Rendre accessible le portail d’une bibliothèque est une obligation légale que de nombreux établissements peinent à respecter. Pour les accompagner, l’État a mis en place un baromètre de l’accessibilité numérique, avec des résultats très encourageants. Pour être inclusive, une bibliothèque doit aussi veiller à faciliter son utilisation par les personnes en situation de handicap. Une charte des bibliothèques handi-accueillantes pourrait apporter une contribution significative à un tel projet.
Providing an accessible web portal is a legal obligation that many French libraries are finding challenging to implement. To guide them in the process, the French government has created a tool to test digital accessibility, with highly encouraging results. To qualify as inclusive, libraries must also seek to improve access for disabled users. A charter for disability-friendly libraries would be a big step in the right direction.
Marc Maisonneuve est l’un des créateurs de Tosca consultants, cabinet de conseil en système d’information pour les bibliothèques et les centres de documentation. Auteur de plusieurs ouvrages décrivant les logiciels métier pour bibliothèque, il conduit une enquête annuelle sur leur diffusion en France. Depuis 2009, il anime un service de veille sur les mutations des bibliothèques. Il édite le site http://bibliotheques-inclusives.fr/
Philippe Lenepveu est expert en ingénierie documentaire, bases de données, numérisation, médias numériques, Internet et nouvelles technologies de l’information et de la communication. Il a rejoint Tosca consultants en 2003. Il intervient dans le secteur des musées, du patrimoine, des archives, des centres de ressources et de documentation, des bibliothèques. Il est responsable de l’activité AMO web / accessibilité numérique au sein de Tosca consultants.
En janvier 2015 Bulletin des bibliothèques de France (BBF)
, 2015, n° 4, p. 198-205. Disponible en ligne :
Impliqué de longue date sur les questions liées au handicap, le ministère de la Culture et de la Communication a conduit plusieurs actions en rapport avec ce dispositif. Après un bilan d’étape et une présentation des évolutions réglementaires, nous souhaitons replacer la question de l’accessibilité numérique dans la problématique plus large de l’accueil en bibliothèque des personnes en situation de handicap. L’accessibilité numérique des portails de bibliothèque est bien entendu l’une des dimensions essentielles d’une bibliothèque inclusive, ne serait-ce qu’en raison des difficultés de déplacement que connaissent de nombreuses personnes en situation de handicap. Toutefois, bien d’autres actions doivent être engagées pour parvenir à rendre la bibliothèque réellement
L’accessibilité numérique est un concept qui a été formalisé dès 1997. Sa mise en œuvre garantit la capacité des personnes en situation de handicap à utiliser sans limite, ni restriction, les sites web des bibliothèques. Cette exigence d’accessibilité correspond à un enjeu citoyen de premier ordre car les bibliothèques sont un dispositif essentiel du droit à la culture. La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées
La mise en accessibilité d’un portail de bibliothèque suppose le respect de quatre conditions.
Si la bibliothèque dispose d’importantes marges de manœuvre sur les conditions 1 et 2, le respect des conditions 3 et 4 est plus délicat. Il mobilise des acteurs (éditeurs d’opac, éditeurs de CMS, éditeurs de ressources numériques…) qui n’ont pas d’obligations en la matière vis-à-vis de la loi du 11 février 2005. Pour faciliter l’évolution des portails de bibliothèques, il est important, au-delà de la sensibilisation des élus et des responsables d’établissements, d’engager des actions collectives de nature à faciliter la mobilisation de l’ensemble des acteurs. En 2015, trois actions nous ont semblé prioritaires (schéma 1).
