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    Vingt ans de mutation radicale

    Par Jean-Paul Chadourne, Conservateur général Bibliothèque universitaire de Lille-III

    J'ai eu à diriger, en l'espace de vingt ans, les deux bibliothèques départementales de prêt de la Région Nord-Pas-de-Calais, avec entre deux une coupure de six ans environ correspondant d'ailleurs à une phase importante dans l'histoire des BDP, celle du passage de la tutelle du ministère de l'Éducation nationale à celle du ministère de la Culture.

    Je rappellerai brièvement les points de ressemblance et de différence entre les deux départements composant la région parce qu'on ne peut comprendre les problèmes auxquels moi-même ou mes collègues avons été ou sommes confrontés sans rappeler ces spécificités.

    Les deux départements sont très peuplés, 2,5 millions d'habitants pour le Nord, premier département français, 1,4 million pour le Pas-de-Calais, et très étendus. Leur population est jeune, sous-qualifiée et comporte depuis longtemps un fort pourcentage d'origine étrangère. Elle a connu avant les autres régions des problèmes de chômage structurel lié à la présence de mono-industries en récession continue (charbon, textile, sidérurgie). Une bonne partie de cette population vit dans des bassins industriels en déclin composés de communes modestes de 4 000 à 20 000 habitants.

    Le monde rural est cependant très présent et joue encore un rôle économique non négligeable. Le nombre de communes répondant aux critères/variables dans le temps de desserte par les BDP est donc très important. Le sous-équipement en bibliothèques municipales par rapport à d'autres régions était et reste actuellement une donnée non négligeable, même si, depuis 1983-1984, d'énormes efforts ont été faits.

    Ce sous-équipement étant parfois pallié par des moyens de substitution rudimentaires : bibliothèques d'amicales laïques dans les deux départements, bibliothèques pour tous essentiellement dans le Nord et particulièrement dans la métropole lilloise où leur présence dans certaines communes très importantes constitue un obstacle déterminant à la création d'équipements publics. Il faut y ajouter jusque dans un passé récent l'existence de bibliothèques de CE SNCF, nombreuses et importantes (Lomme, Somain, Jeumont, etc.) qui étaient ouvertes au public et qui sont maintenant dissoutes. Enfin, les élus comptent dans leurs rangs un nombre impressionnant d'enseignants ; ce qui présente des avantages mais aussi des inconvénients.

    Les différences sont cependant sensibles : le Nord comporte des villes importantes qui composent au centre du département une métropole d'un million d'habitants, le Pas-de-Calais ne connaît que des villes moyennes. Le Nord compte moins de communes (650 environ) avec une population plus importante que le Pas-de-Calais (plus de 800) mais mieux répartie, les tout petits villages (moins de 150 habitants) étant inexistants, alors qu'ils sont très présents dans le Pas-de-Calais. Enfin les communications sont beaucoup plus aisées dans le Nord (maillage d'autoroutes développé) alors que le Pas-de-Calais est beaucoup plus cloisonné et mal desservi par les transports, surtout dans le sens est-ouest.

    L'empreinte de l'Education nationale dans les années soixante-dix

    J'ai travaillé à la BCP du Pas-de-Calais de 1971 à 1976, dont deux ans en tant que directeur. Elle était considérée comme une bibliothèque-pilote, terme utilisé à l'époque par le ministère de l'Éducation nationale pour désigner les établissements - une demi-douzaine - jouissant de moyens plus importants et appelés à développer certaines politiques définies de haut.

    Fondée, en tant que Bibliothèque départementale associative par le conseil général, faisant elle-même suite à un bibliobus de la Fédération des oeuvres laïques, et dirigée, jusqu'en 1974, par un ancien instituteur, Edmond Guérin, personnalité attachante et dynamique, elle fut « nationalisée » en 1967.

    Disposant de deux annexes fixes, Boulogne et Lillers, son personnel était pour l'époque particulièrement important : plus de 50 personnes presque toutes fonctionnaires de l'État. Son fonctionnement était, comme celui de la plupart des BCP, très lié au monde de l'Éducation nationale. La plupart des dépôts ruraux, limités en nombre de volumes, se faisaient dans les écoles, et parfois même dans les classes, ce qui, compte tenu de la dispersion démographique, alourdissait le service et consommait des moyens importants, sans « évaluation possible, l'outil statistique étant trop dépendant d'instituteurs qui s'en souciaient peu et se comportaient plus en consommateurs passifs qu'en véritables dépositaires. On comptait encore de nombreux « dépôts-caisses » automatiquement renouvelés, considérés par le personnel, mais aussi par les destinataires, comme une corvée imposée. Le seul interlocuteur de la BCP était donc l'instituteur, le maire n'intervenant qu'en cas de problème. Ce lien organique avec l'Éducation nationale se retrouvait encore a contrario lorsque la DBLP, pour améliorer cette situation, se mit à encourager les dépôts fixes dans les collèges et le prêt direct dans les écoles.

