LE 11 juin dernier ont été inaugurées les nouvelles installations du Département des Cartes et Plans qui s'inscrivent dans le vaste programme d'aménagement de la Bibliothèque nationale arrêté par M. Julien Cain il y a plus de vingt ans, peu après son arrivée rue de Richelieu et aujourd'hui en grande partie réalisé.
Avant de se trouver dotées de ces locaux modernisés, les collections de cartes de la Bibliothèque nationale ont connu bien des vicissitudes. Au début du siècle elles se trouvaient installées au premier étage de l'Hôtel Tubeuf. La salle de travail en occupait la partie centrale, tandis que la chambre de Mazarin, les deux salles qui lui faisaient suite dans l'aile ouest de l'Hôtel (1) , deux autres salles qui assuraient la communication avec la Galerie Mazarine (2) et une longue galerie accolée au Magasin central des Imprimés, servaient de magasins. Un balcon, ménagé dans la plupart des salles, sans souci de rompre l'harmonie voulue au xvIIe siècle, coupait les grandes fenêtres en leur milieu, mais avait permis d'utiliser toute la hauteur des murs pour les rayonnages destinés aux atlas et aux livres.
En 1926, la chambre de Mazarin était restaurée (3) et la surface des magasins se trouvait diminuée d'autant. En 1937, l'édification du nouveau Cabinet des Estampes, auquel venait d'être affectée toute l'aile ouest de l'Hôtel Tubeuf, amputait la Section de tous ses magasins et d'une petite partie de la salle de travail. Les cartes du nouveau fonds, les plus nombreuses, furent entreposées à l'Institut de Géographie de l'Université de Paris où M. de Martonne accepta de les abriter pendant la durée des travaux qui devaient être terminés en deux ans. L'ancien fonds fut tant bien que mal logé dans la salle de travail et dans les deux pièces qui lui faisaient suite vers l'est. Celles-ci étaient occupées par la Bibliothèque des Sociétés Savantes qui fut transportée dans les magasins de la salle des Périodiques.
Lorsque la guerre éclata, le Cabinet des Estampes était loin d'être achevé et l'aménagement des nouveaux locaux destinés à la Section des Cartes n'avait pas encore été commencé. C'est à la fin de 1940 qu'il fut décidé de l'entreprendre.
Toute la partie centrale de l'Hôtel Tubeuf, dont l'atelier de reliure trop à l'étroit abandonnerait le rez-de-chaussée, était affectée aux collections de cartes. Comme pour le Cabinet des Estampes, on se trouvait devant l'obligation de n'altérer en rien l'aspect extérieur des bâtiments, classés monuments historiques. Mais cette obligation soulevait surtout des difficultés de construction. Liberté entière étant laissée pour les transformations intérieures, il était possible de concevoir, malgré la rigidité du cadre, un ensemble qui répondît aux exigences d'une cartothèque
Pendant plus de dix ans, architectes (4) et bibliothécaires ont collaboré (5) en étroite liaison. Ils se sont trouvés devant des problèmes qui se posent rarement, tout au moins à cette échelle, et qu'aucune réalisation récente, soit en France, soit à l'étranger, ne les aidait à résoudre. Il est permis de dire que les nouvelles installations, bien que conditionnées jusque dans le détail par les besoins, très particuliers sur certains points, du Département des Cartes et Plans, peuvent servir de modèle (6) . Aussi nous paraît-il intéressant de donner ici un bref historique des travaux, en même temps que quelques précisions d'ordre technique.
Le plan général fut tout d'abord arrêté dans ses grandes lignes. L'ordonnance du vieil Hôtel serait autant que possible conservée. Les appartements nobles du premier étage seraient affectés aux salles de travail (salle de communication, salle de la réserve, secrétariat, bureaux). Les magasins prendraient place au sous-sol (trois étages à creuser), à l'entresol (rétabli sur toute la longueur du bâtiment) et dans les deux étages des combles. Au rez-de-chaussée, on aménagerait une salle des entrées qui servirait aussi à la consultation des très grandes pièces. Un escalier intérieur continuerait à relier les trois charmantes petites-pièces de l'avant-corps, dont une à mi-étage, qui deviendraient salle de catalogues et bureaux de bibliothécaires. Les installations mécaniques enfin disposeraient du quatrième sous-sol.
Certains éléments de décoration furent aussi choisis. Les globes de Coronelli monteraient la garde à l'entrée. Le plafond à caissons, attribué à Vouët, qui se trouvait dans la salle de communication, en face de l'avant-corps, serait transporté dans la Salle de la Réserve où il s'encadrerait mieux. Dans cette même pièce seraient conservés les portefeuilles armoriés de la collection d'Anville et, tout au bout des salles de travail, la mappemonde de Sébastien Cabot dirait quelle merveilleuse aventure a été la découverte de la Terre.
