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    Un hommage soviétique à Julien Cain

    Par Margarita Roudomino

    La revue de bibliothéconomie, publiée par la Bibliothèque Lénine de Moscou, a donné, dans son n° 57 (1976), un important article évoquant la vie et l'activité de l'ancien directeur des bibliothèques de France et administrateur général de la Bibliothèque Nationale. Cet article a été rédigé par Mme Margarita Roudomino, aujourd'hui retraitée, mais qui fut pendant un demi-siècle à la tête de la Bibliothèque de la Littérature étrangère de Moscou (1) .

    Pour cette bibliothèque, dont elle avait accompagné la fondation en 1921, elle prépara l'installation d'un bâtiment inauguré en 1967 qui, du point de vue architectural, comme du point de vue fonctionnel, est une particulière réussite. Figure importante du monde intellectuel soviétique, Mme Roudomino a également joué un grand rôle dans les bibliothèques sur le plan international et elle fut, de 1967 à 1973, vice-présidente de la F.I.A.B. C'est aussi dans sa bibliothèque, et sous sa direction, que fut préparée, pendant les quelques années d'existence de ce périodique, la version russe des Nouvelles de la F.I.A.B.

    Nous avons pensé que nos lecteurs seraient intéressés par ce long texte écrit à l'intention des bibliothécaires de l'U.R.S.S. Il constitue à la fois un témoignage d'admiration personnelle et l'expression de jugements, parfois un peu inattendus, que portent sur nos institutions nos collègues soviétiques.

    Un remerciement particulier est dû au Service slave de la Bibliothèque Nationale où a été réalisée la traduction de cet article.

    Julien Cain qui, durant plusieurs décennies, occupa le poste d'administrateur général de la Bibliothèque Nationale, fut un spécialiste éminent de la bibliothécomanie et du livre. Connaisseur d'art et homme d'action dans le domaine culturel, tant sur le plan national qu'international, il eut un destin complexe et héroïque. Il prouva son courage en 1914-18 sur les fronts de la première guerre mondiale et, lors de la seconde, fut prisonnier à Buchenwald. C'était un homme d'une culture aussi vaste que profonde.

    Julien Cain est né en 1887 à Montmorency, près de Paris. De très bonne heure il commença à s'intéresser à la science ; il étudia avec une égale passion la philosophie et les sciences naturelles et suivit les cours des grands professeurs d'art et de littérature, visitant les ateliers des peintres, sculpteurs et architectes, tout en s'occupant da musique et d'histoire du théâtre. Cette diversité d'intérêts l'aida dans toute sa carrière. Il termina l'Université en 1911 et s'inscrivit alors à l'Ecole du Louvre, à la section d'histoire et de l'art. En 1913 parut sa première publication concernant le peintre Millet. A cette époque, Julien Cain préparait un diplôme d'histoire de l'art en vue d'une carrière universitaire, mais la première guerre mondiale l'empêcha de poursuivre dans cette voie. Mobilisé en 1914, envoyé aux avant-postes, il fut blessé. Une deuxième blessure très grave, en 1916, lui valut l'attribution de la Légion d'honneur. La guerre terminée, Julien Cain ne retourna pas à l'Université mais termina brillamment ses études à l'Ecole du Louvre en 1919. Les archives du Louvre conservent ses travaux sur l'histoire de la sculpture médiévale et celle de la peinture, avec la mention « très bien ».

    Historien de formation, il édita pendant plusieurs années le Bulletin du Ministère des Affaires Etrangères de France. En 1927, il travaille au secrétariat de la Chambre des Députés. En 1930, on lui propose le poste d'administrateur général de la Bibliothèque Nationale.

    Pour mieux apprécier le rôle de Julien Cain dans la transformation de la Bibliothèque Nationale, il faut suivre le cours de l'évolution de cette dernière dès le début de son administration.

    Beaucoup d'établissements scientifiques ont leurs époques d'épanouissement et de déclin. La Nationale avait eu son âge d'or mais connut la décadence après la première guerre mondiale. Sa renaissance commença avec l'administration de Julien Cain. L'objectif principal était de trouver de la place. Or il était impossible d'aggrandir par des constructions nouvelles car la Bibliothèque, située au coeur de Paris, est entourée de toutes parts de bâtiments ; elle-même étant monument historique classé, la seule idée de sa modernisation était considérée comme sacrilège. Julien Cain s'assura l'appui du Ministère de l'Education Nationale dont dépend la Bibliothèque et, en collaboration avec de grands architectes, il établit une plan de reconstruction à long terme en utilisant des sous-sols, des corridors, des passages et même des combles. Ce plan fut réalisé par Julien Cain tout au long de ses années d'administration.