    Par ailleurs la généralisation du prêt direct au niveau des communes, essentiellement dans la zone minière, et ce y compris dans des communes importantes (la limite d'intervention ayant été portée par le ministère Edgar Faure en 1968 à 20 000 habitants) était également consommatrice d'énormes moyens et déresponsabilisait les élus locaux, trop contents de bénéficier d'un service totalement gratuit.

    La centrale d'Arras comme les deux annexes logées dans des locaux provisoires » ne se prêtaient en aucune manière aux activités d'accueil, de formation ou d'animation. Une des deux annexes, celle de Lillers n'était d'ailleurs pas liée à un ressort géographique mais était simplement le point de rattachement d'un service de bibliobus prêt direct réservé arbitrairement à quelques communes, les autres continuant à être desservies par les bibliobus-rayons.

    Cet état de fait peut sembler surprenant mais correspondait parfaitement aux orientations ministérielles de l'époque et s'accompagnait d'un certain misérabilisme sur fond d'esprit boy-scout. Les hussards noirs de la République hantaient encore l'imaginaire même s'ils conduisaient alors des bibliobus.

    Cependant une évolution commençait à se dessiner qui contenait en filigrane une autre manière de concevoir le travail des BDP, proche de celle qui constituera la politique de la future Direction du livre. Cette évolution correspondait au niveau national à la création au sein de la Direction des bibliothèques de France, devenue Direction des bibliothèques et de la lecture publique, d'un département lecture publique dirigé par Alice Garrigoux. On développa les relations avec les associations socioculturelles (« Peuple et Culture >,, Travail et Culture », Culture et Liberté ») sur des projets communs de formation et d'animation. On encouragea, de préférence au passage de bibliobus prêt direct, la création de gros dépôts fixes dans les communes les plus importantes et ce dans des locaux spécifiques (mairies, MJC, bibliothèques communales). On aida par des compléments de prêt les bibliothèques de comités d'entreprise. La circulation d'expositions itinérantes devint une activité courante.

    Enfin la BCP du Pas-de-Calais s'investit massivement à partir de 1972 dans une action collective de formation continue dans le bassin minier, à Sallaumines-Noyelles-sous-Lens, qui s'inscrivait dans les projets du secrétariat d'État à la Formation continue, développés à l'origine en Lorraine par B. Schwartz. Cette action permettait de réunir l'aspect éducatif rassurant pour le ministère et l'action culturelle innovante en liaison avec de multiples acteurs : syndicalistes ouvriers et patronaux, associations culturelles, animateurs municipaux, chercheurs universitaires, enseignants motivés, artistes, etc. Si je dois regretter une période de mon passage dans le Pas-de-Calais ce sera bien celle-ci. Elle s'inscrivait dans une dynamique particulièrement volontariste et conquérante, solidaire et militante, douée d'un optimisme créateur et passablement utopiste qui ne résistera pas à la crise.

    C'est aussi à cette époque que les bibliothécaires commencèrent à porter un regard critique sur le contenu des ouvrages qu'ils diffusaient et singulièrement des livres pour enfants. La mission remplie par la Joie par les livres », le renouveau de l'édition pour la jeunesse se traduisirent au niveau local par une meilleure information et une meilleure formation des professionnels. L'amélioration des qualifications et le rajeunissement des personnels concrétisaient une politique de recrutement massif propre à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix. Des modes de fonctionnement archaïques, des missions trop lourdes et trop subordonnées aux intérêts immédiats de l'Éducation nationale qui commençait seulement à s'intéresser à la documentation et à sa pédagogie, un manque d'intérêt réel des élus qui, n'étant pas responsables, ne se sentaient pas concernés, le centralisme administratif ignorant des conditions locales géographiques, démographiques, sociales et culturelles et régentant tout de manière uniforme, du choix des bibliobus à la construction des locaux, les conflits internes aux administrations de l'État, entre Préfecture, Inspection académique, Direction de l'équipement : tout cela constituait un handicap à la création d'un véritable service de lecture publique en milieu rural s'appuyant sur une politique concertée et liée elle-même au développement des bibliothèques municipales.

