Hélène Manillier Autoportrait

 

Hélène Manillier est médiatrice numérique à Savoie-biblio - Direction de la lecture publique (Conseil Savoie Mont-Blanc)

En savoir plus sur  le master Sciences de l'information et des bibliothèques / Parcours "Politique des bibliothèques et de la documentation" (PBD)

Rencontre avec Hélène Manillier, diplômée du master Sciences de l'information et des bibliothèques en 2021

Dans le mémoire consacré à la lecture publique en zone de montagne qu’elle a soutenu en 2021 à l’Enssib dans le cadre de son master Sciences de l'information et des bibliothèques (parcours Politique des bibliothèques et de la documentation), Hélène Manillier soulignait le rôle des bibliothèques dans la lutte contre l’isolement et dans la sensibilisation aux questions environnementales. Des problématiques auxquelles la crise sanitaire a donné une actualité accrue.

 

1/ Quel est l’impact du contexte particulier au territoire de montagne sur l’offre et le fonctionnement d’un service de lecture publique ?
On observe tout d’abord une grande diversité d’équipements, de personnels, de moyens, de services proposés et de publics desservis qui indique qu’il n’existe pas un profil unique de lecture publique en zone de montagne, tout comme le terme « zone de montagne » ne renvoie pas à un seul profil de territoire. Par ailleurs, les contraintes territoriales - géographiques, climatiques, économiques - génèrent des rythmes et fonctionnements spécifiques dans les zones touristiques, tels que des horaires élargis en saison, des effectifs et services renforcés, une dynamique très marquée selon la période l’année. La distance, contrainte majeure sur ces territoires, est souvent un obstacle à la mise en réseau et au maillage de lieux de lecture. Elle peut malgré tout favoriser l’émergence d’une dynamique entre les acteurs du territoire en raison de la nécessité de maintenir des services locaux à la population. Enfin, l’éloignement des pôles urbains et le coût élevé de la vie en montagne rendent difficile le recrutement de personnels.
 

2/ Vous dites que les bibliothèques en zone de montagne testent des solutions qui pourraient inspirer l’ensemble des bibliothèques. Quelles initiatives particulières avez-vous repérées ?
De nombreuses réalités territoriales nationales se trouvent concentrées et exacerbées en montagne. Territoires urbains ou ruraux, favorisés ou défavorisés, touristiques ou peu attractifs, industriels, agricoles, tous sont représentés. Parmi les initiatives à mettre en valeur, je pense au décloisonnement entre les lieux de vie afin de mutualiser les espaces de convivialité et donc de favoriser le croisement des publics et la visibilité de chaque service. À La Forclaz (74), une auberge communale a réservé avec succès une partie de son espace à un point lecture. Ce type d’initiative, qui n’est pas réservé aux seules communes montagnardes, prend tout son sens sur les territoires marqués par un certain isolement, où les lieux de lecture peineraient autrement à fonctionner de manière indépendante. On peut souligner également l’offre en lien avec les problématiques climatiques et environnementales, sujet particulièrement présent en montagne et dont se sont saisies plusieurs bibliothèques parmi lesquelles la médiathèque de Chamonix (74), qui aborde les thématiques montagnardes sous l’angle global des enjeux climatiques actuels, ou encore le réseau des bibliothèques de la vallée de la Méouge (05), qui a proposé des animations en partenariat avec le Parc naturel régional des Baronnies provençales, ainsi qu’une balade littéraire à la découverte des arbres remarquables en compagnie d’une autrice. La médiathèque de Val d’Isère (73) s’est aussi engagée dans cette voie en recrutant un médiateur ayant des compétences environnementales et qui anime des balades à la découverte de la flore locale, installe une bibliothèque hors-les-murs en été au Lac de l’Ouillette, à 2 500 m d’altitude, produit des chroniques « Nature » diffusées sur la chaîne de radio locale.
 
