Inauguration des expositions de Rémy Mathieu

"Architectures en pointe" et "Paysages habités": exposition de Rémy Mathieu
Du 6 octobre au 11 décembre 2020.

La contrainte est créatrice ! Ou plutôt devrais-je parler ce soir de "contrainte libératoire", possédant au final un peu plus d’affinités avec Raymond Queneau qu’avec Joseph Schumpeter, même s’il faut reconnaître que celui-ci s’efforçait de trouver quelque utilité à la destruction, quand celui-là introduit une dimension ludique de jeu avec les règles.

Nous inaugurons ce soir, sous un ciel sombre, l’exposition d’un coloriste de ciels gris.

Contrainte n°1.

Déjà, nous inaugurons ! Ce qui est une forme de résistance en soi, d’obstination à reprendre la vie courante. Une insistance qui force quelque peu le destin puisque nous accueillons ce soir, non pas seulement la série prévue dans le partenariat avec la galerie Domus, mais encore celle qui ne peut se tenir chez nos amis de Lyon 1 dont l’espace d’exposition n’est toujours pas accessible.
Vous trouverez donc « Architectures en pointe » au rez-de-chaussée, tandis que les « Paysages habités » se trouvent au second étage. Je remercie d’ores et déjà l’université Lyon 1, Marie-Noëlle Taine et Noël Podevigne d’avoir mis tout en œuvre, en acceptant l’invitation de Nathalie Marcerou-Ramel, pour honorer le contrat passé avec Rémy Mathieu en vue d’une double exposition, prévue de longue date pour cette rentrée, notamment en assurant en un temps record la réalisation d’un nouveau catalogue de la collection 16 ½ qui présente les deux séries proposées.

Contrainte n°2

Puisque, une fois n’est pas coutume, je commence par les remerciements, je me tourne derechef vers Nathalie Toczé qui vous a aidé à l’accrochage et vers Danièle FLEURY et Julia MORINEAU qui ont conduit ce projet et se sont adaptées à son doublement. Il faut de surcroît que je vous les désigne d’emblée car vous ne pourrez pas les remercier lors du moment convivial qui suit ordinairement les inaugurations. Le coronavirus, vous le savez, interdit certaines formes de partage ; le sachant, j’espère nonobstant conserver votre attention quelques instants encore. Néanmoins, je précise que cette inauguration, sous contrainte donc, respecte la contrainte du PRA de l’Enssib dans la mesure où nous portons tous un masque, d’une part, et que, en règle générale, vous n’êtes pas invité.es à toucher les œuvres (mais il y a eu des exceptions avec certains livres d’artistes). Nous vous y invitons encore moins ce jour avec les mains enduites de gel hydro-alcoolique.
Mais peut-être certains photographes se sont-ils déjà essayés à l’emploi de cette substance à l’instar de tant d’autres expériences faites par les chimistes pour révéler une image.

Contrainte n°3

Celle-ci est une contrainte récurrente mais elle aussi redoublée. Il me faut vous présenter Rémy Mathieu sans plagier les analyses pertinentes et toujours argumentées de Robert Pujade. Je ne vous parlerai donc pas des rapports qu’entretien l’ouvre de Rémy Mathieu avec la Nouvelle Objectivité en photographie. Robert Pujade nous en dira quelques mots, et les visiteurs peuvent retrouver les textes qu’il a composés pour le catalogue à l’entrée de chacune des expositions.

Clinamen, dérogation à la contrainte, surgissement du hasard…
Non, il n’est pas nécessaire de venir de la région Grand Est , comme vous aussi, me suis-je laissé dire (une ascendance alsacienne et vosgienne) pour pouvoir être présent à l’Enssib. Pour les curieux : recherchez dans la série des « Paysages habités » ce qui est lyonnais, ce qui est alsacien !