    Le tournant de 1975

    J'ai quitté provisoirement le monde des BCP au moment où, après un bref passage sous la tutelle du ministère des Universités destiné essentiellement à rassurer les personnels, elles furent transférées au ministère de la Culture. Ce transfert inquiétait en effet les personnels de l'État soucieux de ne pas voir remis en cause leur statut interministériel et craignant de ne plus pouvoir passer d'un type d'établissement à un autre. Par ailleurs il existait un réel attachement à la maison de la rue de Grenelle réputée plus puissante et plus ouverte aux revendications de syndicats bien implantés.

    Entre-temps, la réflexion progressait chez les professionnels au sein des syndicats des personnels d'État et territoriaux comme au sein des associations et en particulier de la section des bibliothèques publiques de l'ABF. Des collègues réfléchissaient sur les limites atteintes par l'action des BCP dans le cadre qui les régissait : couverture inégale du territoire (une vingtaine de départements - dont le Nord- n'avaient pas encore de BCP) moyens non proportionnés à la population, non-hiérarchisation et coupure totale vis-à-vis des bibliothèques municipales, absence de réseaux, trop grande adhérence à la politique ou au manque de politique du ministère avec en contrepartie une non-implication des élus. La discussion portait sur les moyens et les structures, l'importance relative des uns par rapport aux autres ou leur antériorité déterminant les principaux clivages. Sur cela se greffait le débat naissant sur la décentralisation. Deux positions tranchées se manifestaient.

    La première rassemblait essentiellement des bibliothécaires de l'État autour de la revue Médiathèques publiques dirigée par Michel Bouvy, conservateur à l'époque de la BM de Cambrai. Prenant acte de l'inadaptation des BCP à leurs nouvelles missions mais souhaitant garder un aspect « national à à la lecture publique ces collègues, très influencés par le monde anglo-saxon, réclamaient la création autour de certaines bibliothèques municipales de "bibliothèques de secteur correspondant à un niveau d'administration territoriale nouveau, modulable selon les régions et intégrant les données géographiques, sociales et culturelles. Cela revenait à fondre les BCP, organismes étatiques, et les bibliothèques municipales, dépendant essentiellement des communes, et à adopter un découpage ne correspondant plus ni aux départements ni aux communes. Cela dit l'équipe de Médiathèques publiques réclamait en préalable la nationalisation des établissements, des personnels et des moyens.

    Cette conception très jacobine se heurtait à la position des bibliothécaires communaux regroupés dans la section bibliothèques publiques de l'ABF, très implantée dans la région parisienne, à une époque où les municipalités communistes étaient très en pointe pour les équipements socioculturels, n'en déplaise aux contempteurs des Bibliothèques Youri Gagarine » ou « Louis Aragon ». Ils défendaient les franchises communales et la liberté pour les élus locaux de définir leur propre politique culturelle. On se doutera que ces débats comportaient un arrière-plan politique d'autant plus important qu'on était en pleine phase de mise au point du programme commun de la gauche.

    Entre ces deux positions totalement inconciliables les conservateurs d'État soucieux de maintenir une cohérence nationale à la lecture publique tout en sauvegardant l'initiative des collectivités locales, commençaient à avancer l'idée d'une loi-cadre ou d'un schéma directeur de la lecture publique. La tutelle du ministère de la Culture se traduisit par un encouragement donné à la création de bibliothèques municipales avec lesquelles l'Administration centrale semblait avoir un meilleur contact, idéologie et politique mises à part, qu'avec les BCP, dirigées encore qu'on le veuille ou non par des fonctionnaires du ministère de l'Éducation nationale. De surcroît les moyens matériels et humains avaient du mal à suivre, la BPI était en pleine montée en charge, et il était plus aisé de subventionner des équipements municipaux que de créer ex nihilo la vingtaine de BCP manquantes avec les moyens matériels et humains nécessaires à leur fonctionnement, et cela alors même que le ministère décidait de redescendre de 20 000 à 10 000 habitants le plafond de population autorisant la desserte des communes par les BCP.

    Cela étant dit, il est certain que la réunion au sein de la même Direction ministérielle - débarrassée en outre de la gestion lourde des bibliothèques universitaires - de tous les outils concourant à la lecture publique allait permettre la mise en place d'une politique de développement qui, à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt trouvera son expression dans les rapports Vandevoorde, Pingaud et Yvert. Différents par leur origine, ils aboutissaient souvent à des conclusions et des solutions communes et qui serviront de socle aux réformes et mesures de la DLL, durant les années quatre-vingt.

