La transformation publique, c’est maintenant ?

yves alix

Le rapport « Action publique 2022 » ou « Cap 22 », l’Arlésienne de l’été [1], comprenait au moins deux propositions intéressant grandes écoles et établissements d’enseignement supérieur : la huitième, « Réduire les inégalités et placer la France dans les dix meilleurs systèmes éducatifs mondiaux », et la neuvième, « Augmenter et améliorer l’accueil dans l’enseignement supérieur en différenciant l’offre ». Si la première des deux, osons l’écrire, relève du vœu pieux, compte tenu de l’état dudit système éducatif, la seconde part de constats réalistes et peut, sous réserve de l’adéquation des mesures aux objectifs, aboutir à des résultats. Mais est-on encore, à ce niveau d’intervention, dans la grande ambition de « réforme de l’État » annoncée ? Celle-ci est plutôt à chercher dans les premières propositions du rapport : refondation de l’administration (1), nouveau contrat social (2), dématérialisation du service public (3 et 4). Sans oublier la vingtième, à citer in extenso : « Mettre un terme à toutes les interventions publiques dont l’efficacité n’est pas démontrée ». Que le lecteur me pardonne, mais cette mâle détermination fait un peu sourire : on tient ce discours quasiment depuis que l’État moderne existe et les Archives débordent pourtant de témoignages, grotesques ou dramatiques, de l’inefficacité de l’intervention publique. A moins que la proposition soit une manière particulièrement alambiquée d’annoncer un désengagement général de l’État ? Ce serait faire un procès d’intention.

L’été a fini par s’en aller (tardivement, on le regrette déjà), mais la réforme de l’État est restée. A l’occasion d’un récent « comité interministériel de la transformation publique », le Premier ministre a présenté les feuilles de route des ministères,  « nourries par les travaux du comité action publique 2022 » et constituant ce qui ressemble à « un véritable programme de gouvernement en listant les réformes à conduire dans tous les secteurs de l’action publique, et pas uniquement en ce qui concerne la réforme de l’Etat stricto sensu »[2]. On peut se faire une idée déjà assez complète des chantiers lancés sur le site Vie publique, dont les ressources s’enrichissent chaque jour[3].

Parmi les projets annoncés, un a retenu toute mon attention – et je gage que beaucoup de mes homologues, directrices et directeurs de grandes écoles, présidentes et présidents d’universités, l’auront également remarqué - : la création « d’une université de la transformation publique […] pour former des cadres ». Mais, cher État que j’aime tant, comment te dire ? L’objet n’existe-t-il pas déjà ? Les grandes écoles ne sont-elles pas là précisément pour former les cadres de demain, adaptés au monde de demain ?

Pour ne prendre qu’un exemple (au hasard) : l’Enssib. Elle forme les cadres des bibliothèques de l’État et de la ville de Paris[4], et ne cesse, depuis sa création, d’adapter ses formations aux évolutions, de plus en plus rapides et profondes, des métiers des bibliothèques. La dématérialisation des contenus, le web de données, le big data, la science ouverte, la pratique des outils et des ressources numériques, mais aussi l’égalité d’accès à ces ressources, la formation et l’accompagnement des usagers à leur utilisation éclairée, tout cela est le pain quotidien de nos enseignants et de nos élèves. L’université de la transformation publique existe déjà, c’est un réseau de compétences réparti sur tout le territoire. Celles et ceux qui l’animent doivent relever chaque jour le défi de cette transformation, condition même de leur survie. 

Yves Alix

 

[1] https://www.lagazettedescommunes.com/575195/le-rapport-cap-2022-a-telecharger/ 

[2] Benoît Floc’h, Le Monde, 29 octobre 2018 : https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/10/29/reforme-de-l-etat-une-feuille-de-route-pour-chaque-ministere_5376158_823448.html 

[3] http://www.vie-publique.fr/th/acces-thematique/reforme-etat.html

[4] L’Inet, qui forme les conservateurs territoriaux, est dans la même situation, et a transformé ses formations avec la même vigueur.