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Les bibliothèques des universités en Allemagne

2001
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    Les bibliothèques des universités en Allemagne

    Un modèle en crise

    Par Dominique Arot, Conseil supérieur des bibliothèques

    Les bibliothécaires français ont coutume d'observer les bibliothèques des universités allemandes avec respect et envie, tant leurs ressources documentaires, leur organisation et leur efficacité semblent constituer un modèle. Mais cette admiration justifiée ne peut faire oublier les difficultés traversées par les bibliothèques allemandes depuis une dizaine d'années.

    Organisation et contexte

    Peut-être faut-il brièvement rappeler ici que l'Allemagne est un État fédéral découpé en régions (les Lànder), et que ces régions disposent d'un véritable pouvoir politique et de moyens substantiels. Les interlocuteurs prioritaires des universités sont donc les gouvernements régionaux, même s'il existe des programmes et des services nationaux.

    L'événement politique majeur de cette fin de siècle a bien sûr été la réunification. Les Allemands parlent volontiers du Wende (« tournant >,). Les nouveaux Lànder de l'ex-RDA sont venus rejoindre les anciens pour former l'Allemagne réunifiée que nous connaissons aujourd'hui. Des efforts importants ont été entrepris avec le soutien de l'État fédéral, des Lânder euxmêmes et de fondations privées (comme la fondation Volkswagen) pour faire en sorte que les bibliothèques des universités des nouveaux Lânder rattrapent leur retard.

    Des progrès rapides ont été accomplis à la fois dans le domaine technologique (informatisation des catalogues et équipements informatiques) et dans le domaine des bâtiments, qui ont été modernisés, agrandis ou construits comme à Erfurt. Il est important de souligner que les établissements et leur personnel, longtemps isolés pour des raisons politiques, s'intègrent désormais pleinement aux programmes nationaux et internationaux. Entre 1991 et 1995, les bibliothèques des universités des nouveaux Lànder ont vu leur budget augmenter en moyenne de 38 %.

    À l'échelon de l'université, l'organisation est partout sensiblement la même : une bibliothèque centrale de grande taille qui fédère un réseau de bibliothèques spécialisées réparties sur le campus.

    Les dernières statistiques publiées recensent 76 bibliothèques d'université et cinq grandes institutions : les trois sites de la Bibliothèque nationale (Francfort. Berlin, Leipzig), la bibliothèque du Land de Bavière à Munich et la bibliothèque de Bonn. Il faut ajouter les bibliothèques des Hochschule ou Fachhochschule (qu'on pourrait comparer à nos IUT et autres IUP, mais aussi à des grandes écoles spécialisées), qui sont au nombre de 149. Cet article s'attache, faute de place, aux seules 76 bibliothèques universitaires.

    Quelques données chiffrées

    Vous trouverez désormais en ligne (1) les statistiques détaillées des bibliothèques allemandes, et vous pourrez ainsi vous livrer à de multiples recherches et comparaisons. On ne retiendra ici que quelques indicateurs significatifs portant sur l'activité des bibliothèques universitaires allemandes en 1999.

    En 1999, la dépense documentaire par étudiant en Allemagne était de 1 056 F. En 1998 en France, elle était de 274 F. En 1999, chaque étudiant allemand avait en moyenne à sa disposition 153 livres. En France, en 1998, cette moyenne était de 18 livres.

    Dans le cadre de l'organisme fédéral qui coordonne et soutient les activités de recherche en Allemagne, la Deutsche Forschungsgemeinschaft, des pôles d'excellence documentaire ont été définis (nos Cadist français s'inspirent largement de ce modèle). Ces bibliothèques qui s'engagent à constituer des collections de référence dans un secteur disciplinaire donné avaient reçu en tout 155 millions de francs en 1999, contre 22,5 millions de francs pour les Cadist en France en 1998.

    Ces indicateurs permettent de mettre l'accent sur deux des points forts traditionnels des BU allemandes : l'importance des budgets d'acquisition et l'abondance des collections.