    La BCP du Nord, de sa création à la décentralisation

    En 1981, le ministère Lang décidait l'achèvement du programme de création des BCP manquantes. La fin des années soixante-dix avait vu, faute de moyens, fort peu de créations. Les dix-sept dernières, dont celle du Nord, furent donc créées toutes en même temps. N'ayant aucune vocation à végéter à la BN où je me trouvais alors, je décidai de prendre la direction d'un établissement à créer ex nihilo dans une région que je connaissais bien et que j'aimais particulièrement. Le défi me paraissait intéressant.

    Compte tenu de sa population - 2,5 millions d'habitants dont plus d'un million vivant dans des communes de moins de 10 000 habitants - le Nord reçut le double des moyens en finances et en personnels à savoir : deux conservateurs, quatre bibliothécaires adjoints, trois magasiniers de bibliobus et une sténodactylographe pour deux bibliobus. Cette générosité s'accompagnait cependant d'un bémol : la BCP du Nord devait créer d'entrée une annexe pour le nord du département, en Flandre maritime, et pour le seul arrondissement de Dunkerque. Cette dernière contrainte était d'autant plus aberrante que si d'annexe il était besoin, elle devait se localiser plutôt dans le sud-est du département, regroupant trois arrondissements et deux fois plus éloigné, faute d'autoroute, en distance et en temps d'accès. Mais cela correspondait aux souhaits de l'inspecteur général qui croyaient aller au devant de ceux du président du conseil général de l'époque, élu du littoral !

    Alors que je n'avais pas encore de point de chute pour la centrale de Lille je me trouvais donc obligé de rechercher immédiatement un local pour cette annexe. D'aimables fonctionnaires départementaux finirent par me dénicher un étage dans un immeuble à vocation sociale disposant d'un monte-charge et d'un quai de chargement.

    L'intérêt d'une création ex nihilo était évident quand on avait travaillé dans une BCP ancien modèle. Tout d'abord l'établissement n'ayant pas d'histoire il n'était pas handicapé par les changements d'orientation, parfois à 180 degrés, imposés par les tutelles successives que connaissaient les plus anciennes : desserte des établissements scolaires, prêt direct scolaire, saupoudrage, etc.

    De ce fait il était aisé de suivre les consignes de la DLL concernant le plafond de desserte de 10 000 habitants, particulièrement appréciable dans le Nord, la non-desserte des établissements scolaires, le recentrage sur les communes, la signature préalable de conventions précisant certaines obligations assumables » par les mairies, la responsabilisation des élus et la formation de véritables dépositaires.

    Par ailleurs, et malgré une demande formulée immédiatement par certains maires, il était possible de planifier dans le temps la constitution des collections et l'organisation des premières dessertes, sachant qu'il n'était plus question de faire du saupoudrage. Il fallut environ un an pour que le nombre de volumes traités permette le démarrage d'un cycle de tournées régulier (au moins trois fois l'an) déposant un nombre significatif d'ouvrages (pas moins de 300) dans des relais communaux destinés à cet usage et disposant d'un responsable formé rudimentairement par la BCP. Au bout d'un an nous desservions environ 40 communes sur les 600 qui théoriquement pouvaient bénéficier de nos services.

    Les rapports avec le ministère étaient plus ou moins chaotiques. Comme tous les professionnels, j'avais ressenti avec beaucoup de déplaisir les propos provocateurs tenus par Jean Gattégno, le Directeur du livre et de la lecture à Hénin-Beaumont. En rajoutant sur la décentralisation ce dernier s'était aliéné une bonne partie des conservateurs, y compris parmi ceux qui, comme moi, n'y étaient pas hostiles a priori et qui savaient bien qu'elle était inéluctable. Maintenant le bilan de Jean Gattégno apparaît à tous net et sans bavure comme celui d'un grand professionnel, sans doute le plus grand depuis Julien Cain. Ce n'était pas aussi évident à l'époque et la maladresse de certains épigones a parfois desservi son projet.