Puis les véritables études furent entreprises. Il fallut compter et métrer. Un inventaire rigoureux des collections permit d'indiquer aux architectes, compte tenu des accroissements, l'importance exacte de chaque série avec ses caractéristiques et la place qui lui était nécessaire. En partant de ces données, ils purent établir les plans sur lesquels, ensemble, nous avons, pendant des années. travaillé. Que de calculs et de mesures, de recherches et de retouches, que de notes et de projets avant que tout soit en place... sur le papier ! Mais dès 1948. nous savions dans quel casier irait prendre place tel portefeuille ou quelle largeur aurait telle table.
Les travaux commencèrent en 1941 et furent arrêtés par les autorités allemandes en 1942. Le chantier ayant été rouvert en 1946, ils progressèrent dès lors sans interruption au rythme des attributions de crédits que l'Administrateur général de la Bibliothèque nationale put obtenir des Pouvoirs publics en plaidant la cause de la plus importante cartothèque du monde.
Les murs n'offrant pas une solidité suffisante, il fallut construire à l'intérieur du vieil édifice une ossature indépendante de béton armé en commençant... par le haut et en faisant descendre du toit jusqu'aux nouvelles fondations les poteaux de soutènement. Toute la partie centrale de l'Hôtel Tubeuf fut étayée, évidée, ressemblant bientôt à une immense cage à mouches, puis consolidée, cloisonnée à nouveau de planchers, avant que n'intervienne le creusement de l'excavation, profonde de 7 m. 50 à 10 m., où allaient se loger quatre étages de sous-sols (7) .
Auparavant, les collections du Département des Cartes et Plans qui étaient restées rue de Richelieu (8) , avaient été déménagées et disséminées entre cinq magasins (9) . La salle Mortreuil, sommairement transformée, était devenue salle de communication pour le public et salle de travail pour le personnel.
A la fin de 1953 les installations techniques étaient en place (10) , tout était pratiquement terminé. L'emménagement des collections put commencer le 8 février 1954 ; coupé de temps d'arrêt, il a été achevé le 13 avril (11) .
Les nouvelles installations présentent certaines particularités que nous voudrions signaler brièvement.
C'est au premier étage de l'Hôtel Tubeuf rajeuni que le grand public, auquel la complexité des problèmes de construction échappe souvent, comprend que les architectes ont réalisé ici une œuvre exceptionnelle. Il suffit de pénétrer dans les salles de travail pour subir une sorte d'enchantement, celui qui vient d'une harmonie sans discordance. Avec un rare bonheur, M. Roux-Spitz et ses collaborateurs ont prouvé qu'il est possible de transformer un vieux logis et de l'adapter à une activité spéciale sans le défigurer pour autant. Guidés par un goût très sûr, ils ont su revêtir de boiseries (12) aux lignes modernes les murs anciens, compléter de hublots au plafond l'éclairage des belles lampes de bronze aux abat-jour Empire, sans rendre jamais sensible le décalage des siècles. La teinte blonde du chêne clair qu'ils ont choisi pour le mobilier comme pour les lambris met en valeur, dans la salle de communication, les rouges et les bruns des reliures et, dans la Salle de la Réserve, sous le plafond de Vouët aux éclatantes couleurs, avec les tons fauves des portefeuilles, les verts éteints et les dorures assourdies des vieux globes (13) . elle ordonne une symphonie des plus heureuses.
Leurs préoccupations esthétiques n'ont pas fait oublier aux architectes les exigences techniques auxquelles ils devaient répondre. Fichiers, rayonnages pour les usuels, casiers pour les atlas, tables pour le travail graphique (14) , meubles pour les vélins (15) peuvent certes satisfaire les bibliothécaires les plus exigeants, mais ils s'intègrent si heureusement dans l'ensemble qu'il n'en compromettent en rien la sobre élégance. Les tables de travail elles-mêmes, spécialement étudiées cependant pour la consultation des cartes (16) , en soulignant de leurs deux longues lignes parallèles l'enfilade des salles, semblent guider le regard vers cette mappemonde, aperçue dès le seuil, qui consacre la nouvelle destination des appartements de Mazarin.
Chacun sait d'expérience que la manipulation des cartes, toujours délicate et fatigante, exige beaucoup de place. Aussi toute cartothèque doit-elle disposer d'une pièce spécialement équipée pour le travail courant.
