Association pour le Développement
de la Lecture Publique

1936-1941 : Un fonds d'archives conservé à la bibliothèque de l'Enssib

Evénements importants
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La courte existence de l’ADLP

Si certains membres de l’Association des bibliothécaires français militent en faveur de la création d’une section dédiée à la lecture publique, le peu d’enthousiasme du comité directeur les incite rapidement à créer un organisme indépendant. De cette rupture nait l’Association pour le Développement de la Lecture Publique qui entretiendra tout au long de sa courte existence des relations houleuses avec l’ABF.

D’un projet de section au sein de l’ABF…

C’est lors d’un déjeuner informel, en avril 1936, rassemblant « Éric de Grolier, Georgette de Grolier, Georges Collon, Henri Vendel, Victorine Vérine, Marguerite Gruny, sans doute Mathilde Leriche et Odette Réville »1, tous engagés en faveur de la lecture publique, qu’aurait été évoquée la création d’une section de la lecture publique au sein de l’ABF.

Les de Grolier se seraient alors engagés à rédiger un projet, à charge pour les autres participants de le contresigner et de le diffuser plus largement auprès des autres membres de l’ABF… Sans grand succès.

A l’initiative de Georgette de Grolier, ce projet aurait aussi été adressé à Amédée Britsch, alors président de l’ABF. Sans répondre par la négative, ce dernier s’est montré favorable au projet tout en repoussant son examen pour le mois d’octobre : « J'ai lu ce vœu avec attention et intérêt, et […] je crois qu'il mérite considération. Aussi vaut-il mieux attendre l'automne pour le présenter et le discuter. »

Courrier d’Amédée Britsch adressé à G. de Grolier en date du 25 mai 1936.

… à la création d’une association indépendante

Alors que le président de l’ABF reporte à l’automne l’examen de l’éventuelle création d’une section de la lecture publique, le rythme des réformes du gouvernement du Front populaire s’accélère.

Dès le mois de juin 1936, Georgette de Grolier tente d’attirer l’attention de différents ministres et secrétaires d’État sur le projet en envoyant une note rédigée par : « quelques jeunes bibliothécaires, croyant au rôle social que devrait jouer la bibliothèque publique, si elle était organisée de façon plus moderne »2. Parmi les destinataires, Jean Zay, ministrede l'Education nationale, et Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux sports et à l’organisation des loisirs.

Note sur le rôle l’ADLP. Document non daté mais probablement rédigé en mai 1936.

Par ailleurs, lors de la réunion du 20 juillet 1936, il est décidé qu’: « étant donné les projets en cours, auxquels il est désirable de participer le plus activement possible – et d'autre part, la remise en octobre de l'examen par l'ABF de notre proposition de début mai, nous proposons la formation d'un groupement à constituer dès maintenant officiellement (sous le nom, par exemple, d'Association pour le développement de la Lecture publique) en prenant pour base le groupe de personnes ayant déjà participé aux précédents travaux. […] En octobre, on entrera en pourparlers avec l'ABF pour voir sous quelle forme une collaboration serait possible ». Il s’agit de fonder une association temporaire qui, à terme, devrait intégrer l’ABF, une fois toutes les conditions réunies. Selon Hind Bouchareb, « La décision est prise à l'unanimité des présents, à savoir les Grolier, Coyecque, Armand Boutillier du Retail, bibliothécaire des ministères du Commerce et du Travail, directeur du Centre de documentation économique et président du Bureau bibliographique de France, Henri Vendel, l'éditeur Michel Bourrelier, Charles Sustrac, conservateur de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, Marguerite Gruny et Mathilde Leriche, bibliothécaires de l'Heure joyeuse, Odette Réville et Jeanne Berna, bibliothécaires de la bibliothèque municipale de Reims, et Odette Dourver, bibliothécaire de la Bibliothèque municipale d'Issy-les-Moulineau »3.

Compte-rendu de la réunion du 20 juillet 1936.

Sont membres du bureau provisoire : Ernest Coyecque, président, Armand Boutillier du Retail et Henri Vendel, vice-présidents, Georgette de Grolier, secrétaire, Éric de Grolier, secrétaire-adjoint.

Le 18 août, l’ADLP est déclarée en préfecture comme association ayant pour but de : « grouper les bibliothécaires professionnels, les membres de l'enseignement, les éditeurs, libraires et auteurs, et les représentants des municipalités, des organisations culturelles et éducatives de toutes sortes, des coopératives et syndicats ouvriers et agricoles, en vue de travailler au développement d'un réseau coordonné de bibliothèques publiques de diffusion (de culture générale, d'information et de loisirs), actives et modernes, élément essentiel de l'éducation populaire et de l'utilisation des loisirs des travailleurs »4.