    Pour la réfection de l'intérieur des bâtiments, il fallait d'abord faire de la place. En un an et demi, on construisit à Versailles des magasins de huit étages (vingt kilomètres de rayonnage), ce qui permit déjà, en 1934, de commencer la reconstruction. En 1953 un deuxième bâtiment fut construit à Versailles et deux autres commencés. A l'heure actuelle, on y conserve les périodiques.

    Une des premières innovations de Julien Cain fut la construction de la Salle des Catalogues : on y conserve les catalogues, les fichiers et les usuels, On utilisa, pour cette salle de 700 m2, le sous-sol de la célèbre salle de lecture construite en 1854 par Labrouste.

    Julien Cain modernisa ensuite les vieux magasins. De quatre étages, ils passent à onze en 1960. Toute la hauteur du bâtiment était utilisée et deux étages étaient creusés en sous-sol. La longueur totale des rayonnages atteignait 140 km. Au centre des magasins, sur toute la hauteur, fonctionnent dix monte-charges. Un tapis roulant dessert la salle de lecture et un système pneumatique transmet les demandes des lecteurs. En même temps, on commença la construction de nouveaux locaux en installant dans les sous-sols des services techniques et des ateliers (multigraphie, laboratoire photographique, photocopie, reliure, etc.).

    Pour créer le Cabinet des Estampes, on utilisa un des bâtiments de l'ancien palais, en préservant son architecture. On refit les plafonds sculptés et les fresques des galeries Mazarine et Mansart. Celles-ci servirent désormais aux expositions.

    Le département des Manuscrits fut doté de cinq étages supplémentaires de magasins et d'une salle de lecture pour les manuscrits orientaux. Pour les Cartes et Plans, on construisit des magasins séparés et une salle de lecture. D'autres services furent reconstruits ; même les combles furent utilisés.

    Tout le bâtiment reçut un nouveau chauffage central et un éclairage moderne. La ventilation, l'air conditionné et une protection contre l'incendie furent installés. Partout on installa des ascenseurs et des monte-charges. Certains services virent leur travail automatisé.

    La dernière étape de la transformation de la Bibliothèque Nationale effectuée par Julien Cain fut la construction d'un bâtiment de sept étages consacré au département de la Musique. Il se trouve rue Louvois, en face du bâtiment principal auquel il est relié par un passage souterrain. C'est là qu'est déposé le fonds musical si riche de la Bibliothèque Nationale. Un coffre-fort contient le joyau de la collection : le manuscrit du Don Juan de Mozart. Une salle de lecture, un cabinet avec un piano pour déchiffrer, une salle d'écoute, une salle de conférence, une phonothèque enfin, complètent le département. Des catalogues et fichiers aident le lecteur. Le rez-de-chaussée est occupé par le magasin de vente des publications de la Bibliothèque et un étage est conusacré à l'enseignement des futurs bibliothécaires.

    En conclusion : la surface est triplée, les locaux sont utilisés de façon rationnelle et les difficultés qui paraissaient insurmontables sont résolues. La Bibliothèque est devenue un établissement bien organisé, fonctionnant avec des méthodes modernes. Et il faut souligner que pendant tous ces travaux, elle n'a pas fermé un seul jour

    Pendant les années 60, je suis venue plusieurs fois à Paris et, chaque fois, j'étais fappée par l'énergie de Julien Cain dans l'accomplissement de sa tâche. Il eût été plus facile de construire un bâtiment nouveau au lieu de ce travail gigantesque d'adaptation de l'ancien.

