© Dominique Vinck
Dominique Vinck, sociologue des sciences et de l’innovation, est professeur honoraire à l’Université de Lausanne. Il s’intéresse particulièrement aux rapports entre sciences, techniques et société.
Rencontre avec Dominique Vinck, sociologue des sciences et de l’innovation, chercheur invité à l'Enssib
- Comment devient-on sociologue des sciences ?
Souvent, ce sont des personnes formées aux sciences ou techniques qui en viennent à s’interroger sur la fabrique des connaissances, des innovations et leurs inscriptions dans la société. Elles se forment alors aux sciences sociales pour s’équiper d’outils conceptuels et méthodologiques pour mener des enquêtes, décrire et comprendre. Dans mon cas, avant même d’engager une formation technique, puis scientifique, je m’interrogeais sur les liens entre sciences, technologies et sociétés. Je me suis formé à la chimie, à l’ingénierie, à la philosophie, puis à la sociologie.
- En quoi consiste la recherche en sociologie des sciences ?
Comme dans les sciences naturalistes, il s’agit d’enquêter sur le terrain pour observer et décrire les phénomènes à étudier, produire et recueillir des données, les organiser, les analyser en mobilisant des cadres conceptuels, confronter les résultats à l’état des connaissances (littérature scientifique) dans le domaine, et les publier.
Les méthodes d’enquête sont variées, mais reposent souvent sur de l’observation ethnographique (éventuellement équipée de caméras, des cahiers de croquis, etc.), des entretiens individuels ou collectifs, de la collecte et analyse de documents, de la collecte de données par questionnaire ou des traces de l’activité (notamment en ligne, sur les médias sociaux numériques ou dans les bases de données bibliographiques - scientométrie). En revanche, il est rare de conduire des expériences en conditions contrôlées ou de modéliser et simuler numériquement les phénomènes étudiés. Les données et analyses peuvent qualitatives et/ou quantitatives.
- Les responsables politiques prennent-ils en compte le travail des sociologues des sciences ?
Les politiques ont des agendas (leurs priorités du moment) qui font qu’ils ne sont pas souvent réceptifs aux résultats des recherches scientifiques, qu’elles que soient les disciplines dont elles viennent. C’est pareil pour la sociologie des sciences. Le problème est d’arriver à livrer aux politiques, au bon moment et dans un format qui leur convient, les connaissances qui correspondent aux problèmes auxquels ils sont confrontés. Or, les temporalités de la recherche ne correspondent pas souvent à celles des politiques. Un important travail de traduction et de méditation est nécessaire. Dans certains pays, des sociologues des sciences travaillent au sein d’organismes publics (agences de régulation, ministères techniques, groupes de réflexion politique, etc.) et aident ainsi à entendre les problèmes des responsables et à les informer et former à partir de ce que produit la sociologie des sciences et des techniques.
La BD est un moyen de les sensibiliser, de manière agréable, sans que cela corresponde à leur urgence du moment.
- Vous venez de réaliser une bande dessinée sur la controverse autour du glyphosate : pourquoi avoir choisi ce format ?
Parce que les écrits académiques (articles et ouvrages) sont très peu lus en dehors du monde académique. Il y a besoin d’inventer et de multiplier des formes alternatives pour faire circuler la connaissance.
Deux formats ont retenu mon attention parce qu’ils combinent le texte et l'image : le documentaire filmique et la BD. Mais le documentaire filmique exige des budgets considérables (parfois plusieurs millions) et des équipes pluri-professionnelles. Avec la BD, on est dans des coûts inférieurs à 100 000 €.
Par ailleurs, chacun peut lire la BD à son rythme, s’arrêter sur une case, une page ou une séquence, revenir en arrière, plus facilement que sur un film qui impose son propre rythme.
C’est aussi un support qui marche très bien dans des formations ou pour des discussions collectives.