Au conflit ouvert avec l’ABF

La création de l’ADLP et ses missions signifient qu’aucune autre structure associative ne prenait en charge les problématiques de la lecture publique. Elles rendent évidentes les carences de l’ABF sur ce sujet.

Si l'ADLP prévoit lors de la réunion du 16 septembre d'inviter le président de l'ABF au comité d'honneur de l'association et de faire suivre ses travaux par un délégué de l'ABF pour faciliter la collaboration, l’ABF est hostile à une association indépendante, de surcroit ouverte à des non-professionnels. Ainsi, « dans sa séance du vendredi 20 novembre, le Comité de l'ABF, soucieux de maintenir l'unité corporative contre toute dispersion d'efforts, a décidé qu'il s'en tenait à sa première idée pour soutenir la cause de la "lecture publique". Il est tout disposé à favoriser la formation, dans le sein de l'ABF d'une section spéciale ou groupe d'études jouissant de son autonomie, étant bien entendu que toutes les démarches d'actions seront faites au nom de l'ABF avec l'approbation du Bureau et, s'il y a lieu, même, après délibération du Comité et référendum à l'Assemblée générale. Les membres de l'ABF qui encadrent ce groupe seront libres de s'agréger toutes personnalités utiles ; ils formeront le lien naturel entre ce groupe spécial et notre Comité, puisqu'en principe, nous ne pouvons connaître et reconnaître que nos propres adhérents ».

Compte-rendu de la réunion de l’ABF du 30 octobre 1936 annonçant la naissance de l’ADLP.

La position corporatiste de l’ABF et le peu de garantie qu’elle offre sur les marges d’action de la section sur la lecture publique ne satisfont pas le bureau de l'ADLP. Si certains membres fondateurs de l’ADLP se rallient à la position de l’ABF et quittent alors l’association, un noyau dur de militant défend farouchement l'indépendance de l'association. Il s’agit notamment des de Grolier, d’Henri Vendel, et de Mathilde Leriche.

Ces partisans trouvent alors un appui de poids en la personne d’Edouard Dolléans, directeur de cabinet de Léo Lagrange, très intéressé par les projets de l’association. En décembre 1936, alors que la présidence est vacante, le bureau décide de lui proposer la fonction car : « il paraît désirable de ne pas désigner à ce poste un bibliothécaire, pour montrer que l'association dépasse le cadre professionnel, et n'est pas en concurrence avec l'ABF. […] Dans ces conditions, le bureau décide de demander à M. Dolléans d'accepter la présidence. Cela créerait d'autre part un très utile lien avec le Sous-Secrétariat des Loisirs ». Avec Edouard Dolléans comme président, l’ADLP légitime son existence et son action.

Compte-rendu de la réunion du bureau de l’ADLP du 5 décembre 1936.

Liste des membres de l’ADLP dressée en février 1937.

Des rivalités personnelles à une lente agonie

Alors que l'ADLP se veut ouverte à d'autres professions que celle des seuls bibliothécaires, l'esprit corporatiste de ces derniers nuit aux discussions. Certains membres du conseil, notamment les représentants du monde de l'enseignement, expriment rapidement un sentiment d'exclusion.

Dès 1938, les relations entre les membres du bureau se tendent et les conflits ouverts se multiplient après l'élection d'Henri Vendel comme président de l'ABF. L'animosité grandit car l'ABF développe des initiatives en faveur de la lecture publique. Les attaques deviennent plus personnelles. Au printemps 1938, Georgette et Eric de Grolier publient dans la Revue du livre et des bibliothèques de l'ADLP une série d'articles proposant un plan d'organisation des bibliothèques complètement différent. Revenant sur le modèle américain qui avait commencé cette petite révolution, le plan refuse les circonscriptions administratives comme cadres du système français. Le territoire est découpé en circonscriptions spécifiques suivant deux critères : géographique et économique (la zone d'attraction des centres urbains), et technique (le rayon d'action quotidien d'un bibliobus).

