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Les bibliothèques d'hôpitaux : Résultats d'une enquête

1966

    Les bibliothèques d'hôpitaux : Résultats d'une enquête

    Par Geneviève Bourdin

    Quiconque a séjourné un temps plus ou moins long; dans un hôpital de l'Assistance Publique de Paris, a dû recevoir la visite d'une bibliothécaire poussant un chariot garni de livres et de revues illustrées. Ces bibliothèques remontent à environ trente ans. Elles ont été créées par le Service social à l'hôpital et actuellement elles sont prises en charge par l'Administration qui favorise le développement de la lecture dans ses Etablissements.

    Si le problème de la contagion se posa au début, il fut vite résolu par des médecins compétents. On sépara en trois catégories les services : médecine, chirurgie, tuberculose.

    Une bibliothèque centrale coordonne le fonctionnement de toutes les bibliothèques qui sont des filiales. Le choix des livres est fait par la bibliothécaire en chef, compte tenu des demandes des malades et des bibliothécaires, des critiques littéraires et aussi d'un Comité de lecture. Les sommes allouées par l'Assistance publique sont satisfaisantes. L'organisation générale s'inspire des principes de la circulaire des Ministères de la santé et de l'éducation nationale (juillet 1947) qui recommande la création de bibliothèques dans les établissements de soins et de cure et fixe le pourcentage des crédits à prélever sur le prix de journér (de 0,50 à 0,25 %).

    Chaque service possède, à l'origine, un fonds sans cesse alimenté par la bibliothèque centrale qui envoie des nouveautés ou des ouvrages demandés par les malades. Dans les anciens sanatoriums convertis récemment en hôpitaux pour malades chroniques, il est particulièrement riche. Il atteint 11 000 livres à La Bruyère, 9 000 à Champcueil, 7 000 à Champrosay.

    Dans les bibliothèques ordinaires, les lecteurs viennent échanger leurs livres, mais dans les hôpitaux, il a fallu étudier la manière d'aller à eux. On a eu recours au chariot que G. Duhamel a appelé « le chariot de consolation». On le rend aussi attrayant que possible en disposant des livres ornés de «jaquettes illustrées, et la bibliothécaire va ainsi chaque semaine trouver le malade dans les salles où il réside.

    Vingt-six hôpitaux sont desservis à Paris et en banlieue. A Garches, il y a des enfants, des adolescents, des adultes très désireux de parfaire leur instruction. Créteil, comme Champcueil et Champrosay dans la banlieue plus éloignée, ont des malades chroniques et des vieillards séjournant pour des années... A Berck, l'hôpital maritime possède une création plus récente, mais en plein essor. La bibliothécaire espère bien obtenir une salle plus grande, pour loger son fonds assez important et permettre aux malades de venir, plus nombreux, lire sur place.

    Signalons l'existence des bibliothèques du personnel hospitalier, très régulièrement fréquentées. Certaines sont sous le contrôle des bibliothécaires de malades. Si le prêt des livres au chevet des hospitalisés joue un rôle très important, l'animation culturelle, qui le complète, n'est pas assez développée à notre gré, faute de personnel suffisant et de locaux appropriés. Dans les anciens sanatoriums convertis, cette animation était effective et bienfaisante. Les discothèques étaient partout très appréciées. La Bruyère possède plus de 1 500 disques.

    Certes, dans les hôpitaux de Paris, les problèmes sont différents. Les malades y séjournent moins longtemps ; ils sont, pour la plupart, alités. Dans les nouveaux hôpitaux de malades chroniques, nous essayons de faire face à des besoins d'occupation de malades valides et de distraction pour tous. Actuellement les ateliers de vannerie et de reliure semblent répondre à ces préoccupations tandis que la bibliothèque et les concerts de disques ont tous les suffrages. Dans l'un d'eux, l'expérience remonte à plus de six mois. Il n'y a pas moins de trente personnes venues soit par leurs propres moyens, soit avec leur fauteuil roulant. Le programme est simple : airs d'opéras-comiques, d'opérettes célèbres, présentation de la vie et de l'oeuvre d'un grand musicien et, autant que possible, un disque de diction gai ou humoristique.

    Il est certain que l'organisation des loisirs à l'hôpital, nécessitera dans la société de demain, l'activité du bibliothécaire-animateur qualifié et que les réalisations actuelles, si valables soient-elles, devront être perfectionnées.