3/ Comment les bibliothèques contribuent-elles à la recomposition des territoires de montagne ?
Les recompositions des zones de montagne sont multiples, économiques, d’abord, pour les territoires qui pâtissent du déclin de l’activité industrielle ou agricole et pour ceux dont le modèle touristique est fragilisé par la raréfaction de la neige ; écologiques ensuite, car le massif des Alpes enregistre déjà une hausse de plus de 2°C par rapport à sa température au début du XIXe siècle ; démographiques également, entre des territoires qui perdent de la population, surtout en altitude, et d’autres, plus proches des centres urbains, qui connaissent l’installation de néo-ruraux, aisés ou non.
En tant que lieux du savoir et de la culture, les bibliothèques peuvent accompagner ces transformations en étant des centres de ressources donnant accès à une information de qualité. En tant que lieux sociaux, elles ont aussi un rôle à jouer dans l’apaisement de la société en permettant à toutes les populations de se rencontrer et de faire communauté, que l’on soit de passage, résident depuis toujours ou nouvel arrivant. L’échange et la rencontre se révèlent être, avec le prêt/retour, l’usage principal recherché par les publics des bibliothèques de montagne. Enfin, le modèle économique des stations de ski étant de plus en plus questionné, une évolution du tourisme montagnard pourrait trouver un nouveau souffle dans le champ de la culture, un repositionnement dans lequel la bibliothèque, souvent unique lieu culturel ouvert à l’année dans les communes montagnardes, aurait un rôle fort à jouer.

 
4/ En quoi les bibliothèques sont-elles des « laboratoires du tournant environnemental », selon votre expression ?
Cette formule est empruntée aux géographes Jean-Benoît Bouron et Pierre-Marie Georges, qui posent les zones de montagne comme « un laboratoire du tournant environnemental ». Des philosophes comme Baptiste Morizot en appellent à la reconstruction collective d’une « culture du vivant », tout comme on a une culture littéraire ou cinématographique. Les bibliothèques peuvent, elles aussi, être des laboratoires et faciliter ce processus de réacculturation au vivant, d’un point de vue théorique par la mise à disposition de collections documentaires ou l’organisation de conférences et rencontres, mais aussi d’un point de vue sensible en accompagnant les usagers à la rencontre de la flore locale. En s’engageant dans ce type de démarche, les bibliothèques répondraient à un besoin sociétal fort, contribueraient à la transmission d’un savoir générationnel précieux, et favoriseraient l’émergence de nouvelles réflexions et de nouveaux rapports à la nature et au vivant.
 

6/ Vous travaillez vous-même désormais dans un établissement en zone de montagne. Retrouvez-vous les problématiques que vous aviez identifiées dans votre mémoire d’étude ?
Je travaille à Savoie-biblio, Direction de la lecture publique du Conseil Savoie Mont Blanc, qui est la bibliothèque bi-départementale de Savoie et de Haute-Savoie dont une large partie des territoires desservis est effectivement constituée de zones de montagne. On retrouve bien sûr des similitudes entre les éléments avancés dans le mémoire et la réalité de nos territoires, ceci avant tout car cette étude analyse des exemples issus pour moitié des Pays de Savoie. Le constat de l’isolement d’une partie des personnels, de la difficulté à créer des réseaux en zone de montagne, ainsi que la nécessité pour Savoie-biblio d’adopter une posture plus souple pour s’adapter à la réalité spécifique de chaque territoire sont autant d’éléments qui sont actuellement pris en compte dans le cadre de l’élaboration du prochain Plan de développement de la lecture publique. Par ailleurs, les perspectives proposées autour de l’environnement semblent également avoir résonné auprès de certains collègues, ainsi qu’avec l’actualité professionnelle. Une rencontre a par exemple eu lieu cet automne entre les acteurs de la lecture publique et les Parcs naturels régionaux, convaincus de l’intérêt d’un travail en commun.


Propos recueillis par Véronique Heurtematte
Le 18 février 2022