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Nouveaux besoins, nouveaux services, nouveaux catalogues

1997
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    Nouveaux besoins, nouveaux services, nouveaux catalogues

    Par Hervé Le Crosnier
    (1) Un bibliothécaire doit pouvoir répondre à presque toutes les questions qui lui sont faites, non seulement sur ce qui regarde particulièrement le dépôt qui lui est confié, mais encore sur une infinité de choses qui lui sont pour ainsi dire étrangères, parce que la place qu'il occupe lui donnant tous les moyens de s'instruire, on doit penser qu'il en a profité. S. Boulard, Traité élémentaire de bibliographie, 1804 je veux une bibliothèque qui puisse prendre en compte toutes les données du savoir dans toutes les disciplines et surtout qui puisse communiquer ce savoir à l'ensemble de ceux qui cherchent, qui étudient, de ceux qui ont besoin d'apprendre, toutes les universités, les lycées, tous les chercheurs qui doivent trouver un appareil modernisé, informatisé et avoir immédiatement le renseignement qu'ils cherchent. F. Mitterrand, juillet 1988 C'est la différence essentielle actuellement entre les systèmes documentaires et les catalogues de bibliothèques. Les premiers fournissent l'information, les seconds la localisent et permettent de la trouver. Ils sont complémentaires. M. Chauveinc, L'automatisation des bibliothèques en France Congrès FIAB, Grenoble, 1973

    Qu'est-ce qu'un catalogue ?

    Ces trois citations montrent la contradiction dans laquelle les bibliothécaires se trouvent dès lors qu'ils essaient de définir leur instrument de présentation face au public, leur catalogue. Le bibliothécaire conçoit le catalogue comme la liste détaillée des pièces composant une collection établie suivant un ordre déterminé pour en faciliter la recherchez (2) ». L'utilisateur au contraire, renforcé par l'autorité de tutelle, le conçoit comme le point d'accès vers la réponse à sa demande... de renseignement, le bibliothécaire ayant d'évidence, vu la place qu'il occupe, lu tous les livres et sachant quel livre doit contenir les réponses, ceci étant certifié par l'indexation qu'il a placée sur chaque ouvrage.

    Nous aurons beau expliquer que le catalogue est un outil spécifique, distinct des banques de données bibliographiques (qui indiquent les documents répondant à des questions précises) ou des annuaires et répertoires (qui donnent directement l'information) ou encore des systèmes d'information en texte intégral (qui proposent directement le document à la lecture)... le public n'aura de cesse de vouloir y trouver la réponse directe à sa demande d'information (3)

    Face à ce tropisme du public, le bibliothécaire peut adopter diverses attitudes :

    • le refus : maintenir la séparation entre les outils d'information et le catalogue, en conservant les règles héritées des catalogues sur fiches. Volonté de séparation qui conduit à maintenir la séparation physique des outils de consultation (l'opaque, si bien nommé pour le catalogue, et le cédérom pour les recherches documentaires) ;
    • la formation : apprendre à l'utilisateur à distinguer chaque outil en fonction des objectifs de recherche. On peut toutefois se demander si cela a quelque chance de réussir, sachant que cette distinction est la partie la plus difficile de l'apprentissage, alors que les interfaces d'interrogation se simplifient ;
    • la fuite en avant technologique : les documents électroniques vont remplacer le livre pour la délivrance de renseignements, échapper au bibliothécaire, qui pourra se concentrer sur sa mission de mise à disposition des ouvrages au public connaisseur qui cherchera à lire et non plus à consulter. La première partie de ce discours se retrouve dans tous les textes des futurologues à la petite semaine qui prédisent chaque matin la disparition des bibliothécaires et des documentalistes, la machine se chargeant de leur travail. La suite ne fait que forcer le trait de pratiques et d'attitudes que vous connaissez tous.

    Ces attitudes sont d'évidence des caricatures, qui ne servent qu'à la démonstration, la réalité étant toujours plus souple. Car le problème est d'ampleur, et loin de se simplifier avec l'irruption de nouveaux instruments techniques, il se complexifie.