L'année 1939 marque un déclin de l'association. En janvier, Georgette puis Éric de Grolier démissionnent du bureau. Leur attitude jusqu'au boutiste met à mal la confiance des autres membres du bureau de l'ADLP qui s'interrogent par ailleurs sur « leur ardeur guerrière envers l'ABF »5 et refusent leur démission. Fin avril, Louis-Marie Michon, bibliothécaire en chef à la Réserve de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, tente de décrédibiliser l'ADLP en soulignant le respect des statuts de l'association. Les de Grolier répliquent avec le document « Mesures à prendre pour faire face à la crise de l'ADLP » qui vise à mieux définir le champ d'action de l'association tout en élargissant son recrutement aux petites bibliothèques. Mais surtout, en mai 1939, le bureau décide d'écarter Henri Vendel6. Cette décision suscite l'incompréhension. De nombreux membres démissionnent lors de l'assemblée générale convoquée fin juin et Louis-Marie Michon en profite une nouvelle fois pour souligner les irrégularités dans les procédures de vote.7

Détail des mesures pour surmonter la crise de l'ADLP. Document non daté mais probablement rédigé en mai 1939.

Télégramme de Georges Collon demandant aux de Grolier de revenir sur la décision d’exclure Henri Vendel de l’association.

Lettre de convocation à l'assemblée générale exceptionnelle du 29 juin 1939 en vue de la modification des statuts de l'ADLP accompagnée d'un bulletin de vote pour la désignation de nouveaux membres du bureau.

Courrier de Louis-Marie Michon adressé au président de l'ADLP daté du 22 juin 1939.

Le début de la guerre interrompt les activités de l'ADLP. Néanmoins, les de Grolier parviennent à publier un dernier numéro de la Revue du livre et des bibliothèques. Alors que l'occupant dissout les associations professionnelles, les démissions au sein de l'ADLP se multiplient dont celle d'Édouard Dolléans.
Dans une dernière tentative, les de Grolier essaient de sauver l'association en l'orientant vers un « centre d'études sur la lecture et le livre ». Mais les derniers membres de l'association souhaitent sa dissolution. Après la démission des de Grolier, la dissolution est votée lors de l'assemblée générale du 7 octobre 1941. Certains membres rallient l'ABF, tandis que les de Grolier rejoignent l'Union Française des Organismes de Documentation.

1939, beaucoup de portes qui se ferment, d'autres s'ouvrent.

En 1939, le monde s'intéresse lui aussi de plus en plus à la lecture publique. Le Congrès de la Fédération Internationale des Associations de Bibliothécaires se déroule cette année-là à La Haye, l'UFOD participe au Congrès de Zurich, une série de conférences sur la documentation est réalisée à la maison de la Chine. On note aussi qu'Henri Lemaître écrit son Vocabulaire Technique du bibliothécaire.

Néanmoins, 1939 voit aussi se déclencher la Seconde Guerre mondiale qui vient bouleverser tous les préétablis. La revue Archives et Bibliothèques est arrêtée, un Centre de lecture en temps de guerre8 est créé (des bibliothèques portatives d'environ 100 volumes pour les soldats au front). Le Congrès de lecture de Lille de juillet est notamment reporté puis finalement annulé.

La documentation avait fait des progrès considérables grâce à l'expérimentation des techniques et outils mis en études par les associations, effectuée dans des institutions privées comme l'Institut Scientifique de Recherches Économiques et Sociales. L'annonce des hostilités en 1939, suivie en peu de temps par l'Occupation des troupes allemandes, mirent fin pour quelques années à la coopération internationale.


1 Hind Bouchareb, La lecture publique en débat, École des Chartes, 2012, p. 210.

2 Lettre de Georgette de Grolier à Jean Zay, 17 juin 1936. Cité dans Hind Bouchareb, La lecture publique en débat, École des Chartes, 2012, p. 219.

3 Hind Bouchareb, La lecture publique en débat, École des Chartes, 2012, p. 213.

4 Double de la déclaration d'association à la préfecture par Georgette de Grolier, 18 août 1936. Cité dans Hind Bouchareb, La lecture publique en débat, École des Chartes, 2012, p. 214.

5 Hind Bouchareb, La lecture publique en débat, École des Chartes, 2012, p. 336., note 973.

6 Hind Bouchareb, La lecture publique en débat, École des Chartes, 2012, p. 340., note 985.

7 Hind Bouchareb, La lecture publique en débat, École des Chartes, 2012, p. 340., note 989.

8 Extrait de Noë Richter, La lecture & ses institutions, 1919-1989, Plein Chant, Collection de l’Atelier furtif, 1989, p. 59.