Contrainte n°4

On sait qu’un des premiers films des frères Lumière est « L’arroseur arrosé ». C’est le risque de ce speech. L’Enssib accueille un photographe qui est aussi galeriste à la Croix-Rousse, dans une institution dont le nom « Vrais Rêves » fait référence au titre du livre publié en 1976 par le photographe américain Duane Michals, qui fut aussi le premier exposé en 1980. En plus d’enseigner la photo, vous dirigez cette galerie depuis 35 ans et vous venez dans une école qui n’en n’a que 28, où l’histoire du livre est importante. Mais il était dit que la tradition des ateliers photographiques lyonnais se conjuguerait à celle des imprimeurs, chacun voit que la charge de noir constitue une composante majeure de votre travail.

Contrainte n°5, la formation

J’évoquais tout à l’heure la chimie et son rôle dans l’histoire de la photographie. Vous n’êtes pas chimiste mais mécanicien à l’origine, avec un BTS de construction mécanique. Vous auriez pu, dans l’optique, si j’ose dire, précédente, vous tourner vers la gravure mais vous avez préféré l’incise de la lumière à celle du burin, ou de la pointe sèche. Ce travail de physique de la lumière n’apparait peut-être pas au premier regard, car le spectateur interroge l’image, mais il se révèle avec l’exposition de la série. Il faut rappeler à ce stade que vous avez été lauréat de la première édition du prix que la société Broncolor a organisé pour les élèves de l’École nationale de la photographie d’Arles dont vous avez été élève entre 1985 et 1988 Le but de ce prix est de mettre en valeur la maîtrise de la technique de l’éclairage et sa récompense, alors, une chambre qui a servi pour ces séries.

La contrainte dans la contrainte n°6

Pour Queneau « L’ inspiration qui consiste à obéir aveuglément à toute impulsion est en réalité un esclavage. Le classique qui écrit sa tragédie en observant un certain nombre de règles qu'il connaît est plus libre que le poète qui écrit ce qui lui passe par la tête et qui est l'esclave d'autres règles qu'il ignore." Les visiteurs des deux expositions auront l’impression d’une contrainte forte. On ne peut pas dire qu’il n’en soit rien, mais, en quelque sorte, qu’il en est moins. À vos débuts, déjà tournés vers la photographie d’architecture et les sites industriels, vous vous imposiez des règles plus fortes encore (dogme, employez-vous) en imposant un cadrage frontal, sans perspective.

Second clinamen, de l’artiste
Vous écrivez dans votre présentation d’« Architectures en pointe » (2002-04) : « Revenant à une photographie d’architecture plus urbaine, je décide d’adopter une vision plus libre bien que toujours très rigoureuse. Ainsi le regard s’élève, et la géométrie des bâtiments s’en trouve bouleversée ».

De quoi la contrainte n° 7 est-elle le nom ?

À première vue, vos paysages sont très peu habités, même dans la série d’architectures. « Habités », c’est pourtant le titre que vous avez donné à la série de pylônes, même si ceux-ci, apprend-on, sont le sujet d’une onomastique attachante : muguet, tête de chat, Beaubourg, Trianon… On ne regarde plus de la même manière ces totems ensuite. La singularité, vous la créez parfois, en créant des paysages fictionnels où, dites-vous, « les pylônes sont déconnectés, esseulés dans le paysage, comme des géants inutiles ».

Je me permets un point de désaccord avec vous. Bien sûr, il y a des liens avec les photographies d’installations industrielles de Bernd et Hilla Becher, mais les leurs sont à mon sens très massives et terriennes. Je rapprocherais votre travail, malgré son apparent ascétisme, des « signes-paysages » d’Olivier Debré : il ne s’agit pas de signes dans le paysage, mais de signes qui construisent une image qui tend à l’abstraction, avec une perspective aérienne. On voit le sujet photographié, puis on regarde les jeux de matières – notamment dans les ciels- auxquels, il faut le dire, les murs de l’Enssib conviennent parfaitement. En ce sens, les deux expositions font paire.

Contrainte n° 8 et dernière : qu’avez-vous à dire pour votre défense ?

Vous avez droit à un avocat !

 

André-Pierre Syren,
Directeur de la valorisation, Enssib