    Le premier coin dans l'ordre traditionnel qui définissait la place et la fonction du catalogue date de 1973. Cette année là, le congrès de l'IFLA-FIAB avait pour thème « L'accès universel aux publications (4) Le catalogue ne pouvait plus être simplement la synthèse des ouvrages disponibles dans la collection locale, mais devait s'ouvrir au monde pour permettre aux bibliothécaires des autres lieux de repérer la localisation d'un quelconque ouvrage recherché, afin de remplir les exigences de l'AUP. Un aspect que l'on retrouve avec ferveur dès que l'Internet a permis de connecter les bibliothèques du monde : chacune se chargeait de proposer son catalogue pour que les autres puissent connaître la richesse de son fonds... mais aussi en profiter au travers du prêt interbiblio-thèques. Le meilleur moyen de résoudre les exigences de l'AUP fut de construire des catalogues collectifs à l'instar de celui de l'OCLC. Travail immense, et surtout onéreux, et peu souple. On en est venu à l'idée d'interconnecter les catalogues locaux. C'est le projet de base du Catalogue collectif de France, mais aussi des systèmes de connexion locaux, à base d'antéserveurs, ou proposant les divers catalogues d'une même ville en tous les points des bibliothèques du réseau. Cela fait resurgir la question primaire : si l'utilisateur ne trouve pas dans le catalogue de sa bibliothèque, ira-t-il consulter le catalogue de la voisine ?

    Dans la logique de l'AUP, l'idée qu'un utilisateur distant puisse consulter le catalogue d'une bibliothèque dans laquelle il ne mettra pas les pieds est tout à fait cohérente. C'est ce qui a poussé très tôt les décideurs à demander l'ouverture des catalogues sur le réseau mondial de la recherche.

    Les banques de données bibliographiques

    Parallèlement, la décennie 70, et plus encore les années 80, ont vu le développement des banques de données bibliographiques et en texte intégral. Avec ces accès électroniques, la question de la recherche par sujet a été posée : comment décrire un document pour permettre de le retrouver, de retrouver tous les documents intéressant une recherche et seulement ceux-ci, évitant le bruit documentaire autant que le silence ? Les recherches sont toujours sur le chantier, car le langage, ce coquin, s'est ingénié à jouer des tours à ceux qui croient que les concepts peuvent aisément s'exprimer, et pourquoi pas dans une langue universelle, que l'on nommerait naturallanguage", histoire d'en indiquer l'origine (5) .., Un des acquis de cette période, c'est qu'au sein des approximations qui sont nécessaires pour faire fonctionner les systèmes d'accès à l'information, la capacité à définir un point d'accès pour chacun des termes d'un document électronique est certainement la méthode la plus souple, même si dans certaines circonstances (trop de documents, ou des recherches précises) elle peut s'avérer aléatoire (6) .

    Face à l'accroissement des documents numériques (d'abord les banques de données en texte intégral, les agences de presse, maintenant les documents du Ouebbe), il a fallu peaufiner ce modèle : pondération statistique (WAIS), pondération associée à la place du mot dans le document (SWISH pour les documents HTMI (7) ), lemmatisation des termes, ou au contraire extraction de syntagmes nominaux (apports de la linguistique informatique), pour finalement valoriser deux approches.

    • » L'organisation du vocabulaire au travers des topics : un terme de recherche sera dit présent dans un document" si une série de termes associés sont eux-mêmes présents, et en sens inverse, un mot s'associera à un terme de recherche modulo une pondération adaptée à chaque utilisateur particulier. Dans ce cadre, la description documentaire, tout comme la recherche des termes d'interrogation les plus adéquats passe par la valeur du résumé, ou même du texte numérique lui-même. Les langages documentaires ne deviennent plus des goulots d'étranglement du système (thésaurus, listes d'autorité), mais sont adaptés à chaque type d'utilisation et d'utilisateur... même si la présence d'un documentaliste est conseillée pour la définition des topics.
    • * « L'organisation de la collection de documents, soit de façon automatique (l'agrégation automatique), soit par des... bibliothécaires. Cette collection organisée deux modes d'accès : un mode descendant qui parcourt l'arbre classificatoire jusqu'à trouver la « bonne classe », ou un parcours ascendant, qui part d'une recherche directe... pour balayer ensuite la (ou les) classe(s) privilégiée(s) par les documents jugés les plus pertinents. C'est le modèle choisi par Yahoo (8) pour organiser les documents électroniques de l'Internet... qui pour cela embauche à tour de bras des bibliothécaires.

