leur offrait des conditions de visite et de conservation sensiblement améliorées, en conséquence de quoi elles s’enrichirent grâce à de nombreux dons et d’importantes attributions de l’État La Piscine Musée d’art et d’industrie de Roubaix
, 2001, p. 45-56.
Ce ne fut pas le cas pour celles de la bibliothèque. Mélangées avec les documents propres aux enseignements dispensés dans cette école, les collections originelles de la bibliothèque municipale furent négligées. Quoi qu’il en soit, le sort de ces institutions était lié. Le lieu qui les hébergeait dut fermer à la veille de la Seconde Guerre mondiale, les collections furent au mieux oubliées, au pire pillées et vandalisées pendant près de quarante ans.
En 1959, un nouvel équipement de lecture publique – « populaire » disait-on alors – voit le jour. Il était temps. Privés de bibliothèque pendant soixante-dix ans, les Roubaisiens l’investirent en nombre et se l’approprièrent. Le succès fut tel que la direction générale des bibliothèques présentait la bibliothèque de Roubaix comme un modèle et évoquait la possibilité de la faire classer Histoire des bibliothèques françaises. Les bibliothèques de la Révolution et du XIXe siècle : 1789-1914
, Promodis/Éd. du Cercle de la librairie, 1992, p. 446.
Le musée pour sa part dut attendre plus longtemps, mais finalement la patience paya. Une partie du fonds fut entreposée dans un local de l’hôtel de ville ; le reste des collections, d’origine et de provenance diverses, enrichies par la suite par des achats et des dons, fut dispersé. Les œuvres ne disposaient pas de conditions dignes d’exposition et de conservation.
L’idée de réunir les éléments préservés de ces fonds se fait jour au début des années 1980. Le lieu est trouvé : l’ancienne piscine municipale ; cet exceptionnel bâtiment art déco construit entre 1927 et 1932 par l’architecte Albert Baert, fermé en 1985 pour des raisons de sécurité, sera réhabilité par Jean-Paul Philippon pour devenir « Roubaix La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent », dont le succès depuis son ouverture en 2001 ne se dément pas Journal des arts
du 9 juin 2008.
Ainsi, les deux équipements culturels roubaisiens s’installent durablement chacun dans leurs quartiers, chacun à distance des archives conservées et consultables au sein de l’hôtel de ville.
Les retrouvailles seront scientifiques, technologiques, culturelles et numériques enfin. Elles permettent aux équipements de rester en contact, d’interagir, de partager leurs savoir-faire et leurs compétences, les uns au service des autres.
Au cours des années 1990, le microfilmage de la presse locale ancienne Un siècle de presse roubaisienne : 1829-1914
, Roubaix, Médiathèque de Roubaix, 2004.
La réalisation la plus aboutie reste cependant la Bibliothèque numérique de Roubaix (bn-r). Entre la première évocation de ce projet en 2004 et le choix final du nom du site : B
La bn-r naît d’un regret : il manque un outil qui rassemblerait les ressources locales patrimoniales dispersées dans les équipements culturels de la ville. Elle naît aussi d’un espoir : faire mieux connaître le passé roubaisien, amarrer la mémoire locale, permettre de comprendre et d’apprécier le caractère spécifique et l’identité de la ville. Durablement marquée par le développement de l’industrie au XIXe siècle, Roubaix affronte une crise majeure à partir des années 1960 et connaît depuis de profondes mutations et des projets de reconversion aussi variés qu’ambitieux, notamment à travers son dynamisme culturel et la mise en valeur de son patrimoine
Le projet voit le jour dans un contexte favorable. La médiathèque vient de se réinformatiser et envisage de créer un site internet pour permettre la consultation de son catalogue et de quelques informations pratiques. Parallèlement, les seules collections déjà numérisées de la médiathèque, trois manuscrits à peinture du XVe siècle Heures d’Isabeau de Roubaix
, ms. 1460, parchemin, 191 feuillets, 18 peintures ; Oraisons de Saint Augustin
, ms. XVe siècle, parchemin, 62 feuillets, 8 miniatures ; Heures à l’usage des filles de Saint Augustin, du Couvent Sainte Élisabeth à Roubaix
, ms., parchemin, XVIe siècle, 102 feuillets, 2 peintures. Ces manuscrits sont accessibles sur le site de la Bibliothèque numérique de Roubaix : www.bn-r.fr
Alors, voyons grand ! Si la médiathèque peut enrichir le site qu’elle prévoit de construire à partir de ses collections patrimoniales numérisées, pourquoi ne pas envisager d’y présenter également les éléments du patrimoine local dispersés non seulement dans les équipements municipaux – musée, archives, conservatoire –, mais encore chez certains particuliers, dont les collections nous font, nous, professionnels, parfois pâlir d’envie, et enfin tout ce que l’on peut trouver dans les institutions des villes ou collectivités voisines. Somme toute, un projet généreux, puisque la médiathèque propose à partir de son expertise d’offrir une vitrine à un corpus documentaire éclaté mais dont la cohérence n’est pas à démontrer.