La salle qui a été affectée aux entrées est venue remplacer au rez-de-chaussée l'atelier de reliure. Suffisamment spacieuse (17) et bien éclairée, elle a de plus l'avantage d'être d'accès très facile, certaines livraisons pouvant être faites directement par l'entrée de la rue des Petits-Champs et la cour. Elle a été dotée d'un mobilier qui a été longuement étudié et qui, a l'usage, se révèle très pratique (18)
Deux meubles-tables, de dimensions inusitées, en occupent la plus grande partie. Leur hauteur (1 m. 05) a été fixée de façon que le travail debout, ou assis sur un tabouret, y soit facile. Leurs grands plateaux qui ont respectivement 4 m. x 2m. et 4 m. x 1 m. 50 servent à toutes les manipulations (tri des cartes, classement des collections, préparation des trains d'entoilage, etc.). En dessous des plateaux, et un peu en retrait (0 m. 25), six séries de dix larges tiroirs (19) permettent de classer sans retard les pièces récemment entrées, suivant leur provenance (dépôt légal, dons, acquisitions, échanges) ou leur destination (inscription aux registres d'inventaires ou aux bulletins de suite, estampillage, catalogage, entoilage, réparation, photographie, etc.). Economie de temps et de peine... de détériorations et d'erreurs aussi.
Comme au premier étage, les profondes embrasures des fenêtres ont été utilisées. Du côté jardin, des bureaux d'amples proportions (2 m. 25 X 1 m.) s'encastrent dans les petits alvéoles. Du côté cour, trop souvent ensoleillé pour des tables de travail, ce sont des casiers à contre-jour, où les paquets de cartes sont entreposés à leur arrivée.
Entre les fenêtres sont réunis, dans des fichiers spéciaux les bulletins de suite et, sur des rayonnages, tous les registres d'entrée (dépôt légal, dons, échanges, acquisitions), d'inventaire (entrées dans les différentes séries) ou d'inscription (doubles, entoilage, reliure, photographie, etc.), ainsi qu'une petite collection d'usuels indispensables au travail de catalogage (dictionnaires, atlas, catalogues des divers services cartographiques, etc.).
C'est en effet dans cette salle que sont cataloguées toutes les cartes récemment entrées. C'est là aussi qu'elles sont estampillées, en sorte qu'elles ne la quittent que pour être mises en place dans les magasins.
L'aménagement des magasins a été étudié de façon à assurer aux différents documents les meilleures conditions de conservation.
Puisqu'il est aujourd'hui généralement admis que les cartes et les volumes de grand format doivent être conservés à plat, il a été décidé d'étendre à toutes les cartes qui mesurent plus de 24 X 30 cm. et à tous les volumes ayant plus de 45 X 30 cm., le mode de conservation dont bénéficiaient déjà les cartes de grandes dimensions.
Renonçant à adopter pour les cartes les meubles à tiroirs métalliques dont l'usage s'est répandu dans de très nombreux pays, la Bibliothèque nationale est demeurée fidèle à l'emploi de portefeuilles placés dans des casiers, ce système ancien que certains jugeront périmé se révélant encore comme le plus pratique (19). Restait pourtant à le perfectionner. Les casiers de bois, que Jomard connut, ont été remplacés par des casiers métalliques dont les étagères sont constituées par des rouleaux (20) . Ainsi les frottements sont réduits et la course du portefeuille, lorsqu'on veut le retirer de sa case ou l'y remettre, se trouve aidée. Comme au Cabinet des Estampes, à sa sortie du casier, le portefeuille est reçu dans un cartonnier en forme de V qui évite toute chute brutale sur le sol et permet de l'entrouvrir facilement. Ce sont les mêmes casiers qui sont utilisés pour les livres et les atlas.
Le maniement des portefeuilles, souvent de grandes dimensions et très lourds (ils peuvent peser plus de quarante kilos), n'est possible que jusqu'à une certaine hauteur. Ainsi la dernière étagère des casiers n'est-elle qu'à 1 m. 40 du sol. La partie supérieure des meubles, qui mesurent 2 m. 25 de haut, est utilisée pour les volumes conservés debout (un rang ou deux suivant les formats).
La classification qui a été introduite en 1882 par Léopold Delisle pour les collections de la Section des Cartes et Plans est basée, pour les cartes comme pour les atlas et les livres, sur la distinction des formats (21) . Cinq séries, qui correspondent chacune à un format différent, ont été ainsi ouvertes (22) .
