Association pour le Développement
de la Lecture Publique

1936-1941 : Un fonds d'archives conservé à la bibliothèque de l'Enssib

Evénements importants
1929 | 1931 | 1933 | 1936 : , , , , | 1938 : , | 1939 : , , | 1940 | 1941

Les missions de l’ADLP

Dès sa création en avril 1936, l’ADLP se donne pour mission de développer la lecture publique à travers des projets d’intérêt public. Elle se distingue de l’ABF qui s’adressait surtout aux bibliothèques et bibliothécaires. Pour atteindre ses objectifs, l’ADLP cherche à nouer trois types de relations : avec des associations locales, avec des organisations étrangères et avec des services sociaux spéciaux dédiés au développement de la lecture. Le syndicat national d’instituteurs, le centre confédéral de l’éducation ouvrière, les œuvres laïques et la ligue française de l’enseignement collaborent avec l’ADLP, partageant sa mission et ses tendances politiques.

Généralités

A ses débuts, l’ADLP se donne une mission assez élargie : établir un contact constant entre bibliothécaires professionnels et tous ceux qui s’intéressent au développement de la lecture, à savoir : les écrivains, les librairies, les organisations culturelles et les membres de l’enseignement de tous degrés. Elle s’intéresse aussi à collaborer avec le plus grand nombre possible d’associations aux buts similaires. Elle a également pour objectif de regrouper des éminentes personnalités et les associations les plus représentatives dans le secteur des bibliothèques, comme en témoigne une lettre adressée au Ministère de l'Instruction Publique pour demander des subventions le 15 février de 1939.

Courrier de demande de subventions destiné au Ministère de l’Instruction publique daté du 15 février 1939.

Quant aux lecteurs ordinaires, elle vise à leur donner des conseils pour diriger leurs lectures et à promouvoir des activités sociales en bibliothèques (séances musicales, conférences, fêtes ou spectacles), ainsi qu’à travailler avec des catégories spéciales de lecteurs (malades, aveugles, prisonniers, soldats et marins, et étrangers). De la même façon, elle s’intéresse à l’extension de services de bibliothèques à l’extérieur de la ville (succursales en banlieue, bibliothèques circulantes et bibliobus).

Plan de l’enquête régionale sur la lecture publique, non daté.

Comme en témoigne l’échange de lettres écrites en 1938 entre la secrétaire de l’ADLP Georgette de Grolier et de nombreuses associations et bibliothèques étrangères, l’ADLP se préoccupe aussi de réunir la documentation nécessaire pour étudier le phénomène des bibliothèques populaires et de la lecture publique en suivant l’exemple des bibliothèques populaires étrangères, surtout anglaises, comme en témoignent plusieurs courriers avec American Library Association. L’ADLP cherche aussi l’échange de documentations avec de nombreuses associations et bibliothèques étrangères, notamment des établissements soviétiques et américains. (Voir les documents ci-dessous).

L’ADLP se préoccupe de l’éducation des plus défavorisés. C’est ainsi que L’ADLP s’intéresse à l’ensemble des bibliothèques qui appartiennent aux associations populaires et aux services sociaux spéciaux (tels que les hôpitaux, les sanatoriums, les auberges de jeunesse, les associations militaires, etc.), ainsi qu’aux publics ruraux qui ne profitent pas d’un accès direct à la lecture. Dans ce cadre elle développe des projets qui vont se maintenir jusqu’à sa dissolution :

  • Le bibliobus de la Marne(1938), afin de promouvoir la lecture dans les milieux ruraux).
  • La revue du livre (1933), afin de publier les études menées par l’ADLP sur la lecture publique et de donner des informations pratiques aux bibliothécaires.
  • Le congrès de lecture publique dans le cadre de L’Exposition du progrès social à Lille les 7 et 8 octobre 1939, afin de promouvoir l’association et établir des liens avec d’autres associations).
  • Plusieurs cycles de conférences sur la lecture publique et la documentation (pour la création et le partage de connaissances autour de la lecture publique).
  • Relations avec l’ABF

    Les relations entre l’ABF et l’ADLP ont toujours été tendues. Eric de Grolier dénonce l’exclusion dont est victime l’ADLP dans plusieurs lettres adressées à Henri Vendel. Il signale le caractère élitiste de l’ABF et critique les relations de Henri Vendel, Edouard Dolléans avec cette institution au détriment de l’ADLP. Cette situation va aussi mener aux tentatives de démission de Mme de Grolier en 1939.

    Déjà dans une lettre datée du 30 janvier 1939, Georgette de Grolier déclare que l’ADLP ne doit pas être sous la tutelle de l’ABF. Mme de Grolier refuse la présentation de l’administration de l’ABF et signale que cette dernière n’a jamais reconnu la trajectoire ni les démarches menées par l’ADLP.

