Océane Chauvet

Etudiante en 2ème année de master Politique des Bibliothèques et de la Documentation, Océane Chauvet est partie à Montréal, Canada pour un semestre d’échange universitaire à l’École de Bibliothéconomie et des Sciences de l’Information (EBSI), co-financé par la Région Auvergne Rhône-Alpes. À cette occasion, elle a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions.

Océane Chauvet : Penser les espaces, les réseaux et le management

Dans l’université où vous faites votre programme d’échange, pouvez-vous nous décrire en quelques mots le cours qui vous a le plus intéressée ?

Durant mon semestre d’échange à l’EBSI, j’ai suivi quatre cours. Et le cours qui m’a le plus intéressée est mon cours d’introduction à la gestion des services. Ce cours fait partie du programme obligatoire des élèves de première année de Master. Il est l’introduction du cours de gestion de projet. Il est donné par l’ancienne responsable du réseau des bibliothèques de la ville de Montréal. L’objectif de ce cours est de donner aux élèves les bases de la fonction de manager et de gestionnaire de bibliothèque. Les élèves sont donc formés aux divers aspects du management : la gestion d’équipe (communication, gestion de carrière …), la communication avec les tutelles et la gestion de l’image de la bibliothèque.

En plus de nous apprendre les théories de la gestion et du management, la professeure nous a formé à la gestion et à la communication de crise. Pour cela, en plus des aspects théoriques du cours, nous faisions des analyses de situation et nous débattions des outils à utiliser, des actions à mettre en place pour résoudre les crises (par exemple : comment réagir en cas de conflit au sein de l’équipe de la bibliothèque, en cas de problème avec la tutelle, etc.). Il s’agit d’un aspect important du travail de gestionnaire et j’ai trouvé cela vraiment passionnant et très instructif.

Au-delà de l’aspect de la gestion de crise, nous avions pour travail de session de créer un projet d’établissement fictif et de défendre le projet auprès de notre tutelle. Pour cela, nous devions constituer un dossier, établir un budget, trouver les arguments pour prouver la nécessité de ce projet.

Ce cours a été le plus intéressant pour moi car il a complété les connaissances que nous avions acquises durant la gestion de projet l’année dernière. Il m’a permis d’acquérir des connaissances théoriques de management et de savoir de quelle manière communiquer.

 

Dans votre cursus, pouvez-vous nous décrire un concept qui vous paraît vraiment différent de la France ?

Durant ce semestre, le concept qui m’a le plus intriguée et étonnée est celui exposé par le directeur du réseau des bibliothèques de la ville de Québec. Dans le cadre d’une conférence donnée pour notre cours de Gestion des collections, il nous a présenté la manière dont les collections étaient gérées sur le réseau.

Il y a 5 ans, les dirigeants du réseau ont constaté que le prêt entre les différentes bibliothèques du réseau ne fonctionnait pas correctement et que les transports pour ramener les documents à leur bibliothèque d’origine étaient en constante augmentation et donc que tout cela était bien trop compliqué à gérer. Il a donc été décidé de proposer une nouvelle forme de gestion des collections sur l’ensemble du réseau.

En effet, la collection est vue comme une seule entité divisée en 25 lieux. Les acquisitions sont globales pour toutes les bibliothèques même si dans certains lieux, il y a des collections spécifiques et thématiques ; pour la littérature, la jeunesse ou les documentaires, la collection est commune a toutes les bibliothèques. Selon le directeur, cette vision de la collection trouve son sens à Québec car la ville présente moins de multi culturalité qu’à Montréal, la population est plus homogène et 95% des habitants parlent le français. Certaines bibliothèques ont donc des collections particulières mais ce sont des micros collections.

Avec cette vision des collections, le réseau propose donc le développement d’une collection flottante. Ainsi, un document emprunté à la bibliothèque X, peut être rendu dans n’importe quelle autre bibliothèque du réseau. Jusque-là rien de bien nouveau, ce qui l’est c’est que ce document ne sera pas ramené à sa bibliothèque de départ mais restera dans la bibliothèque où il a été rendu jusqu’à être réemprunté et rapporté dans une autre bibliothèque. Ainsi, il fait partie de la collection de la ville et non de la collection d’une bibliothèque en particulier. Pour mettre ce système en place, le réseau a effectué un gros travail de normalisation et d’homogénéisation des collections : toutes les bibliothèques indexent, cataloguent, rangent et classifient les documents de la même façon. Cette collection flottante permet un roulement de la collection de manière naturelle. L’avantage est que ce fonctionnement donne l’impression aux usagers que le taux de renouvellement des collections est plus important qu’avec les seules nouveautés. De plus, la collection se fait naturellement à travers les goûts des usagers : ils constituent eux-mêmes leurs collections par leurs centres d’intérêts et participent donc inconsciemment à la constitution des collections de la bibliothèque.

 

Si vous avez visité une bibliothèque, pouvez-vous nous raconter une chose que vous avez trouvé particulièrement intéressante ?

Lors d’un voyage à Québec, j’ai eu l’occasion de visiter la bibliothèque Saint-Jean-Baptiste dont la particularité est d’être située dans une ancienne église anglicane. En effet, au Québec, la pénurie de bâtiments oblige depuis quelques années le gouvernement à réquisitionner les églises afin de les transformer en logements ou en bâtiments municipaux ! En raison de son importance historique, l’église a été classé monument historique avant d’être acheté par la ville de Québec pour la somme symbolique de $1 afin d'y aménager une bibliothèque. La bibliothèque a ouvert ses portes en mai 1980.

Ainsi, la bibliothèque doit se conformer aux contraintes d’un bâtiment vraiment particulier : peu d’espace disponible, luminosité particulière, et zones non accessibles au public à cause de leur importance historique (les vitraux datent de la deuxième moitié du XIXe siècle), la chaire, les fonts baptismaux en marbre, le chœur et l'autel ont été conservés). Lorsque l’on rentre dans la bibliothèque, l’atmosphère y est quelque peu étrange : le mobilier a été pensé pour respecter la fonction originelle du lieu : étagères et meubles en bois, lumières basses, le silence y est complet et l’ambiance y est feutrée. On se croirait plus dans une bibliothèque d’étude que dans une bibliothèque municipale. L’intérêt de cette bibliothèque réside dans la manière dont les bibliothécaires ont réussi à transformer un bâtiment atypique en bibliothèque municipale avec toutes les contraintes que cela comporte en termes d’aménagement des espaces et même de représentation de l’institution « bibliothèque » au Québec (surtout quand on sait l’influence qu’a eu la religion sur le développement de la lecture publique au Canada).

Pour aller plus loin sur l'histoire des bibliothèques au Québec et plus particulièrement le rapport entre le développement des bibliothèques publiques et l'influence de l'Eglise catholique, voici quelques ressources :

  • Marcel Lajeunesse, « Le bibliothécaire québécois : d’un homme de lettres à un professionnel de l’information », Documentation et bibliothèques, 51, 2 (avril-juin 2005), p. 139-148.
  • Marcel Lajeunesse, « Bibliothèques publiques au Québec : une institution stratégique pour le développement culturel », Bulletin des bibliothèques de France, 54, 3 (2009), p. 64-72.
  • Réjean Savard, « Le discours sur la lecture et l’évolution des bibliothèques publiques au Québec de 1850 à 1950 », Argus, 26, 2 (automne 1997), p. 19-27. (Disponible en texte intégral à partir de la base de données Repère)