Encore faut-il trouver les moyens. La municipalité de Roubaix, résolument engagée dans la lutte contre la fracture numérique, de même que le ministère de la Culture et de la Communication, qui soutient activement les projets de numérisation, vont garantir les moyens financiers pour permettre la création de cette interface numérique. Il faut alors trouver des réponses d’ordre technique et pratique pour organiser la future Bibliothèque numérique de Roubaix. Or, en 2005, rares sont encore les réalisations de même nature abouties, et sur lesquelles prendre exemple. C’est finalement une bonne chose, car la bibliothèque numérique y gagnera en personnalité et en originalité.
Les deux années qui précèdent la mise en ligne vont être activement consacrées à la désignation des acteurs, à la définition du périmètre documentaire, aux choix scientifiques et techniques (définition des formats de numérisation, structure de la base de données, possibilité d’importer et d’exporter les données, langage documentaire…), au lancement d’une consultation et au choix d’un prestataire
Formation à la description documentaire d’abord. Pour des bibliothécaires, rompus à l’exercice, faut-il s’en étonner ? Non, car la construction de la bn-r nous oblige à nous aventurer vers des territoires inconnus : la norme ISAD(G)
Au sein de chaque équipement, un ou plusieurs référents s’emploient donc activement à construire le contenu de la bn-r, numérisation et description, de manière à offrir un ensemble au volume conséquent et attrayant à l’outil, dont le lancement est prévu en 2008.
Dès le début, l’ambition est de présenter les collections numérisées de manière à permettre une navigation simple et intuitive. Les accès de recherche prévus porteront sur des thèmes ou des sujets, et il sera également possible de naviguer dans les collections à partir d’accès géographiques sur un plan de Roubaix et chronologiques sur une frise remontant du Moyen Âge jusqu’à nos jours. Enfin, les collections de chaque partenaire seront interrogeables spécifiquement.
Le référencement fait également l’objet d’une attention toute particulière, car la valorisation de la bibliothèque numérique de Roubaix en dépend. En effet, il ne suffit pas de publier des ressources sur internet pour que le public en ait connaissance. Aussi, le soin apporté à la construction du site, les stratégies de mutualisation avec d’autres bibliothèques numériques (notamment grâce au respect du protocole OAI-PMH Le protocole OAI et ses usages en bibliothèque
, Ministère de la Culture et de la Communication, 2005. En ligne : www.culture.gouv.fr/culture/dll/OAI-PMH.htm
Inaugurée en 2008 avec 16 000 images numérisées et référencées, la bn-r en propose aujourd’hui près de 50 000 et ne compte pas s’arrêter là. Elle a fait l’objet depuis son lancement de plusieurs réajustements, notamment dans l’affichage des collections, pour permettre une meilleure visibilité des arborescences induites par le référencement. Elle intègre également ce que nos collègues archivistes appellent des « instruments de recherche », ou des inventaires très détaillés de fonds d’archives privées
Demain le patrimoine : 13es Journées des Pôles associés et de la coopération
, 7 et 8 octobre 2010, Bibliothèque nationale de France, co-organisée par la bibliothèque municipale de Lille et la direction régionale des affaires culturelles du Nord-Pas-de-Calais.