    Courrier de G. de Grolier où est réaffirmé l'indépendance de l'ADLP face a l'ABF daté du 30 janvier 1939.

    L’élection de Henri Vendel comme président de l’ABF en 1938 aggrave la situation. À partir de son élection, il considère que l’ABF doit s’occuper aussi de la lecture publique. Cette situation génère davantage de tensions entre l’ADLP et l’ABF. En 1938, Georgette de Grolier écrit à Henri Vendel pour contester la création des cours, d’un manuel et d’une section de bibliothèques enfantines par l’ABF sans consultation préalable de l’ADLP .

    Courrier de Georgette de Grolier adressé à Henri Vendel daté du 5 août 1938.

    De la même façon, dans une lettre du 26 mars 1939, Eric de Grolier explique la démarche de l’ABF pour écarter l’ADLP. Il décrit Henri Vendel comme « un arriviste et un opportuniste » qui s’est servi de l’ADLP pour se faire connaitre et « lui a tourné le dos après ».

    Courrier d’Eric de Grolier détaillant les tensions au sein de l’ADLP date 26 mars 1939.

    Pour Eric de Grolier, L’ABF voudrait « couper l’herbe sous le pied » de l’ADLP en attirant les bibliothécaires ruraux et en organisant des commissions déjà prévues par l’ADLP, comme celle pour la lecture enfantine.

    Tout cela oblige à une reformulation des objectifs de l’ADLP qui désormais décide d’abandonner les relations avec les bibliothécaires professionnels et les grandes bibliothèques publiques pour se concentrer sur un public plus populaire. C’est ainsi que les publications s’envisagent plus modestes, s’adressant à des petites bibliothèques, des bibliothèques scolaires, rurales, régionales et syndicales, pour leur donner des conseils pratiques et les aider à se faire une opinion de ce qui se passe dans la lecture publique.

    Avec la guerre, la fin de l'ADLP

    La guerre affecte l’ADLP. Les peu de membres et l’échec de certains projets, tels que Le cycle de conférences sur la psychologie et la sociologie de la lecture en 1939, la difficulté d’atteindre les objectifs fixés par La Revue du Livre et les relations tendues avec l’ABF (affectée elle-même par la guerre) sont des conséquences qui liées à la guerre entraineront la disparition de l’association.

    Dans le document Comment surmonter la crise de l’ADLP, signée par Georgette de Grolier s’exprime la mission de l’ADLP en ce termes : « Étant donné que l’ABF représente les bibliothécaires de l’élite et les bibliothèques savantes, qu’elle s’adresse à une aristocratie de lecteurs et non pas à la masse, l’ADLP doit s’intéresser à la masse de lecteurs profanes ». C’est ainsi que L’ADLP doit s’occuper de tout ce qui est dénié par l’ABF : bibliothèques « populaires », syndicales, paroissiales, scolaires, d’usines, ainsi que les bibliothèques des associations telles que celle des Œuvres laïques. Elle doit également viser la formation spécialisée de bibliothécaires pour un public populaire en temps de guerre.

    Détail des mesures pour surmonter la crise de l'ADLP, non daté.

    Le document trace aussi le programme suivant :

  • S’appuyer davantage sur des organisations ayant des bibliothèques qui touchent réellement la grande masse de lecteurs. P.ex. Union des villes (Sellier), Centre laïque, municipalités radicales, municipalités socialistes et auberges.
  • Rendre à ces bibliothèques des services pratiques. P. ex. Dans la revue de l’association, inclure des articles pratiques selon les besoins des petites bibliothèques. Augmenter la périodicité de la revue et réduire ses coûts (changement d’éditeur de Denoël à Ronéo)
  • Augmenter les adhésions
  • Constituer des commissions de bibliothèques : scolaires, syndicales, municipales, postscolaires et de loisirs, populaires de la région parisienne
  • Les actions de l’ADLP

    L’existence de l’ADPL a été brève et n’a donc pas permis de mettre en place beaucoup d’actions concrètes. En effet, seule une action peut être retenue à savoir la mise en place du bibliobus de la Marne, grâce à l’implication d’Henri Vendel. Notons que les actions entreprises par l’ADLP ne sont pas « révolutionnaires ».

    Compte-rendu de l'activité de l'ADLP de 1938, date du 27 mars 1939.

    Focus sur les ambitions de l’association

    L’idée est de rendre « accessibles à tous et non plus réservées à de petits cercles d'érudits, non plus poussiéreuses ou misérables, mais largement ouvertes à toutes les manifestations de la vie d'aujourd'hui1 ».

