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    Une aventure et une réussite menées à Lyon

    Par Françoise Costil
    Par Annie Garden, Bibliothèque municipale de La Part-Dieu

    Dès mai 1994, le Directeur de la Bibliothèque municipale de Lyon, formulait des propositions pour renforcer l'action des bibliothèques en matière d'intégration sociale. Ces réflexions, rejoignant les préoccupations de la municipalité, ont abouti au projet des « médiateurs en bibliothèque ».

    En mai 1995, onze médiateurs arrivaient dans les bibliothèques de la ville. Leurs activités sont diverses, fonction de leur personnalité et des quartiers où ils interviennent. De forts points communs existent cependant : disponibilité, écoute et intérêt pour le monde des livres.

    De l'intégration sociale aux médiateurs

    Depuis longtemps, la bibliothèque est attentive aux questions relevant de l'intégration sociale. Une de ses commissions y est d'ailleurs consacrée. Son but est d'être à l'écoute des problèmes qui émergent et d'imaginer des solutions. Un conservateur territorial est chargé de coordonner la politique d'intégration de la bibliothèque. L'aide aux publics empêchés (prisons, hôpitaux, etc.), l'aide aux devoirs pour les enfants, l'aide à la recherche d'emploi ont fait l'objet d'études qui ont débouché sur des réalisations concrètes.

    À partir de l'idée que nous avons du rôle des bibliothèques, de la situation difficile de certaines bibliothèques de quartier (au moment des plus grosses affluences, d'octobre à mai) et de la mise en oeuvre de solutions (chez nous comme ailleurs), nous avons retenu quelques idées fortes qui sont à l'origine de la création de postes de médiateurs en bibliothèques :

    • la bibliothèque offre une réponse non négligeable aux attentes des populations socialement défavorisées. La demande sociale à laquelle nous nous efforçons de répondre quotidiennement prend plusieurs formes comme la demande d'informations sur l'emploi et la formation, le besoin d'une aide à la formation pour les enfants et les adultes, la recherche d'un lieu pluriculturel et ouvert. Cette demande est de plus en plus personnalisée et nous semble dépasser les réponses que peuvent offrir traditionnellement les bibliothécaires ;
    • la bibliothèque de la Duchère, après avoir posé longtemps problème, est arrivée, avec l'embauche d'une personne non bibliothécaire, à des résultats probants : une fidélisation des publics, un phénomène d'entraînement des parents par les enfants, une « paix sociale » qui étonne plus d'un expert patenté de l'action sociale, un enthousiasme et une importante créativité dans les activités dites d'animation;
    • l'expérience médiateurs du livre » lancée par le ministère de la Culture et plusieurs partenaires, dont l'ABF, nous a été utile. Nous l'avons suivie avec attention, mais nous ne l'avons reproduite que très partiellement, les buts et les modalités n'étant pas les mêmes.

    Les médiateurs et la ville de Lyon

    Les propositions du directeur de la bibliothèque ont été intégrées dans le « plan emploi de la ville de Lyon"initié le 14 novembre 1994. Ce plan emploi » comportait un ensemble de mesures susceptibles de réinsérer des chômeurs et surtout d'aider les jeunes à entrer dans le monde du travail. Il ne s'agissait pas de créer des postes de fonctionnaires communaux, la ville ne voulant pas augmenter la masse salariale, mais bien d'expériences contractuelles. Expériences qui pourraient aboutir à la création de nouveaux métiers territoriaux.

    La création de postes de médiateurs a fait l'objet, à partir de ce moment, d'une volonté forte de la ville et, en particulier, de son Secrétaire général. Il a fallu deux délibérations du conseil municipal, l'une sur le budget du projet (12 décembre 1994), l'autre aboutissant à la signature d'une convention entre la ville de Lyon et une association, employeur des médiateurs (mars 1995).