    Pour l'enrichissement des fonds aussi, le rôle de Julien Cain fut fondamental. Son activité correspondait à la pensée de Voltaire sur la Bibliothèque Royale :

    • « C'est un des établissements les plus nobles et jamais il n'y eut de dépenses plus magnifiques et plus utiles. »

    Julien Cain disait souvent que les ouvrages rares et précieux achetés par la Bibliothèque dans les ventes publiques, chez les collectionneurs et ailleurs enrichissaient le pays et restaient à jamais son patrimoine. Il examinait les catalogues étrangers, y notant les ouvrages les plus précieux pour en faire l'acquisition et savait trouver les crédits ou susciter des dons pour les acquérir. Mais son activité ne se bornait pas à acheter les ouvrages rares anciens, il acquérait systématiquement des ouvrages modernes à tirage limité ou particulièrement bien illustrés. Ses collaborateurs disaient qu'il n'y avait jamais de vente publique où l'on ne vît Julien Cain assis au premier rang ; les visiteurs comprenaient tout de suite que les plus beaux livres iraient à la Nationale. Il réussit par exemple en 1939, à l'occasion du 150* anniversaire de la Révolution française, à acquérir le manuscrit de L'Esprit des lois de Montesquieu, grâce à un crédit voté spécialement par le Parlement.

    A Julien Cain, le département des Estampes (le plus ancien du monde), doit son développement.

    La riche personnalité de Julien Cain attirait à lui les spécialistes les plus variés : il savait les intéresser aux problèmes concernant les bibliothèques. Il pensait aussi que les rapports entre les bibliothécaires et les lecteurs étaient enrichissants pour les uns et les autres. Il allait aux vernissages, aux répétitions générales, dans les ateliers des artistes et chez les éditeurs. Il invitait chez lui des créateurs de toutes sortes, et leur communiquant son enthousiasme, les amenait à travailler pour la Bibliothèque.

    Un autre souci de Julien Cain était de rassembler les collections éparpillées dans différents locaux afin de les cataloguer de façon systématique. Grâce à un personnel trié sur le volet, ce travail fut mené à bien, comme par exemple le Catalogue du fonds musical. Déjà, sous François I", des manuscrits musicaux étaient rassemblés, mais non catalogués ; par la suite on y ajouta des éditions imprimées. Pour faire ce Catalogue, Julien Cain fit appel à des musicologues réputés. Une phonothèque fut créée. Les spécialistes estiment que Julien Cain donna une envergure au département de la Musique (surtout après la construction d'un bâtiment séparé) qui permit le grand développement de la musicologie française.

    Dès le début, Julien Cain comprit que le catalogage était la base du travail des bibliothèques. Ayant étudié l'histoire des catalogues de la Nationale, à commencer par le Catalogue des Manuscrits du quatorzième siècle, et profitant de l'expérience de la Bibliothèque du Congrès et du Musée Britannique, il publia en 1936 une monographie sur le Catalogue imprimé de la Bibliothèque Nationale. Il y utilisait les notes de Prosper Mérimée qui, déjà en 1857, attirait l'attention des autorités sur la nécessité d'entreprendre un Catalogue imprimé de la Bibliothèque Nationale, « problème très difficile ». Le projet avait été accepté mais le premier tome n'avait vu le jour que quarante ans plus tard (1897). C'est aussi en 1936 que J. Cain écrivit un article où il apprit à un large public de lecteurs ce que représentait le catalogage, processus si mal connu de ces derniers.

    Julien Cain avait la passion de la nouveauté et savait l'appliquer à la bibliothéconomie. Ses amis disent que, déjà à un âge avancé, il sut apprécier la télévision et l'appliquer aux bibliothèques. Il pensait toujours à l'avenir et c'est ainsi qu'il s'attaqua aux problèmes complexes de la documentation. A l'ouverture du Congrès de la F.I.A.B., à Bruxelles, en 1955, J. Cain prononça un discours où il appelait les bibliothécaires à utiliser de nouvelles méthodes de travail dans le catalogage, la bibliographie et la documentation. Il souligna que ce n'était pas un hasard si cette assemblée réunissait des bibliothécaires, des bibliographes et des documentalistes dont le travail avait beaucoup de points communs et qui pouvaient collaborer utilement dans l'avenir. Il estimait que le but de cette discussion n'était pas seulement de trouver des règles communes, mais aussi des méthodes de travail pour l'utilisation d'une technique nouvelle ou renouvelée. Plus loin, J. Cain disait que la documentation ne devait pas chasser le livre de la bibliothèque mais que le travail de la bibliothèque et des centres de documentation devaient se baser sur des éditions imprimées. Il n'est pas sans intérêt d'ajouter que la spécialiste française de l'information scientifique, Suzanne Briet, dans son livre, Qu'est-ce que la documentation ?, consacrait son premier chapitre à Julien Cain [La Technique du travail intellectuel).