    Note sur le rôle l’ADLP. Document non daté mais probablement rédigé en mai 1936.

    « Si nos bibliothèques ont des moyens d'action à peu près suffisants, il n'est pas de même en ce qui concerne les bibliothèque "pour tous" »

    L'ADLP se donne comme, nous l’avons vu, pour mission de réunir les initiatives et les acteurs du développement de la lecture publique. Cette spécificité explique l’effort de communication que semble mettre en œuvre l’association. En effet, le dépouillement des archives de l’Enssib a permis d'identifier de nombreux tracts pour des conférences, journées d'étude, de nombreux comptes-rendus et une correspondance fournie.

    Programme des conférences sur le thème de la lecture publique organisées par l’ADLP en avril et mai 1939.

    Programme de journées d’étude organisées par l’ADLP durant l’année 1938.

    Compte-rendu de la réunion de l’ADLP du 1er juillet 1936.

    « Des conférences groupant les associations et les personnes intéressées, l'organisation de cours et de stage, destinée à former un personnel pour les petites et moyennes bibliothèques publiques ».
    (Note sur le rôle l’ADLP. Document non daté mais probablement rédigé en mai 1936.)

    L’ADLP veut agir sur un plan théorique : « Pour influencer les pratiques de manière directe, l'ADLP prévoit d'organiser des cours — en attendant la création d'une école de bibliothécaires — et de prodiguer des conseils pratiques à toute bibliothèque qui en ferait la demande2 ».

    Enfin l’association a mis en place des listes de livres avec des fiches associées :

    « des brochures sur l'organisation, leur installation matérielle, le choix des livres de fonds, la psychologie des lecteurs »

    Les moyens d’agir

    L’ADLP a axé ses moyens d’agir sur la communication : « De même, la promotion de la bibliothèque doit passer par la presse aussi bien que par la TSF afin de toucher le public le plus large possible. L'ADLP met d'ailleurs ces principes en pratique en intervenant plusieurs fois dans des émissions de radio3 ».

    L’abondante correspondance est représentative d’une forme de service de renseignement aux petites bibliothèques.

    Le couple De Grolier travaille sur un important projet en parallèle à savoir le Manuel de la bibliothèque publique moderne. Ouvrage qu’ils souhaitent publier dans un premier temps fin 1936. Cependant, ce manuel est resté à l’état de manuscrit et n’a jamais été publié.

    Focus sur les bibliobus

    Le concept : ce concept a permis, et permet encore d’apporter les services d’une bibliothèque dans les villages et les banlieues qui en sont dépourvues.

    L’histoire du bibliobus : un premier véhicule est évoqué en Angleterre en 1857 qui parcourait huit villages : il s’agissait d’une charrette tirée par des chevaux, à l’initiative de George Moore. Un an plus tard, c’est la bibliothèque ambulante Warrington qui fut mise en place par l’Institut de Mécanique du même nom, et ce afin d’augmenter l’emprunt de ses livres. En 1904, des mules tractent à leur tour quelques livres dans le comté de Chester aux États Unis, mais c’est en 1905 que la libraire Mary Lemist Titcomb inaugure la première vraie bibliothèque mobile américaine, permettant l’accès aux ouvrages aux régions éloignées du comté de Washington.

    La France et les bibliobus : c’est pendant l’entre-deux-guerres que le bibliobus arrive, notamment grâce à l’initiative d’Henri Lemaître. Cet érudit bibliothécaire, grand acteur de la transmission du savoir a fait construire par Renault – et à ses propres frais.

    Cette bibliothèque mobile pouvant contenir jusqu’à 2 400 volumes, et présentée en 1931 à l’Exposition coloniale de Paris.

    L’ADLP et Bibliobus. En 1936 le concept des bibliobus est donc déjà bien connu du public. Pour tous les militants de la lecture publique, il constitue réellement un symbole puisqu'il répond parfaitement aux objectifs des modernistes : c’est un système organisé qui implique les municipalités qui va au-devant des lecteurs en leur proposant un service de prêt gratuit tout en bénéficiant de la compétence d'un bibliothécaire professionnel. C’est Henri Vendel l’acteur principal pour l’ADLP dans l’action des Bibliobus.


    1 Hind Bouchareb 525Arch. ADLP. « G. ADLP + ABF. Extraits boîte n°1 + n°2. Archives ». Tract pour la réunion du 16 mars 1937 sur le thème de la « bibliothèque vivante ».

    2 Hind Bouchareb, La lecture publique en débat, École des Chartes, 2012, p. 221.

    3Hind Bouchareb, La lecture publique en débat, École des Chartes, 2012, p. 244.