Tout naturellement, dans les nouveaux bâtiments, un étage de magasins a été réservé à une seule série de cartes et de volumes, c'est-à-dire à un seul format (23) . De ce fait, les recherches sont simplifiées, mais surtout l'équipement a pu être réalisé de façon rationnelle. A un même étage, toutes les rangées de casiers comprennent le même nombre d'éléments (24) de mêmes dimensions et l'écartement entre deux rangées est toujours le même (25)
La disposition générale est identique à tous les étages des magasins (26) . Deux allées ont été ménagées le long des fenêtres et les rangées de casiers placés dos à dos perpendiculairement à ces allées (27) . Enfin, de loin en loin, des casiers à cartes, qui ne comptent que sept étagères, forment tables. Au deuxième étage un bloc de casiers de 1 m. 05 de haut a été ainsi aménagé. Recouvert d'un plateau mobile en contreplaqué, il se transforme en grande table à dessin où peuvent être exécutés certains travaux cartographiques.
Certaines pièces cependant, comme les cartes sur vélin ou les cartes en rouleaux, exigent des conditions de conservation particulières.
Depuis de longues années le sort de nos cartes sur vélin me préoccupait. Presque toutes ces pièces sont précieuses autant par leur intérêt scientifique que par leur décoration et certaines connues du monde entier, véritables œuvres d'art, comptent parmi les plus anciens et les plus importants monuments de la cartographie. Leurs enluminures doivent être protégées tout en essayant de limiter les déformations du vélin, sensible à toutes les variations climatiques.
Une enquête auprès de quelques cartothèques particulièrement riches en vélins m'avait montré que, pas plus qu'à la Bibliothèque nationale, on ne savait encore à l'étranger quelles mesures de préservation prendre. Après bien des tâtonnements, notre atelier de reliure (28) a pu proposer une présentation qui a été jugée excellente par tous les spécialistes Chaque carte restaurée et aplanie, est appliquée sur une feuille de contreplaqué par un passe-partout en carton épais que de petites vis de cuivre fixent au bois. Un certain jeu est ainsi laissé au vélin simplement pincé sur ses bords. Une percale glacée qui se rabat sur la pièce la protège de la poussière. Les feuilles de contreplaqué qui supportent les cartes prennent place, comme des étagères mobiles, dans un meuble muni de portes. Ainsi les pièces peuvent être consultées, photographiées, exposées sans qu'il y soit jamais touché.
Les quelque six cents vélins que possède le Département vont être montés de cette façon. Mais quelques-uns sont de trop grandes dimensions pour pouvoir être conservés à plat. Ils sont suspendus dans deux armoires spéciales à des potences mobiles autour d'un pivot (29) .
Une carte conservée roulée est vouée à la détérioration, sont forcés de reconnaître les bibliothécaires de cartothèque. Un de nos soucis a été de défendre, autant que faire se peut, les cartes roulées contre une destruction plus ou moins rapide, mais malheureusement presque certaine (30) . L'idéal serait de les dérouler et de les conserver suspendues à l'abri de la lumière et de la poussière. Mais comment ? Après de nombreuses études, la Maison Baudet-Donon et Roussel a trouvé un très ingénieux dispositif qui a déjà fait bien des envieux.
Les cartes enfermées dans un grand placard sont accrochées à des barres fixées à de petits chariots mobiles sur des rails placés au plafond. Lorsqu'on veut consulter l'une d'elles, il suffit d'ouvrir le placard et de la dégager en faisant avancer dans la salle avec une perche toutes les cartes qui se trouvent devant elle. Elle peut alors être étudiée sans qu'il soit nécessaire de la décrocher (31) . Un tel meuble n'a que l'inconvénient de prendre beaucoup de place et de coûter fort cher.
Il a donc fallu se résigner à conserver en rouleaux un grand nombre de pièces.
Des armoires métalliques d'un modèle déjà employé où les rouleaux sont conservés verticalement, une rangée dans le fond, une rangée le long des vantaux de la porte ont été établies pour les pièces de plus petites dimensions.
Les pièces de grandes dimensions ont trouvé place dans des meubles d'un modèle nouveau où elles sont conservées suspendues horizontalement à des montants par les deux extrémités du bâton sur lequel elles sont fixées. Trois de ces meubles, que ferment des portes à glissières, sont déjà en place (32)
Ces modes de conservation ont malheureusement l'inconvénient de nécessiter une numérotation spéciale des pièces.
En terminant, je voudrais insister sur l'incidence que des questions d'ordre pratique ont eue dans le domaine scientifique. Pour préparer les nouvelles installations, nous avons été obligés de préciser des définitions, de fixer des règles, d'établir des classifications, d'entreprendre des inventaires et des catalogues nouveaux, de revoir en somme toute l'organisation interne du Département. Ces quinze années, qui semblent surtout chargées de soucis matériels ont été aussi riches de recherches. Elles ont engagé l'avenir dans tous les domaines et si les responsabilités prises n'en sont que plus lourdes, elles sont aussi plus cohérentes. C'est un rare privilège que d'être amené à coordonner la vie de collections aussi importantes que celles du Département des Cartes et Plans.