    Julien Cain fut un des premiers, en France, à vouloir inclure dans les bibliographies des articles de périodiques, des documents séparés et autres documents. Il écrivait, en 1956, qu'il fallait utiliser de nouvelles méthodes dans le contrôle bibliographique. Auparavant déjà il était partisan de la mécanisation en bibliothéconomie et bibliographie. En 1962, grâce à sa participation active, l'U.N.E.S.C.O. décida d'entreprendre un travail de documentation à l'aide de machines électroniques. C'est sous Julien Cain qu'il fut décidé que le Catalogue général de la Bibliothèque Nationale, depuis 1960, serait reproduit photographiquement et que divers processus seraient mécanisés et automatisés.

    L'action de Julien Cain ne se bornait pas à la Bibliothèque Nationale. Comme historien et historien de l'art, il participait à toutes sortes de conseils et commissions liés au domaine du livre. C'est ainsi qu'il était, depuis 1937, l'un des organisateurs et le président du Comité national du livre illustré, de l'Association de la reliure d'art et de l'A.C.R.P.P. Il avait organisé la Société des peintres graveurs. Dans chacun de ces domaines J. Cain n'était pas un amateur mais un professionnel érudit. En 1939, J. Cain participa avec le Ministère de l'Information à l'évacuation des trésors nationaux des musées de Paris. Après la défaite de 1940, ayant été écarté par le gouvernement de Vichy, il est arrêté par les occupants, transféré de prison en prison, et aboutit à Buchen-wald. Ses compagnons de détention témoignent de son courage et de sa grandeur d'âme ; ils le surnommèrent « le résistant indomptable ».

    En avril 1945, après quatre ans de souffrances, Julien Cain revient à Paris et retrouve son poste d'administrateur général. Ce retour a été évoqué par ses collaborateurs, en décembre 1964, lors de son départ à la retraite (« C'était le 26 avril 1945, dans la galerie Mansart... ». Bulletin de l'A.B.F. 1965. n" 46, p. 26.)

    Après la guerre, l'activité de J. Cain s'élargit encore. La Direction des Bibliothèques fut créée dès après la libération de Paris. L'idée de cette organisation avait déjà été lancée par J. Cain au début des années 30, mais elle ne fut réalisée qu'en 1945, alors que beaucoup de bibliothèques publiques françaises, endommagées par la guerre, nécessitaient une aide urgente. A partir d'avril 1946 Julien Cain réunit les fonctions d'administrateur général de la Bibliothèque Nationale et de directeur des Bibliothèques et de la Lecture publique.

    Julien Cain disait qu'en France le rôle des bibliothèques était sous-estimé, et le fait est que leur sort était assez pitoyable : personnel trop peu nombreux et mal payé, crédits insuffisants pour l'acquisition des ouvrages nécessaires. Les bâtiments vétustes et poussiéreux étaient mal adaptés au rôle qu'ils devaient jouer.

    En dix-huit ans de direction, Julien Cain réussit à redresser la situation, à créer un réseau de nouvelles bibliothèques, à construire de nouveaux bâtiments, à adapter les anciens et enfin à organiser la formation professionnelle. Profitant de son double rôle, Julien Cain sut réunir les bibliothèques françaises [à l'exception des bibliothèques spécialisées) sous la direction des bibliothèques. A cette direction furent rattachés des services techniques communs, un appareil d'information, une formation professionnelle et un organisme chargé des bâtiments. De cette façon, une sorte de réseau de bibliothèques fut établi dans le pays. La majeure partie des crédits devait aller à la lecture publique, avant tout dans les villes où les bibliothèques avaient été détruites par la guerre ainsi que là où il n'y en avait pas du tout, à la campagne en particulier. Cependant une grande partie de la population rurale n'était toujours pas desservie.