    Certaines pratiques du ministère contredisaient d'ailleurs la politique énoncée officiellement : le désastreux projet Libra, hyper-centraliste et techniquement pas au point, prit les nouvelles BCP comme cobayes. Je dois avouer que bien me prit de traîner les pieds dans cette affaire qui se termina en catastrophe financière. Le maintien de la notion de centrale opposée à des annexes, se traduisant architecturalement par le désir de construire un bâtiment prestigieux au chef-lieu, et le refus de se préoccuper du reste relèvent de la même contradiction. Ce qui est acceptable dans un département moyen devient surréaliste lorsque la préfecture, siège de la centrale se situe au centre d'une communauté urbaine de plus d'un million d'habitants dont une bonne partie des communes est trop importante pour bénéficier des services d'une BCP et que les cinq autres arrondissements sont aussi importants qu'un de ces départements moyens. La nomination des conseillers pour le livre et la lecture, nouveaux représentants en mission, n'avait rien non plus de très girondin et devait provoquer quelques heurts entre les professionnels du terrain et des fonctionnaires nommés selon des procédures peu claires et considérés comme l'oeil de l'Avenue de l'Opéra - surtout lorsqu'elle se doublait de la création de centres régionaux de coopération entre bibliothèques qui n'étaient en fait que des associations postiches et dont les responsables n'étaient pas désignés de manière très transparente.

    Conseiller et centre de coopération avaient pour principal objectif de relayer les « politiques parfois intéressantes mais brouillonnes et changeantes de la DLL visant tel public, telle prestation, tel service : une fois les handicapés, une autre le quart monde, une autre les prisons, le patrimoine ancien, l'audiovisuel, etc. Il était évident que, dans l'urgence, ma première préoccupation était tout autre et visait surtout à constituer une trame sur l'ensemble du département.

    La ligne de conduite était simple : irriguer le plus rapidement possible le maximum de communes dans tous les secteurs du département et dans les meilleures conditions possibles, faire démarrer l'annexe d'Hazebrouck imposée d'entrée en y développant des tournées de prêt direct concevables en raison de la taille réduite des communes dans ce secteur rural, travailler très rapidement à l'implantation d'une deuxième annexe, celle-là indispensable, dans le sud du département.

    Parallèlement, il importait de constituer rapidement un fonds de discothèque puisque le ministère y aidait financièrement. Enfin, il importait de réfléchir à un programme départemental de développement de la lecture publique, non seulement parce que le ministère le demandait mais surtout parce que la situation géographique, démographique, sociologique, politique et économique du département l'imposait avec ses six arrondissements aussi peuplés qu'un département moyen, son bassin minier éclaté en moyennes et petites communes sous-équipées en bibliothèques municipales, et le retard en matière de niveau scolaire d'une bonne partie de sa population.

    Dès 1984 le conseil général sollicité décida d'aider la BCP en créant des emplois territoriaux subventionnés par l'État, montrant ainsi son intérêt pour un service qui allait lui échoir.

    Fin 1985, à la veille de l'entrée en vigueur de la décentralisation, le personnel territorial qualifié, recruté par concours sur épreuves, était aussi important en nombre que celui de l'État, l'annexe sud entièrement financée par le département ouvrait ses portes au Quesnoy entre Valenciennes et Avesnes, la discothèque de la BCP commençait ses tournées et le parc de véhicules avait plus que triplé par rapport à 1982.

    De la BCP à la médiathèque départementale

    La départementalisation s'est faite dans le Nord sans à-coups et dans un climat de confiance réciproque. La BCP prit toute sa place dans l'organigramme des services départementaux et les rapports s'établirent naturellement avec les différentes directions administratives. Ils furent bientôt non seulement cordiaux mais même fructueux avec celles chargées de la culture et de l'enseignement et avec les vice-présidents chargés de ces domaines au sein de l'exécutif. Le département avait, comme on l'a vu, commencé à aider la BCP bien avant 1986.

    Conscient d'hériter d'un outil culturel fiable, dont la mission coïncidait avec son rôle de développeur " du monde rural et qui agissait concrètement et visiblement dans les petites communes de Zuydcoote à Fourmies, son intérêt se manifesta par une augmentation soutenue des moyens en crédits et en personnels accordés à la BCP (50 postes, une douzaine de véhicules lourds, 4 millions de francs pour les acquisitions fin 1992, un système intégré de gestion) à condition que ces moyens soient utilisés pour des objectifs définis préalablement : ouverture de nouveaux services (discothèque, annexe sud, vidéo-thèque, animation, informatisation) élargissement des tournées, actions spécifiques vers des publics pour lesquels le département avait à assumer des missions particulières (collégiens, petite enfance, etc.).