En septembre 2015, le ministère de la Culture et de la Communication a engagé la réalisation d’un baromètre de l’accessibilité numérique en lecture publique dont les résultats ont été publiés en mars 2016. Trois volets composent ce baromètre :
En première lecture, les résultats bruts de ces baromètres
Au-delà de ces premiers résultats qui porteront leurs fruits à moyen terme, les bibliothèques ont également engagé des actions de mise en accessibilité de leurs sites. Plusieurs bibliothèques ont en effet publié une attestation ou une déclaration de conformité, en application des dispositions du RGAA
Plusieurs journées d’étude ont également été programmées, le plus souvent à l’initiative ou avec la participation du ministère de la Culture et de la Communication : à Lyon (« Bibliothèques, accessibilité et numérique », Arald et médiathèque Valentin-Haüy, le 5 mars 2015), à Rouen (« Ateliers pratiques autour du numérique pour les professionnels du livre », ARL Haute-Normandie, le 18 juin 2015), à Montpellier (journée d’étude « Handicap et numérique en bibliothèque : cadres, démarches, outils », le 13 octobre 2016), à Paris (« Ressources numériques et accessibilité », Réseau Carel, le 29 novembre 2016), à Limoges (« Accueillir le handicap en bibliothèque : des ressources plus accessibles », le 13 décembre 2016)… L’Arald a même organisé un atelier de formation des contributeurs (« #a11y, allons-y ! Accessibilité numérique : publiez et contribuez ! », le 13 octobre 2016) à Villeurbanne… Bref, chacun se mobilise à son niveau pour contribuer à une mise en accessibilité des portails de bibliothèque.
De notre point de vue, trois axes d’intervention mériteraient probablement d’être renforcés.
En deux ans, quatre textes nouveaux sont venus actualiser ou compléter le dispositif réglementaire.
Le référentiel d’accessibilité se complète également en traitant la question de l’accessibilité sur un téléphone portable. En août 2016, l’association BrailleNet a publié en effet un livre blanc sur l’accessibilité des sites web et des applications pour les mobiles
L’exigence d’accessibilité numérique des sites publics se renforce donc et cela tant au niveau national qu’européen. Les actions conduites par le ministère de la Culture et de la Communication ont permis de créer une dynamique tout à fait prometteuse en mobilisant les éditeurs d’outils métier et de ressources numériques. Les bibliothèques commencent à publier des déclarations de conformité et à s’approprier la question de l’accessibilité numérique.
L’accessibilité numérique du site web de la bibliothèque (c’est-à-dire sa conformité au RGAA) est une exigence concernant la forme des contenus et des services en ligne du site. C’est une condition nécessaire, mais loin d’être suffisante, pour que la bibliothèque soit jugée accueillante et facile à utiliser par les personnes en situation de handicap.
De notre point de vue, les sites web des bibliothèques demeurent très pauvres en ce qui concerne les contenus que des personnes en situation de handicap pourraient souhaiter consulter pour préparer une visite en bibliothèque.
Très diverses, ces questions peuvent être présentées en distinguant quatre centres d’intérêt.
1. Les collections et l’offre de services de la bibliothèque.
2. Les outils numériques de la bibliothèque.
3. L’accueil de la bibliothèque.
4. La bibliothèque, lieu physique.
Penchons-nous sur le premier point.
Si l’on considère que le site web de la bibliothèque doit permettre à chacun de préparer sa visite et de confirmer son intérêt pour une telle visite, il faudrait que l’on trouve facilement sur le site les réponses aux questions plus particulières qu’une personne en situation de handicap peut se poser.
– La bibliothèque dispose-t-elle de documents dont je peux prendre connaissance en dépit de mon handicap (exigence d’accessibilité du document, ce qui renvoie, d’une part, aux caractéristiques du document et, d’autre part, aux appareils disponibles permettant d’accéder au contenu du document) ?
– Dispose-t-elle de documents en rapport avec mon handicap (exigence de contenu du document) ?
– La bibliothèque propose-t-elle des services particuliers destinés aux personnes en situation de handicap (par exemple du portage à domicile) ? À quelles conditions ?
– Me permet-elle d’emprunter des documents sur une longue durée ?
– M’offre-t-elle une assistance à la recherche dans le catalogue et les collections ? Comment accéder à ce service ?
– Puis-je être averti(e) de l’arrivée de nouveaux documents correspondant à mes centres d’intérêt, et qui me soient effectivement accessibles ? Comment accéder à ce service ?
Après ces questions générales que traitent de nombreux sites web, viennent des questions plus spécifiques dont la déclinaison devrait se faire par type de handicap et qui sont plus rarement abordées dans les sites des bibliothèques.
•
– La bibliothèque met-elle à disposition des loupes permettant l’agrandissement des textes imprimés ?
– Dispose-t-elle de machines à lire proposant une synthèse vocale des textes imprimés ?
– Propose-t-elle des imprimantes embosseuses associées à des machines à lire permettant une transcription en caractères braille ?