    Julien Cain voulut élever le niveau de qualification des cadres. Il estimait qu'un bibliothécaire devait avoir une culture complète, des connaissances approfondies dans les sciences exactes et humaines et étudier davantage la bibliographie. Il comprenait que les écoles de bibliothécaires qui existaient alors en France étaient imparfaites et il entreprit leur réorganisation. En 1963 fut créée l'Ecole Nationale Supérieure de Bibliothécaires, chargée de préparer des bibliothécaires de trois niveaux. L'école s'occupait également du perfectionnement des bibliothécaires français.

    Sur son initiative, la direction des bibliothèques édite une série de brochures concernant ses activités ainsi que la lecture en France.

    La direction est chargée également de la construction des bibliothèques. Là aussi, comme en témoignent les architectes, J. Cain exerçait sa compétence, soucieux de laisser intacts les monuments anciens. Il était hardi dans la modernisation et l'adaptation des bibliothèques en vue d'un circuit plus rationnel des livres. Grâce à sa participation active, la revue L'Architecture française publia, en 1938 et en 1963, des numéros spéciaux consacrés aux bibliothèques. On n'y décrivait pas seulement des projets déjà réalisés mais on y donnait des projets-types et des normes pour diverses catégories de bibliothèques. Le numéro de juin 1963 publiait le compte rendu d'une « table ronde » qui avait réuni bibliothécaires, architectes, ingénieurs, techniciens et représentants du Ministère de l'Education. La réunion était présidée par J. Cain qui disait que les bibliothèques devaient être construites pour des siècles, en combinant la lumière, l'air et le silence. Dans son introduction, J. Cain avait tracé un programme de construction de bibliothèques en tenant compte des nécessités contemporaines. Sous sa direction, on construisit plus de cent bibliothèques universitaires ou municipales dans diverses villes françaises. J. Cain savait ce qu'il faut à une bibliothèque et aussi à un lecteur. Ceux qui l'ont connu disent qu'il était un bibliothécaire-né et que ses années d'activité dans ce domaine en firent un bibliothécaire professionnel.

    En 1952 Julien Cain fut élu membre de l'Institut et beaucoup d'universités d'Europe occidentale lui donnèrent le titre de docteur honoris causa.

    Après la guerre, l'activité de Julien Cain s'élargit aussi sur le plan international. A la fin de 1945, prenant une part active à la Conférence préparatoire de Londres, il fut l'un des organisateurs de l'U.N.E.S.C.O. En 1958-1966, il fut membre du Comité exécutif et, à partir de 1960, pendant plus de dix ans, en fut le vice-président. A partir de 1962, et jusqu'en 1972, il fut président du Comité international consultatif sur la bibliographie, la documentation de l'U.N.E.S.C.O. Plusieurs réunioins de ce Comité eurent lieu à Moscou. Après son départ à la retraite, J. Cain en resta le président honoraire.

    A partir de 1963, et presque jusqu'à la fin de sa vie, J. Cain présida la Commission nationale de la France à l'U.N.E.S.C.O. Il montra beaucoup d'initiative dans les relations internationales, dans le cadre de cet organisme.

    Son activité lui valut une grande popularité dans beaucoup d'organisations internationales ou gouvernementales auxquelles il prit une part active.

    En 1953 il fut élu vice-président de la F.I.A.B. dont il devint vice-président honoraire à partir de 1959. Il apporta des propositions très constructives sur des sujets délicats ; c'est ainsi qu'en 1955 il fit une communication intéressante, lors d'une assemblée plénière : « Le rôle des bibliothèques dans la société contemporaine ». J. Cain prit part à l'élaboration du programme de la F.I.A.B. en 1960. En 1961 il inaugura, à Paris, une Conférence internationale sur le catalogage, à laquelle les bibliothécaires soviétiques prirent une part active.

    Pendant de nombreuses années, J. Cain fut membre du Comité exécutif de la F.I.D. et l'I.S.O. ainsi que du Conseil international des Sociétés savantes. Il organisa la Société internationale des bibliophiles et cet homme, qui connaissait parfaitement le livre ancien, fut surnommé « le premier bouquiniste de France ».