    Une de nos craintes fut justement que le Conseil général nous demandât de desservir les collèges dont il avait la responsabilité du fonctionnement, comme cela se faisait dans les anciennes BCP. La tâche était impossible le département comptant plus de 200 collèges. Un accord fut trouvé avec la Direction de l'Enseignement qui se chargeait de doter tous les CDI des collèges en livres, la BCP aidant au choix et servant de centre de ressources pour les documentalistes. Un travail de fond fut mené parallèlement avec la « mission lecture » du CRDP afin de mettre sur pied des stages de formation pour ces derniers.

    Le département étant chargé des centres de PMI, une réflexion commune réunit bibliothécaires spécialisés dans les ouvrages, mais aussi les phonogrammes, destinés à la petite enfance et les puéricultrices, éducatrices et infirmières des PMI. Dessertes, stages et animations furent mis sur pieds par un véritable service de la petite enfance au sein de la BCP. Le département s'associa également activement et surtout financièrement à toutes les opérations de promotion culturelle prises en charge par la BCP ou auxquelles elle participait (Fureur de Lire, Fête de la Musique, Bicentenaire de la Révolution, Promotion de la culture scientifique et technique, etc.).

    En dix ans la BCP du Nord était passée du statut d'embryon cultivé dans un modeste bureau de la DRAC à celui d'une médiathèque départementale ouverte à tous les supports de diffusion et concernant plus de la moitié des nordistes vivant dans des communes de moins de 10 000 habitants.

    Quelques regrets

    Outre le fait de n'avoir pas pu travailler dans le nouveau bâtiment, le plus grand de France, livré au moment même où je quittai la médiathèque départementale, après avoir assisté pendant près d'un an à presque toutes les réunions de chantier, j'ai quand même le sentiment d'avoir laissé quelques dossiers importants à mes successeurs.

    D'abord celui de la transformation de l'outil, proprement dit. Si la BCP du Nord constitue par rapport à la BCP du Pas-de-Calais des années 1970 - et il ne s'agit ici que de celle-là - un progrès indéniable, l'accélération des changements sociaux économiques et politiques, des modes de vie, des organisations elles-mêmes nous ont très vite imposé une réflexion sur l'évolution souhaitable des modes de fonctionnement. Les projets de « Plan départemental de la lecture publique que j'ai soumis à plusieurs reprises aux organismes de tutelle : conseil général, DRAC, ministère n'ont guère été suivis d'effet et je crains que l'état des finances des collectivités territoriales freine maintenant les initiatives. Si des efforts ont été faits dans la création ou l'aide à la création de bibliothèques municipales, il reste de nombreux points noirs à la fois dans la banlieue lilloise où l'existence des bibliothèques pour tous empêche la réalisation d'équipements publics dans des villes importantes, mais surtout dans le bassin minier où la taille des communes, leur imbrication et l'état de leurs finances sont un véritable handicap à la création d'équipements viables.

    Méfiant à l'égard des projets autoritaires de coopération intercommunale forcée je ne disconviens pas cependant de la nécessité de formules originales dans lesquelles une BDP ou une médiathèque départementale aurait à jouer un rôle déterminant. Le remplacement des bibliobus par d'autres formes de service, sauf dans les endroits où il n'est pas possible de faire sans, me semble de toute façon inéluctable à terme. Le développement de centres de ressources autour de bibliothèques municipales acceptant certaines contraintes d'ouverture mais bénéficiant de cofinancements et épaulées en partie par du personnel départemental formé me parait être une voie à suivre. On en viendrait ainsi par des chemins détournés mais moins abrupts que ceux préconisés par l'équipe de Médiathèques publiques » dans les années 1970-1980, à des sortes de « bibliothèques de secteurs mais plus souples dans leur fonctionnement et issues des collectivités locales.

    L'autre dossier ouvert est celui de la formation. Le bénévolat atteint vite ses limites même si on essaie de le remettre au goût du jour et de l'utiliser comme moyen de traitement du chômage sous forme d'emplois d'intérêt social et culturel. La formation et la professionnalisation des responsables de relais BDP devient une nécessité. L'ABF a obtenu des résultats dans nombre de départements où elle organisait des centres de formation. Cette formation doit s'appuyer sur l'existant, formations délivrées par le centre régional de formation aux carrières des bibliothèques et CNFPT.

    Je crois savoir qu'à Hellemmes (1) mon successeur a rouvert ces deux dossiers. Je m'en réjouis.

    1. Quartier de Lille siège de la médiathèque départementale du Nord. retour au texte