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    A mon ami Jacques

    Par Michel Melot, Président Conseil supérieur des bibliothèques

    Je l'ai connu grâce à la moto qui lui fut fatale. Alors que je cherchais i l'adjoint idéal à la direction de la Bibliothèque publique d'information, Jean-Pierre Seguin me signala ce conservateur hardi qui lui avait fait faire l'inspection de la BU de Paris-VI sur le siège arrière de sa moto, pour bien montrer à l'inspecteur général les inconvénients d'une bibliothèque dispersée en plusieurs sites. Jean-Pierre Seguin avait été frappé de la méthode et convaincu par ailleurs de la compétence et de l'ardeur que ce jeune directeur apportait à tout qu'il entreprenait.

    Après la direction de la BU de Paris-VI, en 1983, il eut l'occasion de montrer son savoir-faire - Denis Varloot l'avait bien remarqué aussi - dans un projet particulièrement périlleux qu'il sut transformer dans un délai record en un service exemplaire: le Catalogue collectif des périodiques. Chaque bibliothécaire sait assez les traquenards de l'informatique pour comprendre que le montage de ce service, si bien et si rapidement conçu, a requis non seulement de compétences techniques mais aussi de sang froid, de diplomatie et autres qualités personnelles.

    Son travail terminé, il voulut aborder d'autres défis. C'est donc là que nous nous sommes rencontrés, en 1987, et aussitôt nous nous entendîmes. Je connaissais ses compétences, que Jean Gattegno m'avait aussi recommandées, et ses talents d'organisateur, mais ce fut un autre genre de qualités qui me plut d'abord en lui : sa générosité, sa franchise, sa joie au travail, son humeur égale et sa façon de lisser les problèmes tout en les traitant en profondeur. Sur tous les points nous étions d'accord : j'avais trouvé l'adjoint idéal pour un lieu aussi mouvementé et riche que la BPI. Il avait en informatique les connaissances qui me manquaient et savait faire ce que je ne savais pas faire. Pendant tout le temps de notre collaboration, l'entente entre nous deux fut sans aucun nuage.

    Lorsqu'en juillet 1988, je dus m'absenter de la direction pendant plusieurs mois pour rédiger le rapport sur la Grande Bibliothèque, Jacques Bourgain assuma l'intérim de la direction de la BPI avec un dévouement qu'il trouvait naturel : il avait mis au point - déjà ! - une messagerie électronique, à laquelle il m'initia, et chaque soir, je trouvais sur mon minitel le compte rendu de sa journée et les indications de ce qui me restait à faire. A mon retour, il reprit le poste d'adjoint avec une loyauté dont je lui serai toujours reconnaissant. Mais je devais partir : il me semblait normal qu'il me succédât et c'est le conseil que je donnais au ministère et qui fut suivi.

    Pour faire mieux connaissance, nous avions accepté en 1987 une invitation des bibliothécaires canadiens et avons fait le voyage de Québec ensemble : j'ai découvert alors, au-delà du collègue sérieux et agréable que je savais, un homme dont la carrière avait été passionnante et passionnée, ses études d'historien, ses voyages que je jugeais aventureux à Téhéran dont il avait dirigé la bibliothèque de l'Institut français de 1967 à 1969 et où il aimait retourner, ses attaches à Dakar où il avait travaillé plus de cinq ans de 1969 à 1974 à la section de médecine de la bibliothèque universitaire, ses engagements généreux et courageux, sa passion de vivre. Deux ans après nous être connus, en 1989, nous fîmes avant de nous séparer dans nos carrières un autre voyage ensemble, au congrès des bibliothécaires suisses : nous avions fait le premier voyage en collègues, nous fîmes le dernier en amis fidèles que nous sommes restés.

    C'est avec une joie profonde que j'appris qu'il avait été chargé du Catalogue collectif de France dont les lenteurs me désespéraient. Avec lui la réussite était assurée et l'on en fit le constat très vite. Le projet fut relancé, les polémiques apaisées, les vrais problèmes traités. Nous nous voyions régulièrement avec les mêmes idées, avec le même plaisir. Pourquoi fallut-il que cela cesse avec cette brutalité ? Il me reste à dire ici, à tous les bibliothécaires, combien Jacques Bourgain illustra notre profession, et au-delà, quel ami nous avons en lui tragiquement perdu.