    Pour illustrer les nombreux centres d'intérêt de Julien Cain, il faut ajouter qu'il continuait à occuper des postes de choix dans diverses commissions culturelles. C'est ainsi que, pendant de nombreuses années, il fut membre du Comité de la Comédie française, du Conseil des Musées, vice-président de la Commission d'aide aux écrivains français, pour l'édition de leurs oeuvres. Jules Romains, un ami de quarante ans de Julien Cain, en était le président. Il écrit dans ses mémoires que c'était toujours Julien Cain qui emportait la décision lorsqu'il s'agissait de publier un livre. Il se souvenait que l'auteur avait publié dix ans auparavant un ouvrage remarquable sur Aristote, que la France lui était très redevable, que l'ouvrage était intéressant en lui-même, mais risquait de faire double emploi avec un autre ouvrage du même auteur paru avant la guerre. Ou bien la lettre de recommandation du professeur X... n'était pas simplement une politesse car il était fort avare de compliments et par ailleurs connaissait bien le sujet, l'ayant abordé lui-même. En un mot Julien Cain était, d'après Jules Romains, un des rares « sages » de notre époque.

    Julien Cain est le fondateur de ce que, dans beaucoup de pays, on appelle « les expositions du type Bibliothèque Nationale ». Déjà, en 1937, à l'Exposition internationale, J. Cain était l'instigateur du « Musée de la littérature ». Au lieu d'accrocher aux murs des pavillons nationaux des portraits d'écrivains et des vues de villes, comme c'était la tradition, il proposa d'organiser une section à part, consacrée aux grands écrivains. Il pensait qu'un tableau inspirait l'écrivain et lui donnait l'impulsion nécessaire pour écrire un texte. C'est pourquoi, à côté d'oeuvres littéraires, devaient figurer les oeuvres d'art qu'elles avaient pu inspirer ou qui au contraire avaient inspiré l'écrivain. Le public apprécia l'exposition et les relations personnelles de Julien Cain favorisèrent ce type de manifestations.

    On sait que, par la suite, les expositions regroupant oeuvres littéraires et oeuvres d'art devinrent habituelles dans les expositions internationoales. Au Canada, en 1967, il y eut un pavillon spécial consacré à une exposition de ce genre avec un très beau catalogue.

    Les expositions organisées par Julien Cain à la Bibliothèque Nationale permirent d'ouvrir au public les très riches fonds de la bibliothèque ainsi que des musées de France ou d'ailleurs. Ces expositions avaient lieu dans les galeries Mazarine et Mansart et attiraient le public lettré. Elles étaient consacrées à toutes sortes de personnalités littéraires et artistiques. La plupart faisaient l'objet d'un catalogue avec une préface obligatoire, presque toujours de Julien Cain. Ces catalogues sont de véritables ouvrages de référence (Balzac, Zola, Baudelaire). Les expositions étaient inaugurées avec faste et j'ai pu en visiter quelques-unes. Je me souviens en particulier de La Balançoire de Renoir à une exposition sur Zola, qui avait décrit ce tableau. Sous la direction de Julien Cain, plus de deux cent cinquante expositions furent organisées, dont cent-vingt avec catalogue. Grâce à ses relations dans le monde culturel, Julien Cain fit de la Bibliothèque Nationale un haut lieu de la culture française du vingtième siècle.

    En 1964, à l'âge de 77 ans, Julien Cain prit sa retraite. C'est alors que l'Institut lui confia la direction du Musée Jacquemart-André. Il m'écrivait, en 1964: « ...Je suis très heureux de cette nomination. Les collections sont très belles et j'espère en faire le catalogue scientifique ». Il faut ajouter que quelques années plus tard, le ministre de la Culture, André Malraux, lui confia la direction de l'Inventaire Général des monuments et trésors artistiques de la France, direction qu'il garda jusqu'à sa mort. En 1972 ce fut tout naturellement à lui que l'on confia la présidence du Comité national pour l'Année du Livre. C'est l'édition de l'ouvrage Le livre français hier, aujourd'hui et demain qui est son chant du cygne.

    Julien Cain mourut le 9 octobre 1974 et fut enterré dans le petit cimetière de Louve-ciennes. Son enterrement fut modeste mais il reçut les honneurs militaires car c'était un héros de la première guerre mondiale et il était Grand-Croix de la Légion d'Honneur. De vieux amis l'accompagnèrent, parmi eux Edgar Faure.