    Les médiateurs et leurs missions

    À la bibliothèque, les responsables des pôles de quartier et la responsable chargée de l'intégration sociale ont mis en place les modalités de recrutement. Pour cela les missions des médiateurs ont été définies pour développer deux types d'activités nouvelles qui n'entraient pas, jusqu'à présent, dans les missions classiques des bibliothèques :

    • la mission interne prévoit une prise en charge personnalisée de certains usagers qui doit permettre de transmettre à ceux qui ne les maîtrisent pas les points de repères et les savoir-faire de base, c'est-à-dire une appropriation des lieux (une bibliothèque n'est pas la rue ou le gymnase), une appropriation des outils de recherche (fichiers, ordinateurs...) et une appropriation des différents types de documents et de leurs contenus (aide aux devoirs...) ;
    • la mission externe prévoit des actions d'hyper-proximité qui consistent à sortir des murs de la bibliothèque pour aller à la rencontre des populations défavorisées, les sensibiliser à la lecture et finalement les amener à fréquenter les bibliothèques. Elles impliquent une collaboration étroite avec les partenaires socioculturels du quartier et peuvent prendre des formes diverses.

    À partir de ces éléments, nous avons établi deux types de profils de poste montrant les points forts de ces missions, les qualités nécessaires et les formations requises. Trois qualités primaient et se retrouvaient dans les deux profils de poste : une réelle motivation pour un travail de type intégration sociale, le sens du travail en équipe et un goût pour le livre. Nous demandions en outre une formation de niveau Bac+2 et la possession du BAFA.

    Les profils de poste et les diplômes requis relèvent d'une volonté affirmée. Il fallait que les médiateurs, qualifiés, soient un apport positif pour la bibliothèque, ses lecteurs et son personnel, dès leur arrivée. En effet, la situation difficile dans certaines bibliothèques où le personnel, souvent peu nombreux, était déjà saturé, ne nous permettait pas de leur demander un effort supplémentaire de formation des médiateurs.

    Les médiateurs, leur recrutement, leur formation

    Le recrutement a été fait par les responsables de bibliothèque aidés par l'ANPE dans le courant du mois de mars 1995. L'accord avec la ville de Lyon stipulait que les candidats devaient être demandeurs d'emploi ; les agences locales ont diffusé les profils de postes et sélectionné une soixantaine de candidats que nous avons tous reçus. Après une première rencontre courte, nous avons gardé quarante candidats que nous avons rencontrés beaucoup plus longuement pour retenir finalement onze personnes.

    Notre choix a été conforté par une évaluation faite par un organisme de bilan de compétence (évaluation à la charge de l'ANPE).

    Les onze médiateurs ont alors signé un contrat de SAE (stage de retour à l'emploi) pour la durée du mois d'avril 1995 puis ont été embauchés par l'Association Lyon Insertion le 2 mai 1995 pour un CDD.

    La formation s'est déroulée sur un mois. Elle a été assurée conjointement par la bibliothécaire chargée de l'intégration sociale et par le Centre d'études de formation et de recherches appliquées, organisme lié au laboratoire de sociologie de l'université de Lyon-II. La formation a suivi trois axes principaux :

    • connaissance des bibliothèques et de leurs publics ;
    • rencontre avec des acteurs de terrain (mission d'insertion, centres d'accueil...) ;
    • théorie de la médiation.

    Dès le 2 mai 1995 les onze médiateurs étaient à leur poste, répartis dans les bibliothèques des quartiers les plus sensibles. Sept travaillent à temps plein, regroupant dans leurs activités une mission interne et une mission externe, quatre travaillent à mi-temps, deux sur des profils internes, deux sur des profils externes.

    Qui sont les médiateurs et que font-ils ?

    Les médiateurs, soit sept femmes et quatre hommes, âgés de 23 à 45 ans, ont des formations universitaires variées (langues, droit, arts graphiques, gestion, psychologie...) et des expériences diverses d'animation en milieu socio-éducatif (quartiers ou lycées difficiles, centres sociaux, ANPE, associations d'aide humanitaire...). Cette grande diversité de formations initiales et d'expériences professionnelles contribue à l'enrichissement de leur fonction actuelle de médiateur en bibliothèque. Certains sont d'origine étrangère (Maghreb, Afrique).