    Bâtissons une sorte de roman d'anticipation, ils sont à la mode, et rêvons à ce que serait l'organisation idéale de notre service. Elle devrait porter ses efforts sur trois points principaux. D'abord, nous aurions une bibliothèque centrale plus grande, plus fonctionnelle, adaptée à une action qui s'étend de plus en plus. Le personnel y travaillerait plus à l'aise. Chaque grand hôpital possèderait un bibliothécaire-animateur disposant d'aides pour le seconder. Dans les nouvelles constructions prévues, telle Ambroise-Paré, qui doit être un hôpital-pilote, on ouvrirait une bibliothèque avec salle de lecture, où les malades auraient accès pendant leurs heures de liberté. Dans les vieux hôpitaux qui disposent de si peu de place, on pourrait construire en préfabriqué une salle de lecture-bibliothèque, comme on l'a fait au Val de Grâce, à Paris. Une discothèque complèterait cet ensemble.

    Mais revenons de nouveau à la réalité, pour aborder le problème du personnel. Son recrutement est très important et il présente de grandes difficultés pour nous. La création des bibliothèques s'est faite dans une période où seul, un nombre limité de bibliothécaires qualifiées a pu être engagé, et cette situation ne s'est guère modifiée, bien que les bibliothèques se soient beaucoup étendues et s'étendent encore, puisqu'on nous sollicite pour ouvrir de nouveaux services, notamment à Saint-Louis, Ivry, Vaugirard.

    Si le rêve que nous avons fait prenait corps, il faudrait recruter du personnel jeune, qualifié, animé d'un sens social indispensable ; il prendrait la relève de nos cadres qui vieillissent et atteindront l'âge de la retraite dans les dix ans à venir. Or, il ne semble pas que les jeunes soient attirés par les bibliothèques de malades. Sans doute ont-elles peur de la contagion, sans doute ont-elles peur du contact de la souffrance, toujours pénible ; sans doute sont-elles effrayées par le travail assez dur qu'on est obligé de fournir actuellement, par suite du manque de personnel ; peut-être aussi sont-elles rebutées par les locaux vétustes que l'administration s'efforce pourtant de moderniser.

    Si le contact avec la souffrance est inévitable, les conditions matérielles peuvent s'améliorer. Le traitement est comparable à celui d'une assistante sociale, mais la profession de bibliothécaire n'est pas reconnue comme telle et n'a pas encore de cadre ni de statuts. Toutes ces questions, avec de la patience, seront sûrement résolues dans un avenir qu'on souhaite proche.

    A l'hôpital, les jeunes bibliothécaires rencontreront le lecteur qui fréquente la bibliothèque municipale de son quartier, elles le trouveront « à l'état pur », comme disait un conservateur d'une grande bibliothèque. Ce qui représente la meilleure part de la bibliothèque d'hôpital, c'est le contact humain, rendu plus profond par le « dépaysement » du malade.

    En conclusion, il faut constater les résultats très satisfaisants obtenus avec beaucoup d'efforts de la part d'un personnel restreint et de travail important réalisé dans les bibliothèques des hôpitaux de l'Assistance publique, là où elles existent. Ce travail est plus efficace, si la bibliothécaire est résidente. Mais, pour conserver l'avance acquise, il serait souhaitable d'établir des projets à long terme, d'adaptation ou d'agrandissement des services tels que la Bibliothèque Centrale ou autres locaux servant de bibliothèques. Enfin la création de salles de lecture et de loisirs dotées de personnel compétent serait indispensable.

    Si les hôpitaux de l'Assistance publique de Paris semblaient tenir la vedette et venir en tête pour cette catégorie de bibliothèques, nous avons voulu savoir ce que la province avait réalisé, elle aussi, dans ce domaine.

    Nous avons donc lancé une enquête et envoyé 110 questionnaires dans les divers établissements hospitaliers de France (hôpitaux et sanatoriums), en nous fondant sur le nombre de lits (plus de 500 pour les hôpitaux, plus de 200 pour les sanatoriums. Centres hospitaliers et universitaires des grandes villes de province, hôpitaux des villes de moyenne importance, hôpitaux de Paris et de la Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, Eure, Oise.

    Nous avons reçu 46 réponses se décomposant ainsi : 36 pour les hôpitaux, 10 pour les sanatoriums.

    Réponses des hôpitaux

    Nous avons classé à part, à cause de leur organisation particulière, les services des bibliothèques des hôpitaux de l'A.P. de Paris, de Marseille, de Lyon. A Paris, en 1963, on a prêté, avec un effectif de 17 bibliothécaires à temps complet et une quarantaine de bénévoles, plus de 700 000 livres dans 26 hôpitaux, pour un total de 17 000 lits. A Marseille, il y a 89 bibliothécaires travaillant de 4 à 8 heures par semaine, qui ont prêté 174 750 livres dans les 13 hôpitaux de la ville et des environs. A Lyon, quelque 140 bibliothécaires et auxiliaires ont fait 2 150 distributions en prêtant 115 000 livres.