    L'hypercatalogue

    Ces deux modèles sont rendus possibles par le développement du concept de l'hypertexte (9) : la recherche documentaire mécanisée se rapproche de la recherche générale et de ses méthodes cognitives de va et vient, d'approximations successives, de hiérarchisation. Le même outil de lecture et de navigation permet de combiner les diverses approches. Le travail de sélection est rendu entre les mains de l'utilisateur qui peut constituer son « panier de la ménagère en piquant dans les rayons électroniques les documents qui le concernent suivant un mode qui associe la découverte par hasard et la recherche précise. Le catalogue joue alors le même rôle que la bibliothèque elle-même. D'outil d'accès, il est devenu métaphore... et l'on retrouve le mythe de l'accès au catalogue remplaçant l'accès à la bibliothèque physique.

    Ce concept d'hypercatalogue (10) peut se décliner suivant diverses voies :

    • une démarche d'approfondissement qui part de la notice pour offrir des vues de plus en plus précises. Soit pour présenter des extraits (extraits de texte, extraits sonores ou vidéo), soit pour présenter l'environnement (photo de la couverture (11) ), soit pour reprendre l'organisation interne du document (table des matières, liste des articles d'un ouvrage collectif, liste des titres d'un enregistrement sonore...), soit encore pour accéder directement au document numérique décrit. La notice devient l'outil d'intégration des informations numérisées (donc accessibles via l'écran du catalogue) ;
    • une démarche d'association: à partir du lot de notices (représentants de documents) sélectionnées, le système calcule des relations de proximité qui font émerger de nouveaux documents qui sont proposés à la sagacité de l'utilisateur. Au sein d'une collection définie, ces mesures peuvent être calculées à l'avance (phase d'indexation, au sens informatique de réalisation des fichiers inverses). D'après une étude canadienne, cela améliorerait de 20 % la qualité des recherches (12) . On peut encore améliorer cette solution en basant les calculs de voisinage sur des heuristiques prenant en compte l'environnement éditorial (même auteur, même collection, même périodique spécialisé...), l'environnement documentaire (indexation manuelle, classification) et même l'apprentissage (étude des cosélections de documents par l'ensemble des utilisateurs) ;
    • une démarche de navigation : à partir d'une notice, accéder à la biographie d'un auteur, éventuellement aux services spécialisés le concernant et aux associations visant à promouvoir son oeuvre ; accéder à la liste d'une collection éditoriale... Le catalogue devient alors un outil pointant vers les renseignements de type encyclopédique qui vont se sédimenter sur le réseau. Le premier de ces services connexes que les bibliothécaires pourront fournir sera celui de la rédaction collective et répartie de courtes notices biographiques, si possible agrémentées de photographies, de portraits, d'extraits d'interviews sonores ou vidéo... Gageons qu'ils seront grandement appréciés s'ils rendent ce service aux étudiants, aux lycéens, à ceux qui font des recherches... et aux simples amateurs.