    Les médiateurs ont été affectés dans des bibliothèques de quartier situées dans ou près de zones d'habitation classées en DSU (Développement social urbain). Ce sont des bibliothèques de moyenne importance : surfaces de 200 à 600 m2 ;équipe de 2 à 6 bibliothécaires ; fréquentation annuelle de 60 000 à 164000 entrées; prêts de 90 000 à 225 000 volumes par an. Toutes ces bibliothèques connaissaient depuis quelques années des problèmes de discipline, voire de violence, liés à la présence d'éléments perturbateurs (enfants, adolescents, jeunes, adultes) difficilement contrôlables. Dans le même temps les bibliothèques voyaient leur activité traditionnelle augmenter de façon considérable et s'accroître de façon exponentielle le nombre de demandes liées à la formation initiale et à la recherche d'emploi. Les responsables des bibliothèques de quartier cherchaient donc une solution qui puisse à la fois améliorer le climat des salles et permettre de répondre à ce nombre croissant de demandes particulières.

    Ni bibliothécaires, ni gardiens, ni éducateurs, ni animateurs, ni documentalistes, les médiateurs des bibliothèques de Lyon sont à l'interface de toutes ces fonctions. Ils doivent innover et adapter sans cesse leur rôle en fonction de la demande et de la situation tout en maintenant un cap bien précis : contribuer à améliorer le fonctionnement des bibliothèques de quartier et à développer des actions de lecture en direction des publics fragiles.

    Il y a un ou deux médiateurs par bibliothèque selon son importance et la gravité des problèmes rencontrés (perturbations quotidiennes, occupation de la bibliothèque comme celle d'un territoire réservé, agressions verbales et physiques envers les lecteurs et le personnel). Les médiateurs sont intégrés aux équipes et négocient avec les collègues bibliothécaires leurs projets d'interventions ou d'actions. Les médiateurs ne sont pas seuls à intervenir en cas de conflit : même si leur rôle en la matière est primordial, la cohésion de l'équipe reste essentielle.

    Les actions des médiateurs

    Les médiateurs ont d'abord une fonction de régulation et d'accompagnement des publics en difficulté, au sein des bibliothèques, les jours de forte affluence. Ils sont là pour expliquer de façon plus ou moins appuyée les règles de fonctionnement de la bibliothèque. Ils accompagnent dans leurs recherches d'informations des jeunes et des moins jeunes qui ont beaucoup de mal à formuler explicitement leurs demandes. Ils régulent l'occupation des places assises et les perturbations générées par le travail en groupe. Ils sont aussi là, certaines fois, pour accompagner jusqu'à la sortie des jeunes particulièrement agités et récalcitrants. Cela nécessite une disponibilité totale que ne peuvent avoir constamment les collègues bibliothécaires sans cesse sollicités par les opérations de prêt, de renseignements bibliothéconomiques et/ou bibliographiques, de rangement, etc.

    L'arrivée des médiateurs dans les bibliothèques a permis de réduire les tensions existantes et d'assainir le climat parce qu'ils jouent une fonction d'intermédiaire entre une institution, avec son règlement et ses professionnels, et des individus à la demande non adaptée. Le statut particulier du médiateur, à la fois au service de l'institution et à l'écoute du public, rend leur intervention plus claire et cohérente. Leur disponibilité pour répondre aux demandes d'aide à la recherche ou pour répondre aux demandes non adaptées en réorientant le public vers d'autres structures a permis à certains usagers de prendre conscience de la spécificité de la bibliothèque et d'apprendre à utiliser ses ressources de façon satisfaisante.

    Le rôle des médiateurs ne se réduit pas à une gestion policière des conflits. Ils sont là pour réorienter les demandes, soit à l'intérieur de la bibliothèque, soit à l'extérieur quand les problèmes posés dépassent les compétences de la bibliothèque. Ils vont prendre le temps de décrypter la demande avant d'orienter la personne vers la source d'information la plus adéquate : le fichier informatisé de la bibliothèque, le rayon ou l'annuaire des entreprises, mais aussi vers le centre d'orientation ou " la boutique de droit la plus proche... Les médiateurs apportent une aide importante à l'éclaircissement des sujets de devoirs et d'exposés, à la formulation d'informations spécifiques concernant la recherche de formation ou d'emploi. Leur présence et leur disponibilité leur permet également de mieux entendre certaines demandes d'un public peu lecteur et peu emprunteur et de répercuter ces demandes auprès de leurs collègues bibliothécaires.

