Jérôme Pouchol

Jérôme Pouchol est conservateur des bibliothèques. directeur de la politique documentaire et des systèmes d’information du réseau des médiathèques Ouest Provence, il est aussi maître de conférences associé à l’université Grenoble Alpes. Membre du groupe scientifique Poldoc et animateur du blog Bambou, il est l’auteur de plusieurs publications et communications professionnelles, parues notamment dans le BBF et la collection La Boîte à outils.

Rencontre avec Jérôme Pouchol, directeur de la politique documentaire des médiathèques Ouest Provence

Jérôme Pouchol a dirigé l’ouvrage Mutualiser les pratiques documentaires : bibliothèques en réseau publié aux Presses de l’Enssib. Responsable du stage de formation continue « La mutualisation des pratiques documentaires », Jérôme Pouchol  nous parle de la « poldoc », discute projets éditoriaux et évoque la mémoire de Bertrand Calenge dont il a coordonné l’édition du blog, Calenge par Bertrand, parcours de lecture dans le Carnet d’un bibliothécaire, dans la collection La Numérique.

 

Vous encadrez un stage de formation continue à l’Enssib sur la mutualisation des pratiques documentaires. Pouvez-vous en dire plus sur la portée de ce stage ?

Ce stage présente l’intérêt de prolonger l’expérience éditoriale proposée par la collection La Boîte à outils. Il permet d’assurer une continuité dans l’ingénierie de formation en lien avec les documents d’édition. C’est un travail de transposition didactique, puisqu’il y a une portée pédagogique avec le choix d’intervenants ayant en partie contribué à l’ouvrage et de contenus qui en sont issus. Ce stage s’imprègne de l’esprit de La Boîte à outils, une collection à dimension expérientielle étant donné qu’elle restitue des expériences sur le terrain de professionnels des bibliothèques.

 

À l’heure de la « rentabilité sociale » des bibliothèques et du développement des « communautés », quelle place occupe la politique documentaire aujourd’hui ?

La demande de formation en politique documentaire est aujourd’hui très forte. En tant que formateur, je suis souvent contacté à ce sujet et j’ai dû apprendre à dire « non » à des sollicitations. Cette attente s’explique par un certain nombre de raisons. Il y a la question de l’intégration du numérique dans les collections et du sort des bibliothèques hybrides qui se pose chez tout bibliothécaire patenté. L’enjeu majeur repose dans la mutualisation des équipements et des collections à opérer dans le cadre de la mise en réseau des établissements dans un contexte intercommunal. Et dès lors qu’il devient nécessaire de fusionner des collections, toute bibliothèque n’ayant pas mis en place de politique documentaire va se retrouver devant le fait accompli et cela reviendra à mélanger tout et n’importe quoi. Qu’en est-il des doublons, des angles morts, de la cohérence de l’offre dans l’accès de l’usager à l’ensemble des catalogues ? J’ai entendu dire que les collections n’avaient plus de raison d’être, qu’elles pourraient être supplantées par les services et les communautés. J’estime au contraire que leur existence est indispensable, et qu’elles doivent être justement envisagées en tant que services. C’est cette acception-là qui doit leur être attribuée. À quoi servent-elles sinon à rencontrer des utilisateurs ? Le cas des communautés est corrélé à la politique documentaire puisque nous visons aussi les communautés d’intérêt à travers les services documentaires que nous offrons et qui passent notamment par les collections.

 

Vous avez dirigé le n° 38 de La Boîte à outils, un ouvrage écrit à plusieurs mains. Qu’est-ce qui vous a donné envie de prendre part à ce projet collaboratif ?

Dans tout projet éditorial réside une dimension réflexive très stimulante, qui requiert une certaine forme de distanciation afin de prendre de la hauteur. Construire l’ouvrage nécessite une équipe, et donc un choix de contributeurs intéressant à réaliser car il implique forcément des échanges et des rencontres à venir. C’est aussi faire appel à des ressorts méthodologiques, avec la construction du projet, le respect de la ligne éditoriale de la collection, mais aussi techniques, avec l’architecture de l’ouvrage et la constitution d’éléments à ne pas négliger, comme le paratexte. C’est un travail collaboratif qui, en plus de la relecture et de la correction, nécessite de faire preuve de diplomatie lorsqu’il s’agit de faire des retours aux contributeurs. Tous ces aspects en font une expérience très enrichissante.

 

Vous avez aussi coordonné l’ouvrage des Presses de l’Enssib réalisé à partir du blog de Bertrand Calenge, un des pionniers de la politique documentaire. Comment est né ce projet « du blog au book » ?

J’ai été contacté par Muriel Amar, qui dirige la collection La Numérique, pour assurer la direction scientifique de ce livre [cette publication numérique gratuite fait l’objet de la prochaine rencontre des « Carrefours de l’information » à la fondation Gulbenkian de Paris, le 26 novembre 2018, N.D.L.R.]. Le blog de Bertrand Calenge est d’une grande richesse, et le laisser disparaître dans les tréfonds d’internet nous paraissait dommageable pour la profession. C’est un blog qui a non seulement permis à ce grand professionnel de diffuser sa réflexion, mais aussi à des professionnels d’y contribuer au moyen de leurs commentaires. Ce contenu et ces interactions en ont fait un capital de pensée qui méritait que nous nous en emparions afin d’assurer sa postérité. Cet ouvrage est aussi un moyen de lui octroyer une nouvelle visibilité à travers le regard d’un certain nombre de contributeurs ayant connu Bertrand Calenge ou participé à la vie du blog. Cela restera une expérience marquante dans ma vie professionnelle, c’est pourquoi je souhaite remercier infiniment Muriel Amar et Catherine Jackson de m’avoir permis de réaliser ce projet inédit dans le fond et original dans la forme.

 

Quelles différences avez-vous observées dans la direction de ces deux ouvrages aux contenus bien distincts ?

L’objet éditorial est différent mais ils ciblent concrètement les mêmes publics de professionnels. La collection La Boîte à outils offre des retours d’expériences concrets dans une logique de réflexion globale sur une thématique dans chaque titre. Il y avait donc des enjeux à définir en matière de mutualisation des pratiques documentaires, de mise en réseau et de transversalité. En ce qui concerne l’ouvrage sur le blog, il a une orientation plus dialectique en raison du débat entre pairs suscité par les commentaires. Le but était de retranscrire la vitalité de la pensée professionnelle de Bertrand Calenge et de mettre l’accent sur les questionnements qui se posent dans la profession, à partir d’interactions autour de ses travaux.

 

Que retenez-vous de votre intervention à l’Enssib ?

Nous avons la chance, avec l’Enssib, d’avoir un éditeur spécialisé avec des dispositifs éditoriaux aussi précieux que les collections de La Boîte à outils ou La Numérique. Les Presses de l’Enssib nous permettent de dire la vie d’un métier, de nourrir la profession, de développer la réflexion professionnelle en la partageant et de vivre des expériences éditoriales enrichissantes. J’espère que ces outils seront non seulement maintenus, mais encore plus développés au sein de l’école car ils sont d’une grande utilité pour le métier.

Propos recueillis par Karim Guerda