    L'activité de J. Cain fut hautement appréciée déjà de son vivant. En 1966, la Gazette des Beaux Arts lui consacra son numéro de juillet. Des artistes : Dunoyer de Segonzac, Picasso, Chagall ; des écrivains comme P. Valéry, Duhamel ; des bibliothécaires : Poindron, Mumford, Liebaers, Hofmann ; des musiciens tels Bruno Walter et d'autres encore participèrent à cet « hommage ». Son intelligence, son érudition et son désir de faire participer les lecteurs aux trésors de la littérature française et mondiale lui valurent la réputation d'humaniste du vingtième siècle. Le volume de Mélanges, qui lui fut consacré en 1968 pour ses quatre-vingts ans, comporte soixante-quinze articles d'auteurs de tous les pays, et une médaille de bronze a été frappée en son honneur.

    L'autorité de Julien Cain dans le monde des bibliothèques lui permit d'établir de nombreux contacts avec des bibliothécaires de tous pays.

    Je suis arrivée à Paris pour la première fois, dans ma jeunesse, en mission à la fin de 1928. A cette époque je voyais dans mon imagination la Bibliothèque Nationale comme quelque chose de grandiose, baigné de lumière avec des rayonnages où brillaient les ors des reliures. Je n'imaginais pas, à l'époque, que je pourrais être reçue par son directeur. Ce fut une des plus grandes désillusions de ma vie. A mon retour en Russie, je racontait mes impressions et je comparai la Bibliothèque Nationale à nos bibliothèques soviétiques et en particulier à la Bibliothèque Lénine. Nous constatâmes que ces dernières, malgré les difficultés de l'époque, étaient infiniment mieux organisées. Ce qui me frappa le plus dans les bibliothèques françaises, ce fut le manque d'éclairage. Seuls les sous-sols de la Nationale avaient l'éclairage au gaz ; les autres étages étaient plongés dans l'obscurité. La Bibliothèque Sainte-Geneviève, avec la lumière blafarde de ses lampes à pétrole, produisait un vif contraste avec le quartier où elie se trouve. La deuxième chose qui me frappa c'était de voir ramper, le long d'étroites échelles, dans des magasins de 4 à 5 m de haut, des invalides, souvent munis de prothèses, car la loi française voulait, à cette époque, que l'on prît des invalides de guerre pour des tâches techniques. La troisième impression était celle d'un désordre incroyable, y compris dans les salles de lecture ; des livres s'empilaient, recouverts d'une poussière séculaire ; on avait une impression d'abandon. Il y avait très peu de bibliothécaires et ils suffisaient à peine à cataloguer les livres.

    Lorsque trente ans plus tard, en 1958, je fus envoyée en France et rencontrai Julien Cain, je fus frappée des changements étonnants survenus pendant ces décennies.

    L'amitié de Julien Cain m'était précieuse et je le rencontrai plusieurs fois en Union Soviétique. Je le vis pour la dernière fois en décembre 1972. C'est avec émotion que je me souviens de son regard profond et attentif et du sourire bienveillant de cet homme étonnant.

    Julien Cain a beaucoup fait pour développer, démocratiser les bibliothèques françaises. Son activité était bridée par les cadres du système capitaliste français où la grande masse des travailleurs n'a pas accès à la culture et, en particulier, aux trésors des bibliothèques. Dans ces conditions difficiles, il essaya de répandre le livre le plus largement possible dans la population. Il tenait particulièrement à appliquer les méthodes techniques nouvelles dans son métier.

    Les bibliothécaires soviétiques lui sont reconnaissants de ce qu'il luttait pour l'amitié franco-russe et facilitait les rapports amicaux entre bibliothécaires français et soviétiques.

    Hôte fréquent de l'ambassade de l'U.R.S.S. à Paris, il était en excellents termes avec ce pays auquel il s'intéressait et pour lequel il avait une sympathie que j'ai pu sentir au cours de nos rencontres. Il parlait avec reconnaissance du rôle de l'armée soviétique pendant la guerre.

    Julien Cain s'intéressait beaucoup à la culture russe et sa femme, Lucienne, qui connaissait bien la langue et la littérature russes, l'aidait à comprendre la vie et la culture soviétiques.

    Les bibliothécaires soviétiques se souviennent de Julien Cain comme d'un grand bibliothécaire de notre époque.

    1. ROUDOMINO (M.I.). - Julien Cain, 1007-1974. In Bibliotekovedenie i bibliografiia za roubejom. N° 57, 1976. retour au texte