Dans cet entretien, Alain Fernex, ancien vice-président de l’université Grenoble 2, revient sur les impacts de la loi LRU sur les politiques documentaires : de la place institutionnelle du directeur de SCD à la diversité des universités, des conditions de travail des étudiants aux services nouveaux à inventer pour les chercheurs, un large panorama est dressé qui ouvre sur l’avenir des BU, leurs fonctions au sein d’une pédagogie renouvelée et leur évolution vers le modèle de Learning Center.
An interview with Alain Fernex, former vice-president of the Université Grenoble 2, discussing the impact of the recent LRU law on university reform on document management policies. The interview covers a wide range of issues, from the university library director’s role in the institution to diversity within universities and from working conditions for students to coming up with innovative new services for researchers. It also looks forward to the future of university libraries, their place in new approaches to teaching, and the shift towards the Learning Centre model.
In diesem Gespräch kommt Alain Fernex, ehemaliger Vizepräsident der Universität Grenoble 2, auf die Einflüsse des Hochschulgesetzes LRU (Gesetz für die Freiheit und die Verantwortlichkeit der Universitäten) auf die Dokumentationspolitik zurück: von der institutionellen Stellung des Leiters der Universitätsbibliothek zur Vielfalt der Universitäten, von den Arbeitsbedingungen der Studenten bis zu den einzurichtenden neuen Diensten für die Forscher. Es wird ein breites Panorama, das sich der Zukunft der Universitätsbibliotheken, ihren Funktionen innerhalb einer erneuerten Pädagogik und ihrer Weiterentwicklung zu einem Learning Center - Model öffnet, erstellt.
En esta entrevista, Alain Fernex, antiguo vicepresidente de la universidad Grenoble 2, vuelve sobre los impactos de la ley LRU sobre las políticas documentales: del lugar institucional del director de la SCD a la diversidad de las universidades, de las condiciones de trabajo de los estudiantes a los servicios nuevos que inventar para los investigadores, un amplio panorama es establecido y abre sobre el porvenir de la BU, sus funciones en el seno de una pedagogía renovada y su evolución hacia el modelo de Learning Center.
Vice-président du CEVU (conseil des études et de la vie universitaire) de l’université Pierre-Mendès-France (Grenoble 2) de 2007 à 2012, Alain Fernex a bien voulu répondre aux questions du BBF. L’UPMF est une université de sciences sociales, de taille relativement importante puisqu’elle avoisine les 20 000 étudiants, et possède, outre les UFR classiques, deux IUT et un IAE.
Il est difficile de répondre à ces questions de manière générale car, et c’est bien l’esprit de la réforme, il s’agit de laisser plus de marges de manœuvre aux établissements d’enseignement supérieur et donc, dans le champ des politiques documentaires, de laisser se déployer des stratégies qui peuvent varier d’un établissement à l’autre, ou d’un rassemblement d’établissements à l’autre (cas des SICD). Peut-être est-il par ailleurs trop tôt pour dresser un bilan général des effets de cette plus grande autonomie des universités en matière de politique documentaire et de gestion des bibliothèques.
Mais trois remarques peuvent néanmoins d’ores et déjà être formulées.
– La loi LRU, dans son volet relatif à l’organisation du conseil d’administration (CA) et à sa composition, a considérablement réduit le nombre de ses membres (entre 20 et 30, personnalités extérieures incluses). Il serait intéressant de conduire une enquête à l’échelle de l’ensemble des CA de toutes les universités mais, sur de nombreux sites, la conséquence de cette mesure aura été la disparition de la représentation des bibliothèques universitaires dans des instances dont on a prétendu par ailleurs accroître le champ d’intervention. Il peut paraître paradoxal, et nullement anecdotique, de constater qu’au moment même où les CA deviennent des lieux de définition des stratégies et d’affectation des postes et des ressources, les bibliothèques universitaires, pourtant au cœur des politiques de formation et de recherche, sont le plus souvent peu ou mal représentées.
Un récent rapport officiel du Comité de suivi de la LRU (2012) se penche, parmi d’autres points, sur la question du fonctionnement des CA. Il ne fait cependant qu’évoquer la trop faible présence des personnalités extérieures ainsi que dénoncer les blocages nés de l’application du principe de prime majoritaire, mais reste totalement silencieux sur la non prise en considération de grands instruments ne relevant ni d’une logique disciplinaire, ni d’une logique facultaire. Sans imposer une représentation obligatoire qui semblerait complexe à mettre en place, il serait néanmoins possible d’envisager que les CA aient à conduire annuellement une réflexion sur les politiques documentaires et les ressources et que ces informations soient collectées nationalement et analysées. Dans la mesure où les politiques documentaires le sont sur le long terme, le suivi des efforts, des financements et des investissements semble très important.