En 2010, une enquête des publics de la bn-r révèle, entre autres, que les moins de 19 ans accèdent très peu à cette base ressource, plus connue des amateurs d’histoire et des professionnels, alors même que son ambition première était d’attirer, aussi, le grand public : habitants, curieux, touristes.
Les actions de valorisation seront mises en place dans les années à venir. Là encore, un travail isolé manquerait de pertinence. Les intérêts du service « Ville d’art et d’histoire » et de la bn-r se rejoignent bien évidemment. Les dimensions pédagogiques et d’animation du patrimoine de ce label incitent les équipes à travailler ensemble afin de faire parler l’histoire locale, de la faire vivre. La création d’outils éditoriaux tels que l’exposition virtuelle sur le canal de Roubaix marque le début d’une coopération intéressante
Les corpus numérisés encore à publier sur la bn-r concernent le service des archives (registres d’état civil et de catholicité, registres de dénombrement, actes de concession du cimetière municipal…), le patrimoine musical local enregistré et noté – en lien avec le conservatoire de Roubaix (un autre partenaire) –, et la presse ancienne de Roubaix et de Tourcoing : près de 400 000 images numérisées dans le cadre d’un partenariat avec la bibliothèque municipale de Tourcoing – ainsi, les confluences dépassent même les frontières des territoires administratifs.
La rencontre des équipements et de leurs collections et la confrontation des pratiques professionnelles à travers ces initiatives ont fait naître des envies, envies qui n’ont pas tardé à prendre forme en termes d’organisation.
Les archives municipales n’ont pas vraiment profité de la dynamique des autres équipements culturels municipaux. Le projet municipal de faire l’acquisition d’un bâtiment contigu à la médiathèque pour permettre, d’une part, l’extension de cette dernière et, d’autre part, le déménagement des archives municipales, trop à l’étroit dans les sous-sols de l’hôtel de ville, aurait pu donner sens au projet de rapprochement entre ces services, et aurait permis de le matérialiser. Hélas, la crise est passée par là, et, s’il n’est plus question de rapprochement physique, provisoirement (?), la ville de Roubaix ayant renoncé à son projet d’achat, les deux services ont pourtant sort lié. Les archives municipales dépendent depuis 2010 de l’organigramme de la médiathèque, et les pôles Patrimoine, Informatique et Projets de numérisation de ladite médiathèque travaillent déjà très étroitement avec le service des archives. Ce rapprochement est bénéfique aux deux entités autrefois séparées. Du point de vue de la rationalisation et de la mutualisation des pratiques professionnelles d’abord, du point de vue des collections ensuite – collections dont la gestion partagée est la garantie de meilleures conditions de référencement –, de conservation et de valorisation enfin.
À Roubaix, ville d’art et d’histoire, le rapprochement des institutions culturelles s’est construit autour du document, autour du patrimoine, et dans le cadre de différents projets. Musée et médiathèque unissent leurs forces pour cataloguer leurs fonds, archives et médiathèque réunies forment des plans pour partager leurs expertises et leurs publics, et tous ces équipements (et d’autres encore !) alimentent la plate-forme commune : la Bibliothèque numérique de Roubaix, pour offrir au plus grand nombre, grâce à la numérisation et à la mise en ligne, un accès à leurs collections patrimoniales. Ainsi, la boucle est bouclée, confluences et synergies sont mises en œuvre dans ces projets aux multiples ramifications, et hommage est rendu à Théodore Leuridan ainsi qu’à ses successeurs
Mai 2011