    Pour permettre à ces hypercatalogues de se développer, il convient d'améliorer notablement la description catalographique, et aussi d'ajouter des outils de linguistique informatique (13) dans le processus (dictionnaires, thésaurus, multilinguisme...). On peut ainsi travailler sur plusieurs éléments (14) :

    • ajouter des descripteurs pour couvrir le spectre des mots susceptibles d'être utilisés. Simplifier la structure des descripteurs pour leur permettre de jouer leur rôle de regroupement des notices ;
    • ajouter les tables des matières, notamment pour les livres regroupant plusieurs travaux (dans une bibliothèque d'université, un livre contient en moyenne sept travaux). On doit d'ailleurs s'interroger sur la manière de décrire ces travaux dans les catalogues de bibliothèques, et de la comparer avec les descriptions bibliographiques des banques de données (enjeu du débat sur le champ 505 du format USMARC) ;
    • ajouter les résumés, et utiliser le vocabulaire de ces résumés pour améliorer les accès (mots du jargon professionnel en complément des mots de l'indexation structurée) ;
    • utiliser un (ou plusieurs) schéma(s) classificatoire(s) afin de permettre la navigation. N'oublions pas que souvent la réponse à une question n'est pas simplement une liste d'ouvrages, mais un « rayon de bibliothèque » ;
    • utiliser les informations annexes proposées par les éditeurs (quatrième de couverture, illustration de la couverture, notes biographiques...).

    Le catalogue, point central d'accès à l'information

    Pour être menées à bien, ces améliorations sont très gourmandes en temps et demandent donc des emplois nouveaux. Mais elles jouent pleinement dans le travail de métaphore souligné ci-dessus. Le catalogue est souvent l'instrument central qui permet de sélectionner un livre parmi la masse des ouvrages proposés à chaque lecteur. Il faut lui donner des outils de recherche documentaire, mais aussi de présélection et de choix, que le simple titre ou la notoriété de l'auteur n'apportent pas toujours.

    L'évolution des catalogues part de l'évolution du contenu des notices. On ne peut faire fonctionner des systèmes d'aide « intelligents qu'en leur fournissant de l'information à traiter. Mais l'évolution doit aussi se faire dans le domaine des interfaces d'interrogation. Le modèle cliquez partout pour faire surgir plein de fenêtres » n'est pas toujours très adéquat pour une opération qui demande de la concentration et du raisonnement (15) Il convient au contraire de travailler à une approche plus cognitive, qui permette de guider réellement l'utilisateur dans sa recherche d'information, sans accentuer le travail de repérage et de lecture à l'écran, qui est en lui-même très prenant. Les interfaces par formulaire du service W3 sont un bon exemple dans ce sens. même si dès qu'elles s'appliquent aux catalogues de bibliothèque, on se retrouve comme « paralysé par le modèle traditionnel.

    On doit aussi se pencher sur une rhétorique propre des hypertextes quand ils sont utilisés dans les catalogues de bibliothèque ou dans les banques de données. Ainsi, quand on visualise une notice à l'écran, comment mettre en valeur les « ancres » vers d'autres informations complémentaires ? Si l'accès à un extrait sonore est confondu avec la possibilité de voir la pochette d'un disque, si l'accès à la biographie d'un auteur prend la même forme qu'un accès aux autres ouvrages du même auteur contenus dans le catalogue, on ne saura pas utiliser les nouvelles fonctions qui sont offertes à notre imagination pour mieux répondre aux attentes du public. Même si ce problème dépasse les catalogues, pour s'imposer dans tous les débats sur l'hypertexte (16) , nous devons apporter des réponses singulières... et éviter aujourd'hui de confondre les notices avec des simples systèmes de renvoi (chaque mot est « cliquable et relance une question, sans maîtrise par l'utilisateur).