– Les textes récents attribuent aux universités la responsabilité de la gestion d’une dotation financière et d’une masse salariale. Pour les bibliothèques universitaires, la principale évolution tient sans doute à la disparition des budgets fléchés (par le ministère) qui assuraient une certaine continuité de dotation. Cette évolution paraît s’inscrire dans une cohérence d’ensemble de la réforme (une plus grande autonomie des établissements d’enseignement supérieur) et ne devrait pas provoquer de défiance ou d’inquiétude particulière a priori. Pour autant, le contexte comme les éléments de temporalité ne sont pas à négliger. Les dotations ministérielles aux universités sont partiellement indexées sur les performances, tant en matière de recherche qu’en matière de formation des étudiants. Dans un tel cadre, nous l’avons dit, les bibliothèques universitaires ne devraient en principe pas pâtir des effets de la réforme. Il n’en reste pas moins que, dans des situations budgétaires parfois tendues que la maîtrise de la masse salariale ne simplifie nullement, tous les budgets n’ont peut-être pas le même statut ou ne bénéficient pas des mêmes garanties. Certains sont peu flexibles, particulièrement à la baisse, parce qu’ils affectent directement des communautés universitaires (UFR, laboratoires). D’autres peuvent paraître plus malléables car les effets immédiats d’éventuelles réductions ou stagnations sont peu visibles.
C’est ici que la dimension temporelle intervient. En période de tension budgétaire, il est des baisses de dotation qui sont plus indolores, tout au moins dans le court terme, que d’autres. Un tel risque, qui peut en particulier peser sur les collections, s’il n’est pas avéré, ne peut être exclu. En ce domaine également, un état des lieux régulier, prenant appui sur les pratiques des établissements, permettrait d’appréhender les politiques documentaires et d’en apprécier la portée et l’ambition. Le système actuel, qui suppose une coordination spontanée et optimale des acteurs, ne prévoit pas la possibilité d’échecs de coordination ou de politiques inappropriées. S’ajoute à cela le fait que la dimension territoriale est très présente en ce domaine et qu’il conviendrait de veiller à maintenir une offre très complète de services sur des espaces à préciser.
– Force est enfin de constater que le récent plan Campus, pour l’essentiel, n’a pas accordé beaucoup de place aux bibliothèques universitaires. Si, dans ses attendus, il mettait l’accent sur les conditions et moyens de travail des communautés universitaires, les opérations finalement sélectionnées, sur les sites retenus, semblent se grouper autour de deux grands axes : le développement de nouveaux instruments et de nouvelles infrastructures, souvent orientés vers la recherche et la réhabilitation lourde de l’existant. Sans doute la place modeste accordée aux bibliothèques universitaires est-elle à mettre en lien avec les évolutions institutionnelles récentes. Les débats complexes et les réorganisations majeures que génèrent les politiques de fusion universitaire ou de constitution de PRES semblent, pour l’heure, avoir laissé les questions des politiques documentaires dans un relatif second plan. Se posent de multiples problèmes, qui restent à traiter : rattachements institutionnels des équipements documentaires, éventuelles logiques de regroupement, définition d’orientations stratégiques, pilotage… C’est là un point que soulève indirectement le rapport du Comité de suivi de la LRU lorsqu’il indique pudiquement que certaines opérations du plan Campus apparaissent parfois « comme des juxtapositions », souvent guidées par l’opportunité, et restées sans effet sur la construction d’une politique commune d’enseignement supérieur et de recherche.
Au total, la question n’est peut-être pas tant celle d’une éventuelle modification des politiques documentaires. Elle serait peut-être plus aujourd’hui celle d’un certain flou, né des réformes, et portant sur les lieux mêmes où se débattent et se définissent des politiques documentaires, en lien avec des stratégies universitaires globales et cohérentes.
Il est également difficile de répondre à cet ensemble de questionnements, mais certaines remarques viennent à l’esprit.
