
À l’occasion des 30 ans de l’Enssib, rencontre avec Yves Alix, directeur de l’école de septembre 2015 à septembre 2019.
1/ Quelle place a occupé la direction de l’Enssib dans votre parcours professionnel ?
Ce fut mon dernier poste, inattendu car je n’avais pas prévu dans ma carrière de prendre la direction de l’Enssib ! À l’époque j’étais inspecteur à l’Inspection générale des bibliothèques. Je connaissais bien l’Enssib pour avoir été, de 2006 à 2009, rédacteur en chef du Bulletin des bibliothèques de France, rattaché à l’Enssib, puis intervenant régulier dans les cursus de formation initiale et continue de l’école. Au moment où la directrice d’alors, Anne-Marie Bertrand, a pris sa retraite, le CNFPT venait de dénoncer la convention qui déléguait à l’Enssib la formation des conservateurs territoriaux des bibliothèques, une décision qui remettait brutalement en cause tout ce qui se faisait en matière de formation depuis 20 ans et qui suscitait beaucoup d’inquiétude parmi les professionnels. Comme je m’intéressais depuis longtemps aux questions de formation, j’ai trouvé que c’était un défi intéressant à relever, que j’ai inscrit dans la continuité de l’action d’Anne-Marie Bertrand avec qui j’échangeais beaucoup, notamment sur ce sujet.
2/ Comment avez-vous fait face à la situation créée par le transfert de la formation des élèves conservateurs territoriaux des bibliothèques à l’Institut national des études territoriales ?
Une de mes premières démarches en tant que directeur de l’Enssib a été de prendre rendez-vous avec la directrice de l’Inet. L’échange a été très bon et j’ai compris que, si la séparation des deux formations était actée, la porte à des collaborations entre les deux établissements n’était pas fermée. J’ai beaucoup appris des pratiques de formation de l’Inet, très différentes de celles de l’Enssib, et dont nous avons tenu compte dans notre propre projet d’établissement et dans notre nouveau programme de formation.
3/ Quelles étaient alors les grandes problématiques en matière de formation et d’évolution des métiers ?
Le premier défi était de maintenir l’équilibre entre une formation qui reste une formation académique pilotée par un établissement faisant partie du monde universitaire, et une formation professionnelle, et ce malgré les contraintes des dispositifs réglementaires qui imposent un recrutement par concours au niveau licence, une formation post-concours souvent redondante avec le parcours antérieur des lauréats, et une diplomation particulière, qui n’est pas un mastère. Le deuxième défi était de garder la plasticité de la formation, sa capacité à s’adapter aux évolutions de plus en plus rapides du métier.
Autre défi, lié au départ du CNFPT, le maintien de la cohésion d’une culture professionnelle qui tend à s’atomiser, chacun se repliant sur son secteur. Également essentiel, sensibiliser et former aux questions patrimoniales. Dernier enjeu important, faire en sorte que l’école soit un pôle de référence pour les différentes communautés professionnelles.
La formation continue, sur laquelle l’Enssib est positionnée depuis plusieurs années, est un enjeu de plus en plus important. Il faut imaginer un continuum de formation tout au long de sa carrière professionnelle pour être capable d’accompagner les évolutions du métier et celles des besoins du public. La question de la maîtrise des données a demandé le développement de compétences nouvelles. Comme pour toutes les grandes écoles, la nécessité pour l’Enssib d’élargir les recrutements est également une problématique importante. Il faut aller chercher les élèves et les étudiants dans de nouveaux viviers.
4/ Quels moyens avez-vous mis en œuvre pour répondre à ces enjeux ?
Avec mes équipes, et en particulier avec la nouvelle directrice des études, Nathalie Marcerou-Ramel, nous avons procédé à une lente, progressive et ambitieuse mise à jour de la formation, notamment de la formation initiale des conservateurs et des bibliothécaires. Nous avons mis à profit certaines pratiques que nous avions observées dans d’autres établissements, notamment à l’Inet, et qui n’étaient pas suffisamment mises en œuvre à l’Enssib, notamment faire de l’élève l’acteur de sa formation, former des élèves qui soient dès leur entrée dans la vie professionnelle en mesure de piloter des équipes, de manager, de monter des projets, de dialoguer avec les tutelles. Nous avons développé la culture des services au public, qui était une ambition de la formation depuis de nombreuses années mais qu’il fallait renforcer, le public étant devenu plus difficile à cerner. Dernière ligne de conduite, une formation prenant plus en compte les parcours individuels, plus personnalisée. Il a fallu pour tout cela élaborer de nouveaux outils, mettre l’accent sur l’innovation pédagogique, mettre en place un tutorat et un mentorat des élèves par des professionnels en poste afin d’accompagner au mieux l’entrée dans la vie professionnelle, s’ouvrir, collaborer avec l’extérieur. Pour favoriser la diffusion des connaissances et des savoirs à travers des actions menées en cohérence, j’ai mis en place la direction de la valorisation qui regroupe le Bulletin des bibliothèques de France, les Presses de l’Enssib, la bibliothèque et les ressources et services en ligne.
5/ Sur quels réseaux extérieurs vous êtes-vous appuyé ?
Sur les partenariats institutionnels indispensables avec le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’Innovation ainsi que le ministère de la Culture avec lequel l’Enssib a une convention de partenariat, les grands établissements, Bibliothèque nationale de France, Ville de Paris, Institut national du patrimoine et École nationale des chartes avec qui nous avons resserré les relations, les réseaux de formation CRFCB et Urfist, les associations professionnelles. Nous avons fortement développé le partenariat avec le réseau des grandes écoles et avec des partenaires tels que la Bibliothèque municipale de Lyon et l’agence régionale Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture. L’Enssib a une mission internationale très active qui suscite de nombreux partenariats avec l’étranger et les grandes fédérations internationales telles que Liber et l’Ifla. Il y aurait beaucoup de choses à mettre en œuvre mais l’Enssib est limitée par les moyens qu’elle peut y consacrer.
6/ Vous êtes grand amateur de musique. Quelle place donner en bibliothèque, selon vous, à la musique et plus généralement aux arts ?
La musique et les arts sont très importants en bibliothèque. L’Enssib n’a pas trouvé la bonne formule pour leur faire toute leur place dans la formation initiale mais pallie cette situation par la formation continue. Les contacts que j’ai pris avec l’Ensatt, École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre ainsi qu’avec le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon et le conservatoire à rayonnement régional de Lyon ont donné lieu des évènements ou des actions de formation continue. Il faut aussi s’appuyer sur les actions d’associations comme l’Acim pour la musique ou Images en bibliothèque pour le cinéma.
Ce qui m’inquiète beaucoup, cependant, c’est que la place de la musique ou du cinéma dans les bibliothèques est défendue aujourd’hui très diversement selon la motivation des chefs d’établissement et des professionnels en place. C’est vrai que le public est en diminution pour ces secteurs mais il faut se demander ce peut apporter la bibliothèque en matière d’accès à la musique. Ce sont les questions à se poser et un lieu de formation comme l’Enssib doit pouvoir y répondre.
7/ En forme de conclusion, quel mot choisiriez-vous pour résumer votre mandat ?
Le maître-mot sous lequel j’avais souhaité placer mon mandat est rebond, car il était apparu essentiel que l’école se donne la capacité de rebondir, d’avancer.
Propos recueillis par Véronique Heurtematte
Le 30 juin 2022