    Enfin, nous devons raisonner sur l'intégration des catalogues de bibliothèques dans le service W3 (le Ouebbe). Alors que les versions actuelles des catalogues sont construites sur des applications de type terminal connecté (soit physiquement, soit au travers d'une application Telnet), on ira de plus en plus vers des systèmes clients-serveurs. Deux hypothèses sont en place : une norme spécifique pour les systèmes bibliographiques (Z39.50) ou bien une utilisation du protocole http (comme à la bibliothèque universitaire de Lyon 2 (17) ). Ce protocole est en mode non connecté, si bien qu'à chaque requête, le poste du lecteur envoie une demande au serveur, qui répond puis se déconnecte. Cela possède un inconvénient : il n'y a pas de notion de « session », le serveur doit gérer l'historique des questions, ce qui est difficile avec des postes « publics ». Mais qui est aussi un avantage : si l'utilisateur est distant (18) , il peut ouvrir une fenêtre de son visua-liseur HTML qui resterait en permanence branchée sur le service de la bibliothèque, sans pour cela utiliser de ressources, ni sur son serveur, ni même sur son poste de travail. Le va-et-vient entre la production documentaire et la recherche documentaire en serait grandement facilité. Nous raisonnons trop sur le modèle d'un utilisateur debout devant un terminal dans le hall d'entrée de la bibliothèque. D'évidence, cet utilisateur-là ne sera pas enthousiaste envers les services connexes qui peuvent se développer autour du nouveau catalogue. Il lui faudra mettre un casque pour écouter les extraits sonores, se faire presser par les autres s'il veut voir un extrait vidéo, et n'aura pas de moyen d'enregistrer, de recopier (à titre privé, et pour des motifs de recherche) les informations qu'il va lire à partir du catalogue...

    Peut-être est-il temps de penser à d'autres modes d'utilisation du catalogue si l'on veut que le catalogue reste bien le point central d'accès à l'information offert par une bibliothèque. Par exemple, il faudra songer à installer des postes de lecture, en situation assise, avec possibilité d'insérer des disquettes... sur les tables de travail (certaines évidemment) ou dans des carrels pour les plus riches. Et il faudra considérer qu'un utilisateur qui fait pleinement confiance à sa bibliothèque au point de se connecter depuis son bureau au catalogue est aussi quelqu'un qui fréquente la bibliothèque, différemment, mais il reste un usager qui aura des désirs à satisfaire, mais aussi des satisfactions qui rejailliront sur la bibliothèque, sa place et son aura seront auprès des décideurs qui, rappelons-le, veulent que les bibliothèques puissent communiquer ce savoir à l'ensemble de ceux qui cherchent.

    L'accès démocratique à l'information

    L'utilisateur souhaite aussi être averti en flux des documents nouveaux que sa bibliothèque peut lui proposer. Le système des profils, exploité depuis longtemps par les centres de documentation (profils informatiques comme revues de presse) s'étend à toutes les informations documentaires. Un enseignant souhaite être averti des nouveaux livres de sa spécialité, un étudiant des thèses reçues, un amateur des achats de livres rares et précieux (19) , un journaliste des articles spécifiques, etc. Plus encore, alors que les documents numériques se développent, s'installent sur le réseau, le lecteur souhaite être averti directement, et si possible personnellement, en fonction de ses centres d'intérêt, des parutions, des découvertes... Cela se retrouve autant pour les documents scientifiques (de nombreux éditeurs proposent ainsi l'envoi sur la messagerie du lecteur des tables des matières des revues, en attendant les pages de sommaire personnalisées) que pour les documents d'actualité (sous l'intitulé trompeur de journal personnalisé). Les bibliothèques doivent s'inscrire dans ce phénomène, à la fois pour que le livre et l'écrit imprimé en général gardent toute leur place dans la culture contemporaine (20) , mais aussi pour garder une place aux services collectifs de collecte et d'accès à l'information documentaire, évitant l'emprise du commerce sur la connaissance en assurant le défi démocratique de l'accès à l'information pour tous.

    Les documents électroniques, comme la multiplication des documents (imprimés, sonores, vidéo, etc.) imposent un vaste travail de sélection, de hiérarchisation, d'organisation. Ce travail repose sur le lecteur (on ne peut pas tout lire, quelle que soit notre envie). Quand il constitue son catalogue, surtout quand son catalogue devient une véritable métaphore de sa bibliothèque, encore plus quand la mise en réseau renforce la notion d'un continuum de l'information et d'une collectivité de la pensée, le bibliothécaire remplit un rôle précieux pour faciliter la lecture. La fonction de balayage de l'information que permet le catalogue, la fonction d'aperçu des informations que propose la diffusion sélective de l'information sont deux instants de la pratique de lecture. Ces fonctions sont même appelées à prendre une part de plus en plus importante. Sans faire peser sur le bibliothécaire le poids de la validation du contenu (c'est le rôle de l'éditeur, et cela le restera en grande partie dans l'univers électronique), la conception du catalogue, notamment du catalogue élargi tel qu'il a été présenté dans cette courte intervention, place inévitablement le bibliothécaire dans une position centrale dans le réaménagement de l'organisation sociale de la connaissance qui se déroule sous nos yeux.