– Est-il possible de parler de politique pédagogique ou de politique de recherche au singulier ? Sans doute cela n’a-t-il jamais été le cas, mais la période renforce ce constat. Il est relativement étonnant d’observer que certains documents, pourtant très officiels, ne suscitent pas plus de débats ou de réflexions. Dans un rapport de 2011 intitulé L’enseignement supérieur en France. État des lieux et propositions
’enseignement supérieur en France. État des lieux et propositions
, version finale, 2011. En ligne :
Le document appelle de ses vœux une clarification et une redéfinition des objectifs de la politique française de l’enseignement supérieur et mentionne particulièrement le fait que les pôles de proximité, par les conditions qu’ils peuvent offrir aux étudiants, leur proposent «
– La place de la documentation dans la
À l’occasion d’un projet d’Équipex (équipements d’excellence prévus dans le Grand Emprunt) proposant la réalisation d’un
Le rôle des grands instruments que sont les bibliothèques universitaires dans la production scientifique est donc en tous points central et évolutif. Peut-être conviendrait-il de noter, mais sans doute est-ce une remarque inspirée par une expérience particulière, qu’il faut impérativement dans la période veiller avec soin à la complémentarité et à l’articulation entre les bibliothèques universitaires et les bibliothèques d’UFR ou de laboratoires (le plus souvent intégrées au réseau) afin d’éviter les redondances. Cet effort de rationalisation de la dépense nécessite une coordination, dans l’intérêt du service rendu, qui ne peut être le fait que des BU.
– La place de la documentation dans la
Mais ce sont deux autres remarques, complémentaires, nées d’activités de recherche, que je souhaiterais développer. Lorsque cette question de l’échec ou de l’abandon en licence est évoquée, il n’est que très rarement fait état d’un thème pourtant central qui est celui des conditions de travail des étudiants, de l’organisation de ce travail, de la nature de ce dernier et, plus généralement, des temps consacrés par les étudiants aux activités académiques, ce qui, en toute rigueur, soulève également la question, tout en ne la recouvrant pas complètement, des institutions d’enseignement supérieur et de leur capacité à fournir, ou à ne pas fournir, des repères pour l’action. En d’autres termes, c’est la question de l’activité studieuse et du travail des étudiants qui se trouve posée. Et cet aspect du problème me paraît devoir intéresser les bibliothèques universitaires dont les étudiants constituent l’un des publics majeurs. Des travaux que nous avons conduits sur ces thèmes dans un cadre international To be a student within the Bologna process. New insights and studies outcomes
, Grenoble, PUG, 2012.
De fait, il apparaît qu’une part non négligeable de la variation dans l’allocation des temps (cours magistraux, TD et TP, travail personnel) provient de la discipline choisie et étudiée. Les recherches sur le temps se trouvent donc déplacées sur d’autres terrains qui sont ceux des mécanismes de nature à peser sur les choix d’orientation. Mais, comme j’essaie de le souligner dans le chapitre d’un ouvrage à paraître L’avenir des bibliothèques : l’exemple des bibliothèques universitaires
, Villeurbanne, Presses de l’enssib (coll. Papiers), à paraître en mars 2013.Economics of Education Review
, vol. VI, n° 4, 1987, p. 357-364.
Les bibliothèques universitaires sont directement concernées par ces résultats. Des mesures visant à augmenter significativement le temps quotidien de travail ainsi que l’amplitude de l’année universitaire (allongement des semestres), en invitant les étudiants à plus de travail autonome encadré, en mettant l’accent sur les méthodologies et l’effort personnel, nécessitent des lieux et moyens de travail appropriés. Et qui mieux que les bibliothèques peuvent offrir ces conditions, y compris sur la base d’horaires d’ouverture largement amplifiés ? De ce point de vue, on ne peut que souligner la très grande modestie des propositions rassemblées dans le rapport du Comité de suivi de la loi LRU
Pour moi, la réponse est clairement oui, et je lui donne une orientation très précise. Mon expérience de vice-président, les nombreux échanges que j’ai pu avoir avec les collègues et les étudiants, m’ont permis de me forger une conviction. Pour les étudiants, les universités doivent devenir encore plus des lieux de travail, des lieux où l’on passe du temps, mais en conséquence des lieux dans lesquels on est susceptible de trouver des services multiples. De ce point de vue, et malgré un rapport très intéressant de l’Inspection générale des bibliothèques Les
Learning centres : un modèle international de bibliothèque intégrée à l’enseignement et à la recherche
, rapport n° 2009-022. En ligne :
Le projet de rassembler dans des lieux vastes, adaptés, conçus et équipés pour le travail universitaire tous les services de la documentation ainsi que d’autres services (librairie, salles de repos ou de détente, lieux de restauration, services liés à la professionnalisation…) m’apparaît comme central. Les bibliothèques universitaires se prêtent idéalement à cet objectif et pourraient devenir des lieux centraux de l’activité universitaire. Bien évidemment, cela ne veut nullement signifier la concentration de services en un même lieu, mais une coordination de ces services dans un espace donné et dont les bibliothèques pourraient constituer le centre. On peut regretter en la matière l’absence d’expérimentation en France, alors même que les exemples commencent à fleurir dans les pays voisins et semblent produire des résultats intéressants. L’incitation et le soutien au développement de Learning center français, compte tenu du riche équipement documentaire existant, pourraient être des axes d’intervention à considérer. •
Décembre 2012