    Il faut noter à ce propos que, dans les régions de l'Allemagne, les collections patrimoniales sont conservées par les bibliothèques des universités et non pas, comme en France, par les bibliothèques municipales. D'où un potentiel documentaire de prestige et de poids, mais qui ne saurait évidemment être confondu avec la documentation la plus actuelle.

    Quant aux budgets d'acquisition, s'ils demeurent imposants lorsqu'on les compare à ceux des BU françaises, ils sont soumis aux mêmes pressions qui s'imposent dans tous les pays : augmentation vertigineuse du coût des abonnements aux périodiques, augmentation de la production documentaire et tensions sur les budgets publics. La section médecine de l'université de Munster constate par exemple que, si son budget de périodiques a augmenté de 28 % entre 1994 et 1998, le tarif de ses abonnements à des revues scientifiques a augmenté en moyenne durant la même période de 90 % !

    On assiste donc comme en France, mais dans des proportions moindres, à un appauvrissement des collections imprimées traditionnelles : désabonnements à des périodiques, baisse des achats de monographies. En 1998 en France, le budget consacré aux achats de documents électroniques représentait en moyenne 9,6 % du budget d'acquisition total. Cette proportion était de 4,6 % en 1999 en Allemagne.

    Pour 52 bibliothèques donnant des résultats fiables, et en écartant les bibliothèques des nouveaux Lànder manifestement surdotées (héritage de la gestion de l'emploi public en RDA), on arrive en 1999 à un ratio de 3,9 emplois qualifiés pour 1 000 étudiants. Ce ratio est en France (sur des bases voisines : catégories A, B et C des corps des bibliothèques) de 2,8 pour 1 000 étudiants. La tendance forte en Allemagne est à une baisse des effectifs de personnels et à une rationalisation poussée de l'organisation du travail.

    Un point fort : les horaires et les conditions d'ouverture

    Si l'on observe les horaires hebdomadaires d'ouverture dans les bibliothèques universitaires en Allemagne, on arrive pour 1999 à une moyenne de 65 heures (111 heures à Bielefeld, mais seulement 44 à Rostock) sur 286 jours d'ouverture (351 jours à Paderbom, mais 226 à Coblence). Ces chiffres sont à rapprocher des moyennes françaises en 1998: 53 heures sur 243 jours.

    À l'amplitude des horaires d'ouverture s'ajoutent des conditions d'accès aux collections et aux services particulièrement favorables. Le libre accès est généralisé et abondant ; pour les étudiants les moins avancés sont constituées des collections de manuels en multiples exemplaires ; dans le même temps, l'accès aux fonds en magasin est traditionnellement plus libéral qu'en France, compte tenu d'une meilleure conception des locaux, ce phénomène étant particulièrement sensible dans les bâtiments les plus récents.

    L'offre de services en ligne à l'intérieur comme à l'extérieur de l'université se développe très rapidement. Vous pourrez le vérifier en utilisant l'aide du répertoire Deutsche Bibliotheken online (2) . La majorité des sites Web des bibliothèques universitaires proposent une offre très riche : catalogues, informations sur la bibliothèque (avec très souvent les rapports annuels d'activités et de nombreuses informations statistiques), bibliothèque numérique (thèses et revues en ligne, documents patrimoniaux numérisés) et sélections de liens.

    C'est cette conjonction de services et de conditions d'accès favorables qui fait la réputation de ces bibliothèques, selon un modèle qui emprunte à la tradition des bibliothèques américaines. Mais, contrairement à une idée souvent reçue en France, l'amplitude des horaires ne peut être ici entièrement corrélée à des effectifs de personnel ou de vacataires surabondants. Les explications en sont davantage à rechercher dans une conception des bâtiments qui autorise l'ouverture au public avec des équipes de permanents réduites, dans une offre qui repose sur l'autonomie des étudiants, et dans le choix de ne proposer à certains moments de la journée qu'un service minimum (à l'instar des bibliothèques américaines) (3) .