    Car ne nous leurrons pas : quand la connaissance recule au nom des intérêts mercantiles, quand la collectivité des lecteurs s'efface devant la haine, quand on ne juge plus l'autre que sur son faciès, sa religion, la musique qu'il écoute, quand tout simplement on jette l'opprobre sur la connaissance partagée et les services qui la mettent en oeuvre... alors la guerre arrive, la partition ethnique, le nouveau partage entre les info-riches et les info-pauvres, la domination de la pensée unique de l'image facile, la pornographie collective du journal télévisé et son cortège d'horreurs, de sang étalé à la une.

    Quand nous essayons de penser notre catalogue, songeons à deux éléments :

    • des pays n'ont pas de bibliothèque, en raison de la pauvreté comme en Afrique, ou parce que la guerre a joué son rôle civilisateur comme à Sarajevo. Et gageons qu'ils accéderont plus vite à nos catalogues que ne se construiront leurs bibliothèques ;
    • la connaissance est un bien public. Il faut en garantir l'accès démocratique, à long terme et pour toutes et tous. C'est le rôle des bibliothèques... mais les tendances sont lourdes qui visent à déconsidérer cette mission . versement monétaire abusivement nommé droit de prêt, insulte du photocopillage, recul des tolérances permettant d'extraire l'éducation et la recherche de la marchandisation de la connaissance, prévarication de l'édition scientifique (21) .

    La production des artefacts culturels (livres, disques, vidéo, cinéma...) a engendré une forme d'organisation économique, avec des services surpayés (le show business) et d'autres marginalisés (les bibliothèques). L'irruption du réseau mondial et la numérisation de toutes les formes d'information posent de nouveaux problèmes de répartition sociale de la connaissance, et de définition de l'économie de la connaissance qui va naître. Si l'on prend au pied de la lettre (et de l'image) la notion d'une société de l'information, il nous faut être attentifs aux réorganisations économiques qui s'y déroulent, et à leurs conséquences culturelles. Nous pouvons et nous devons obtenir les crédits, mais surtout les emplois qui nous permettent d'être présents dans cette réorganisation, pour y défendre ce bien public de la connaissance, aussi indispensable à la liberté que l'eau et l'air le sont à la vie matérielle.

    1. Maître de conférences à l'université de Caen après avoir été dix ans conservateur de bibliothèque. Modérateur de la liste de diffusion francophone BIBLIO-FR. Dernier texte paru : - Les bibliothécaires et le réseau, un métier qui évolue avec les technologies in Les nouvelles technologies dans les bibliothèques sous la direction de Michèle Rouhet. Éditions du Cercle de la librairie, mai 1996. Herve.Le_Crosnier@info.unicaen.fr retour au texte

    2. Définition adoptée dans Le métier de bibliothécaire. Association des bibliothécaires français, dir. Françoise Hecquard avec la collab. de Françoise Froissait. Paris, Électre-Éditions du Cercle de la Librairie, 1996 p. 466. retour au texte

    3. Quand il ne s'agit pas de l'outil pour lancer un . appel au secours montrant son désarroi et sa peur devant la masse d'information et le rejet dont il peut être victime, comme le montre très bien Pierre Le Loarer dans - Opacité et transparence des catalogues informatisés pour l'usager », Bulletin des Bibliothèques de France, 1989, 34(l), p. 64-77. retour au texte

    4. UAP : Universal Availabliry of Publications dont l'objectif est de fournir à n'importe qui, n'importe où et n'importe quand, tout document publié dans le monde comme le dit Marie-Louise Bossuat (Bulletin des Bibliothèques de France. 1983, n° 119, p. 7-8). retour au texte