– Quel est le modèle des équipements proposés ? Si je ne connais pas ces équipements, puis-je bénéficier d’une aide pour les utiliser ? Faut-il pour cela que je prenne rendez-vous ? auprès de qui ? Puis-je bénéficier d’une formation à l’utilisation de ces appareils ?
•
– Les postes informatiques de la bibliothèque disposent-ils d’agrandisseurs ou de loupes d’écran ?
– Trouverai-je à la bibliothèque des lecteurs d’écran proposant une synthèse vocale des textes et des graphiques ? Des outils de reconnaissance vocale ?
– Certains postes disposent-ils de plages braille actualisables ?
– La bibliothèque propose-t-elle l’accès à une imprimante braille ?
– Quel est le modèle des équipements proposés ? Si je ne connais pas ces équipements, puis-je bénéficier d’une aide pour les utiliser ? Faut-il pour cela que je prenne rendez-vous ? Auprès de qui ? Puis-je bénéficier d’une formation à l’utilisation de ces appareils ?
Chacun des trois autres points (les outils numériques de la bibliothèque ; l’accueil de la bibliothèque ; la bibliothèque, lieu physique) est associé à de multiples questions
Ne pas répondre à ces questions revient à renvoyer des messages peu positifs aux personnes en situation de handicap (la bibliothèque ne vous attend pas et ne prend pas en compte vos besoins spécifiques) et à les priver de toutes possibilités d’une utilisation autonome de la bibliothèque. Avant leur visite, ces personnes devront prendre contact pour obtenir les renseignements manquants et sur place elles devront s’adresser à l’accueil pour un grand nombre de démarches. On reste très éloignés d’un principe d’inclusion !
Rendre la bibliothèque accueillante et facile d’usage pour les personnes handicapées est un chantier qui doit s’inscrire dans une démarche globale. Il faut par exemple agir de manière équilibrée sur toutes les dimensions de l’accueil et travailler simultanément sur l’accessibilité physique du bâtiment et sur l’accessibilité numérique du site. De même, il ne servirait à rien d’avancer sur la question de l’accueil si les collections ou les outils restaient inadaptés aux besoins des personnes en situation de handicap. Cette approche globale est la garante d’une réelle qualité de service ; elle présente toutefois l’inconvénient d’imposer la conduite d’un grand nombre d’actions situées sur des plans extrêmement variés. C’est un projet en soi qui mobilisera beaucoup d’énergie et qui obligera à interroger de nombreuses pratiques.
Pour accompagner les efforts des bibliothécaires, il faut pouvoir d’une manière ou d’une autre inciter les tutelles des bibliothèques à soutenir ce type de démarches.
Nous pensons qu’une labellisation bibliothèque handi-accueillante (voir encadré ci-dessous) permettrait la reconnaissance des efforts consentis par une collectivité, une école ou une université, tout en garantissant l’inscription de la question du handicap dans une approche globale. Ce dispositif, nécessiterait bien entendu un engagement de l’État (formalisation et promotion du dispositif, action de communication et de soutien aux premiers labellisés, mise en place d’une organisation pour le contrôle des actions engagées et l’attribution du label). Son succès nécessiterait la participation des associations professionnelles, au premier rang de celles-ci l’ABF, et des associations de handicapés, tant au niveau national que local.
La labellisation serait associée au respect d’une charte qui reste à formaliser. Cette charte ferait l’objet d’une publication sur le site de la tutelle de la bibliothèque qui devrait mentionner les points partiellement respectés et les actions entreprises pour améliorer la prise en compte des exigences mentionnées. Un rapport d’activité annuel serait également produit par la bibliothèque (où en est-on dans la mise en œuvre de la charte ? Qu’a-t-on fait cette année ? Quelles priorités se fixe-t-on pour l’année à venir ?). Chaque année, ce rapport d’activité devrait être présenté aux élus et faire l’objet d’un débat quant aux objectifs d’action pour l’année à venir.
La formalisation du dispositif (contenu de la charte, niveau et gradation des exigences associées à chaque volet, modalités d’instruction et d’attribution du label) pourrait faire l’objet d’un travail piloté par l’État et mobilisant les associations du monde du handicap et celles du monde des bibliothèques.
Deux ans après l’appel à Engager une politique offensive de mise en accessibilité des portails des bibliothèques