    Une coopération efficace

    La tradition fédérale de l'Allemagne a habitué les bibliothèques d'une région (ou de plusieurs régions voisines) à travailler ensemble, en particulier dans le domaine des catalogues collectifs et de la circulation des documents.

    Il suffit d'évoquer, entre autres, les réseaux d'Allemagne du Nord (GBV), de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie (HBZ), des bibliothèques de Berlin (KOBV). La consultation du Karlsruher virtueller Katalog (KFK) (4) , qui permet d'interroger en une seule session non seulement tous les catalogues allemands, mais aussi un grand nombre de catalogues étrangers (dont les catalogues français), illustrera, mieux que tout discours, la réalité de cette coopération.

    Le service national de fourniture de documents Subito, initiative fédérale, mis en place sous forme expérimentale en novembre 1997, est effectivement opérationnel depuis avril 1998. Ce service a traité 100 000 demandes en 1998 et 270 000 en 1999 pour dépasser 410 000 demandes en 2000. La qualité de cette organisation est sans aucun doute de nature à compenser, au moins partiellement, les pertes de substance entraînées dans les établissements par la stagnation ou la réduction des budgets.

    De sérieuses difficultés

    Dès 1994, un hebdomadaire allemand à grand tirage (5) tentait d'alarmer l'opinion : La qualité des bibliothèques universitaires allemandes s'effondre : les bibliothèques, contraintes de faire des économies, risquent de se réveiller trop tard face à l'avenir du tout électronique. » Il est vrai que, depuis cette date, les universités, comme tous les services publics, ont dû faire face à de très sérieuses difficultés budgétaires.

    Pour ne prendre qu'un seul exemple parmi bien d'autres, une institution prestigieuse comme l'Université libre de Berlin (Freie Universitat) a vu son budget documentaire passer entre 1989 et 1999 de 16 millions de marks à 9 millions, et a été contrainte de résilier 10 000 abonnements à des périodiques. On comprend mieux dans ce contexte l'énergie mise par nos voisins à développer la coopération et à former des consortiums d'achats.

    Preuve supplémentaire de ces difficultés, dans un article récent6, un observateur allemand, notre collègue Gernot Gabel, tout en constatant la supériorité des établissements allemands dans de nombreux domaines, met en évidence avec une pointe d'envie l'augmentation constante des budgets d'acquisition des bibliothèques des universités françaises dans la période 1994-1998.

    Les observateurs allemands évoquent de plus en plus, dans le contexte de la mondialisation, les risques de « provincialisation de la documentation et de l'enseignement universitaires, ainsi que de la recherche, en Allemagne : un discours qui, comme en France, en appelle à la fois à une réaction vigoureuse des instances politiques de décision et à une meilleure organisation des établissements eux-mêmes, qui s'appuie sur une définition d'objectifs régulièrement évalués.

    1. http://www.bibliothekstatistik.de retour au texte

    2. http://www.hbz-nrw.de Ce répertoire est réalisé par la structure de coopération des bibliothèques du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Sur l'écran d'accueil, cliquer dans le cadre de gauche sur la rubrique Bibliotheken und bibliotheksverbunde et, sur l'écran suivant, cliquer dans la rubrique Deutsche Bibliotheken online. La navigation se fait ensuite très facilement à travers une liste alphabétique qui, pour chaque ville, propose des liens avec les sites de toutes les bibliothèques, quelle que soit leur tutelle administrative. retour au texte

    3. http://www.ubka.unikarlsruhe.de/kvk.html retour au texte

    4. DerSpiegel, 10 octobre 1994. retour au texte

    5. Die Erwerbungetats der franzôsischen Universitatsbibliotheken 1994-1998 (les budgets d'acquisition des bibliothèques des universités françaises 1994-1998), consultable à l'adresse http: Ilwwwdbi-berlin.de/dbi_pub/einzelth/ interbib/fran_017.htm retour au texte