    5. Je pense qu'il est préférable de parler de linguistique informatique - ou de traitements linguistiques pour désigner les modèles qui s'appuient sur la linguistique et le traitement des textes afin de fournir des interprétations de textes, ou de questions posées en formulation libre Nul besoin de faire appel à un quelconque « naturel pour parler de cet outil hautement culturel et social qu'est la langue. Malgré le titre, on consultera avec intérêt : David D. Lewis et Karen Sparck-Jones, -Natural Language processing for information retrieval o»imunications of the ACM, 1996, 39(1), p. 92-101. retour au texte

    6. Victor Hugo dans le titre n'est pas Hugo, Victor comme auteur, qui se distingue évidemment de « l'association des amis de Victor Hugo et plus encore de Hugo, Victor"biographie... même si Umberto Eco (De Bibliotheca) s'est pris à espérer le contraire. retour au texte

    7. http://www. eit.com/software/swish/ retour au texte

    8. http://www.yahoo.com/ retour au texte

    9. Hervé Le Crosnier, "Une introduction à l'hypertexte .>, Bulletin des Bibliothèques de France, 1991, 36(4), p. 280-294. Hervé Le Crosnier, L'hypertexte en réseau : repenser la bibliothèque », Bulletin des Bibliothèques de France, 1995, 40(2), p. 23-31. Ces deux articles proposent en outre une bibliographie importante. retour au texte

    10. Sandra Sinno-Rony. -Les hypercatalogues Bulletin des Bibliothèques de France. 1991. 36(4). retour au texte

    11. Le catalogue de la librairie électronique Nova-lis propose ce service : <http: www.alapage.fr> retour au texte

    12. W. John VC'ilbur et Leona Coffee. The effectiveness of document neighboring in search enhancement ., Information processing & management. 1994. 30(2). p. 253-266. retour au texte

    13. Ces outils linguistiques sont utiles dans le processus d'indexation, comme au moment de la recherche : Pierre Le Loarer et Bruno Menon ,Analyse linguistique du corpus de questions in : Les catalogues en ligne : enquête a la médiathèque de la Cité des sciences et de l'industrie. coordonné par Mohamed Hassoun et Danielle Roger. Éd. de l'ENSSIB. 1994. p. 71-87. retour au texte

    14. Stefanie A. Wittenbach, Building a better mousetrap : enhanced cataloguing and access for the online catalog -. in : Advances in online public access catalog. édité par Marsha Ra. Meckler. 1992. p. 74 92.16 Phil Agre. "Rethinking hyper-linking", The network observer, mai 1996. <http://communication.ucsd.edu/pagre/tno.html> retour au texte

    15. -More than window dressing. users need help in understanding the search process - peut-on lire en conclusion de : Charles R. Hildreth. - The GL'I OPAC : approach with caution-, The Public-Access Computer Systems Review. 1995, 6(5). <http://info.lib.uh.edu/pacsrev.html> retour au texte

    16. Phil Agre « Rethinking hyperlinking -, The network observer, mai 1996. <http://communication.ucsd.edu/pagre/tno.html> retour au texte

    17. http://scdinf.univ-lyon2.fr/ retour au texte

    18. Par exemple, un chercheur dans son bureau de l'université... n'oublions pas que l'Internet, avant d'être le repère de mafiosi pornocrates et négationnistes que nous présentent les médias, fut un outil pour la recherche. retour au texte

    19. À l'instar de la bibliothèque municipale de Lyon : http://www.bm-lyon.fr/actua.htm retour au texte

    20. Walt Crawford, depuis longtemps utilisateur et penseur averti de l'Internet, a publié un ouvrage qui déconstruit les facilités journalistiques d'une société sans papier. Walt Crawford et Michael Gorman, Future libraries : dreams, madness, and reality, Chicago, London, American Library Association, 1995, VII, 198 p. retour au texte

    21. Anne Dujol, -Revues scientifiques médicales et droit d'auteur -, Bulletin des Bibliothèques de France, 1996, 41(1), p. 75-82. retour au texte