    En ce qui concerne les 36 réponses des hôpitaux, nous avons mis à part celles des 5 établissements qui n'ont pas de bibliothèque, faute de local, faute de personnel... mais qui en désirent vivement une.

    Pour les 31 qui ont la chance d'en posséder, certaines sont à l'état embryonnaire, mais ne demandent qu'à se développer ; d'autres sont parfaitement organisées et peuvent servir d'expérience « pilote ». Citons celles du Havre et d'Angers.

    « Fondée en 1951 par la Croix Rouge avec seulement 200 livres, riche maintenant de près de 15 000 ouvrages, la bibliothèque du Centre hospitalier du Havre a fêté en mai 1964 le millionième prêt de livre. Cette bibliothèque est considérée par les spécialistes comme une des plus riches et des mieux organisées. Son rôle psychologique au sein de la communauté hospitalière, qui voit chaque année 15 000 entrées, est déterminant. Elle est l'oeuvre sociale par excellence et son rôle culturel est immense, en particulier auprès des malades condamnés à un long séjour. Mille détails souvent émouvants pourraient être rapportés. Mais l'important est de savoir que les malades du Centre hospitalier ne sont pas coupés de la distraction ou de la culture, qu'ils ont, tout comme les contagieux, les pulmonaires et la maternité, leur bibliothèque animée avec une foi et une continuité dont les Havrais sont fiers... ». Voilà ce qu'on lisait dans un journal local de mai 1964.

    « A Angers, nous dit la bibliothécaire, dès 1957, la Commission administrative du Centre hospitalier s'est penchée sur le problème de la lecture, en a étudié les différents aspects, les difficultés mais aussi les réalisations pratiques : il fallait organiser une bibliothèque dans l'établissement... C'est au pavillon « phtisiologie hommes» qu'ont eu lieu les premières distributions de livres... Très vite il s'est avéré que pour atteindre tout l'hôpital, il fallait une bibliothèque et un personnel attaché au service... Le local spécialement aménagé est au centre de l'établissement et permet aux malades qui peuvent quitter leur salle de venir eux-mêmes choisir leurs livres... La bibliothèque présente dès l'entrée au visiteur une impression d'évasion et de détente. Pour les autres nous passons à deux, une fois par semaine, dans chaque service, entre la fin des visites et le repas du soir... A l'heure actuelle, la bibliothèque de l'hôpital compte près de 10 000 volumes. Les frais sont couverts par les subventions du C.H.U. et des dons en espèces, provenant du Comité de bibliothèque. En cinq ans la distribution des volumes est passée de 12 300 en 1959 à 68 563 en 1963. Les chiffres ont leur éloquence... ».

    Réponses des sanatoriums

    Dans les dix réponses, nous avons constaté avec plaisir que partout, il y a un bibliothécaire ou quelqu'un remplissant, ce rôle. Dans quatre établissements il s'occupe également des loisirs. Parmi eux, citons « Le Petit Arbois », près de Marseille, qui a une organisation pleine d'intérêt.

    Nous tenons à préciser que les sanatoriums de la Fédération des étudiants et des infirmières ne sont pas inclus dans ces résultats. Ils ont été l'objet, en 1963, d'une précédente enquête.

    En conclusion, lorsque les résultats sont très satisfaisants, on constate :

    • 1°) La présence d'un bibliothécaire qualifié. Si l'hôpital est important (300 lits au moins), il dispose d'aides préposés ou bénévoles, employés à plein temps.
    • 2°) L'aménagement d'un local central : à Angers, au Havre, à Emile-Roux à Brévannes, au Val-de-Grâce à Paris... où les malades ont accès libre aux rayons et où ils peuvent même lire sur place. Le chariot est aussi indispensable et complète la présence du local pour les alités.
    • 3°) Le choix des livres est fait par le bibliothécaire, avec l'aide d'un Comité de lecture, d'après le dépouillement bibliographique.
    • 4°) La collaboration entre bibliothécaire, médecins, personnel hospitalier, crée une ambiance favorable. Dans certains sanatoriums ou hôpitaux, elle est très développée.

    Nous remercions tous ceux qui ont répondu à cette enquête. Ces résultats nous encouragent à poursuivre notre action et à chercher comment venir en aide à certains de nos collègues qui sont aux prises avec des difficultés d'organisation. Ce premier contact nous a permis de voir que si un bon nombre de réalisations sont très satisfaisantes, dans l'ensemble il reste beaucoup de travail à accomplir. La législation amorcée par les circulaires ministérielles de 1947, en particulier, aurait besoin d'être complétée. Des démarches en cours sont entreprises dans ce sens, nous souhaitons qu'elles aboutissent rapidement.