Inauguration de l’exposition Vanités

Exposition Vanités de Julien Minard. Du du 4 décembre 2018 au 11 janvier 2019 à l'Enssib.

Inauguration de l’exposition Vanités

Julien Minard est né 1978, il vit à Lyon, ville que l’on sait attirée par l’orient, la Chine en particulier. 

À l’âge de 19 ans, il commence à pratiquer la photographie. À 23, il est diplômé ingénieur en construction mécanique à l’INSA puis devient agrégé en arts plastiques quatre ans plus tard. À la suite de ce parcours, il séjourne un an en Inde, entre 2007 et 2008 d’où il ramène ces photos du Palais de Prag Mahal, à Bhuj, près de la frontière pakistanaise. 

Mais ce soir, malade, il ne peut se joindre à nous. Reste donc le choix de parler de l’Inde (ce jour marque le 149e anniversaire de l’interdiction du sacrifice des veuves par William Cavendih Bentink) ou d’en regarder ces quelques images.

 

L’exposition de Julien Minard montre que la photo n’est pas seulement une affaire de cliché, mais d’abord « une lecture du monde » comme l’a écrit Robert Pujade dans l’opus 17 de la collection 16 ½, publié par Domus pour la première présentation de cette exposition en 2012. La photo, c’est aussi une manière de représenter le monde et d’en manipuler la chimie, en l’occurrence ici par le noir direct de la ziatypie, un procédé de tirage photographique inventé au début des années 1880, qui permet de contrôler les contrastes sans adjonction de grain. Avec Noël Podevigne qui l’a initié aux procédés anciens lors de ses études, et qui se donne sang et eau pour faire vivre la photo, Julien Minard s’inscrit dans une longue lignée d’inventeurs, soit de leurs procédés de prise de vue, soit de modes de restitution des images.

Les gris vaporeux et très nervaliens de ces Vanités constituent un complément naturel aux cyanotypes de Marie Bienaimé et Sandrine Laroche dont Le Chemin effacé est simultanément exposé à la galerie Domus, sans laquelle cette exposition n’aurait pu avoir lieu. Merci à Marie-Noëlle Taine.

 

Revenons à Julien Minard dont les images expriment une Inspiration très intérieure que traduisent plusieurs des titres de ses expositions : Vanités, Vestiges, Ailleurs, Silence ou presque, État des lieux, Portraits situation, Sleepers. Le voyage y tient une large part, le Japon par exemple, mais l’Inde revient souvent. Les Vanités que nous donnent à voir ces photos d’un palais sinistré sont comme autant de facettes que peut faire miroiter le regardeur et que l’on peut, de manière oulipienne, égrener en reprenant les titres de l’œuvre entier de leur auteur.

 

Ailleurs. Le décor est dépaysant, comme un livre de la jungle redevenu poussière, impression que donnent aussi, par exemple, les catacombes siciliennes ou le culte des morts malgaches, ces traditions où la mort fait encore partie du vivant.

 

Vestiges. On le voit par ces lambeaux, de peau biologique ou minérale, qui confinent parfois à la microphotographie : vestiges de bâtiments, d’animaux surtout. Depuis, ce genre photographique consacré aux ruines, y compris industrielles, s’est développé avec les mouvement URBEX. Ici, nous avons en quelque sorte affaire à un HINDEX, approprié à une école telle que l’Enssib…

 

Sleepers. (Bien qu’il s’agisse en anglais des voitures couchettes). Tout s’est endormi comme dans le conte. Nous entrons dans un songe comme par effraction, impression qu’accentuent les bords estompés des tirages dus à la délicate technique de la ziatypie. Au contraire des créatures hurlantes des films d’horreur, ces ruines de vivants gueule bée nous rappellent à notre propre fin.

 

Vanités. Cette œuvre s’inscrit dans une continuité dynamique, des danses macabres médiévales à Ligier Richier, dont le transi tend son cœur au ciel, jusqu’aux tableaux de genre de l’époque moderne et même à l’emploi mémoriel de la photo que l’on retrouve chez Boltanski, par exemple. Contraste aussi pour un pays tendu entre la philosophie de l’impermanence des choses et celle du système de castes et de l’équilibre du monde, supposé immuable.

 

Silence ou presque. Ces animaux rugissant d’une voix depuis longtemps éteinte sont autant de manifestation du surmoi, R. Pujade écrit encore : « le maharadja Pragmalji avait entassé vers la fin du 19ème siècle les trophées naturalisés de ses captures de chasse qui représentaient sans doute pour lui les avatars de ses vies antérieures ou les figures de ses réincarnations possibles ». On peut aussi y retrouver nos animaux familiers de l’héraldique, les totems, qui incarnaient les qualités de leur propriétaire.

 

Portraits situation. Bien que les humains soient rarement représentés (voyez cependant la mise en abime du portrait peint d’un prince), la présence du photographe nous permet de nous envisager nous-mêmes déambulant dans ce qui incarna le faste et dont ne reste que l’hébétude, celle de l’homme à la tête d’hippopotame (plus exactement qui pose à côté d’une tête d’hippopotame).

 

La vanité déjouée, c’est ce qui nous permet de voir par l’œil du voisin ce que nous ne savons pas voir. Et c’est aussi l’intérêt de l’art de permettre, sinon un commentaire, du moins une divagation pour vous parler d’un artiste absent, non par vanité mais par contrainte.

 

André-Pierre SYREN