La loi, dure ou floue ?

yves alixDans l’effervescence du climat actuel – un comprimé de réformisme se dissout-il aisément dans un bain de liquide insurrectionnel ? – deux textes législatifs doivent retenir l’attention des écoles de service public et, plus largement, des établissements d’enseignement supérieur. Le premier est le projet de loi « de transformation de la fonction publique », qui devrait venir en discussion au parlement très bientôt. Le second est la « loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel[1] » promulguée le 5 septembre 2018 et qui réforme en profondeur l’apprentissage et la formation professionnelle.

Commençons, en toute logique, par cette dernière. On en a surtout retenu la transformation du DIF en CPF, compte personnel de formation, valorisé en euros, ainsi que le soutien renforcé aux dispositifs d’apprentissage, à l’alternance et à la reconversion. Mais, vu des organismes de formation, la grande nouveauté de cette réforme est celle de la gouvernance. Une nouvelle agence placée sous la tutelle du ministère du travail, France Compétences, sera en charge de réguler la qualité de la formation et de répartir les fonds, dont la collecte, anciennement opérée par les Opca[2], sera prise en charge par l’Urssaf. La nouvelle agence aura aussi la charge d’établir et d’actualiser le répertoire national des certifications professionnelles. Les Opca, quant à eux, deviennent des opérateurs de compétences (Opco), gérés par les partenaires sociaux. Ces nouveaux opérateurs aideront les entreprises et les branches à anticiper leurs mutations technologiques. Une nouvelle contribution unique relative à la formation professionnelle et à l’apprentissage se substituera à l’actuelle taxe d’apprentissage, ainsi qu’à la contribution relative à la formation professionnelle continue.

 

Pour tous les organismes dont l’activité principale n’est pas la formation professionnelle continue –c’est le cas de l’Enssib, mais aussi des universités -, le défi de cette réforme complexe sera de trouver leur place, légitime, au milieu d’opérateurs historiques qui pourraient bien ne pas la juger telle. Or, le texte est un vrai maquis et son application ressemble à un escape game conçu par un sadique. La volonté de réforme a abouti, une fois encore, à rajouter « une couche de simplification » au millefeuille. On doit s’en désoler. Mais il faudra pourtant relever le défi, pour répondre aux besoins des professionnels des bibliothèques et de la documentation. L’enjeu est celui de la transmission des compétences et des expertises métiers, rien de moins.

 

Autre texte, autre jeu : le projet de loi « de transformation de la fonction publique » sème les énigmes au fil des articles. Pour les écoles de service public, c’est pourtant bien le moment de redoubler d’attention. L’article 20 du projet, paragraphe IV, prévoit en effet que « dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnances, dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi visant à : 1° Organiser le rapprochement et modifier le financement  des établissements publics et des services de formation des agents publics ;  2° Améliorer et harmoniser la formation initiale et continue, notamment en matière d’encadrement, des agents publics de catégorie A. » Bref, nos écoles sont à l’orée d’une réforme qui pourrait bien être historique. L’article 20, IV, ressemble à une boîte. Si fermée, pour l’instant, que personne ne sait ce qu’il y a à l’intérieur. Fasse le ciel, lorsqu’on l’ouvrira, qu’elle ne nous éblouisse pas à la manière de celle d’En quatrième vitesse. Mortellement[3].

 

Post scriptum :  J’écris cet éditorial mardi 16 avril 2019. Qu’on me permette, en signe d’espoir, de citer Nerval :
Notre-Dame est bien vieille. On la verra peut-être
Enterrer cependant Paris qui l’a vu naître
.

Blessée, mais vivante. La prophétie du poète pourra toujours se réaliser.

Yves Alix

 

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[1] Loi n°2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Voir la présentation du texte sur le site Service public.

[2] OPCA : opérateurs paritaires collecteurs agréés.

[3] Kiss Me Deadly, film américain de Robert Aldrich, 1955.