    À l'écoute des publics qui fréquentent la bibliothèque sans vraiment y trouver « chaussure à leur pied » les médiateurs peuvent proposer, en lien avec les bibliothécaires, des animations particulières : accueil particularisé des tout petits, groupe de discussion avec des pré-adolescents, réalisation d'un petit journal, échos mêlés des utilisateurs et des professionnels et des utilisateurs, accueil personnalisé de publics spécifiques (anciens détenus en réinsertion sociale, personnes marginalisées vivant en foyer, jeunes chômeurs en formation, etc.).

    Parallèlement à ce rôle d'accompagnement à l'intérieur de la bibliothèque, les médiateurs ont pour mission de développer les liens avec le tissu social du quartier et de mettre en place des animations de proximité.

    Cette fonction est très différente selon la personnalité urbanistique du quartier où est implantée la bibliothèque dans laquelle travaille le médiateur. Ainsi, dans un quartier où le tissu associatif est très important, on peut mettre en place des actions de collaboration avec un très grand nombre de partenaires : des messages d'amour ont été écrits par les habitants de La Duchère partout dans le quartier y compris à la bibliothèque et devant ses portes puis ont été exposés à la bibliothèque. Dans un autre quartier, où le tissu associatif est plus ténu, le médiateur aura pour premier rôle de partir en quête d'informations, de les répertorier et de créer un réseau d'informations réciproques entre toutes les structures de ce quartier et les services d'informations des mairies d'arrondissement. Ailleurs, la bibliothèque pourra entreprendre un travail concret et de longue haleine avec les différentes structures de la petite enfance (permanences des centres de Protection maternelle et infantile, crèches parentales, jardins d'enfants, assistantes maternelles, crèches municipales...) grâce au travail de contact et d'animation à l'extérieur réalisé par la médiatrice. Ailleurs encore, grâce à la participation des médiateurs, la bibliothèque du quartier pourra révéler une demande de lecture dans des foyers d'hébergement ou des centres pour handicapés moteurs.

    D'autres actions d'hyper-proximité ont eu lieu, en particulier pendant la période estivale, période pendant laquelle l'activité des bibliothèques est moins importante. Ainsi afin de promouvoir les bibliothèques et surtout les livres et la lecture, les médiateurs se sont succédé dans les squares de la municipalité et dans les espaces verts des cités, là où traînent les enfants qui ne partent pas et qui ne vont pas dans les centres aérés. Cette opération a connu un vrai succès : 460 enfants de 3 à 13 ans ont ainsi découvert la lecture-plaisir, la lecture passe-temps, la lecture-jeu. Des animations de types jeux de piste, pour découvrir les lieux de lecture, (bibliothèques, librairies...) ou de type jeu de l'oie, pour s'initier à la recherche documentaire ont été mises en place par les médiateurs pour toucher les enfants qui ne fréquentent pas les bibliothèques trop éloignées de leur lieu d'habitation. Ces animations se font en collaboration avec les différentes structures existantes : centres sociaux, maison de l'enfance, mais aussi association de parents d'élèves, association de soutien scolaire.

    Toutes ces activités permettent de mieux inscrire la bibliothèque municipale de quartier dans l'environnement social qui l'entoure. Les bibliothèques de lecture publique ne seront jamais assez connues et c'est en allant présenter directement au public concerné les différents aspects de nos immenses ressources et en facilitant au maximum l'accès à ces ressources par les moyens technologiques actuels, mais aussi par l'accompagnement personnalisé, que nous pourrons convaincre les plus réticents et faire en sorte que chacun trouve sa place dans le monde des bibliothèques et dans le monde plus large et essentiel de l'éducation.

    Les médiateurs en bibliothèque, à Lyon depuis mai 1995, permettent une meilleure approche et une meilleure utilisation de nos établissements et de nos ressources. Leurs actions et leur fonction ne doublent pas le travail ni les fonctions des bibliothécaires professionnels. Elles permettent de mieux ajuster nos réponses aux demandes d'un public de plus en plus diversifié et de plus en plus exigeant.