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Des BCP aux BDP, une "révolution culturelle"

1995
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    Des BCP aux BDP, une "révolution culturelle"


    Maud Espérou s'entretient avec Brigitte Braillon, directeur de la bibliothèque départementale de prêt de l'Oise.

    Maud Espérou - Nous allons passer un moment ensemble, chère Brigitte, j'aimerais que vous évoquiez pour nos lecteurs, cette « révolution culturelle qu'ont connue les bibliothèques centrales de prêt, autour des années quatre-vingt. Auparavant, pourriez-vous me dire, en quelques mots, ce qu'étaient alors les BCP : leur nombre, le profil des communes desservies, l'importance des collections déposées...

    Brigitte Braillon- En 1981, il n'y avait pas de BCP dans tous les départements français, métropole et départements d'outre-mer compris : 77 BCP seulement étaient ouvertes. Elles desservaient 27 387 dépôts ; un dépôt moyen était de 344 volumes et pour l'ensemble du territoire couvert, la rotation des ouvrages déposés se montait à 9,5 millions. Les BCP avaient toutes des pratiques différentes et, à l'intérieur d'une même BCP, pouvaient également coexister des pratiques diverses ; seules 45 BCP faisaient du prêt direct. Ces différences s'expliquent par la date de création de l'établissement, mais essentiellement par les données géographiques du département, par le type d'habitat, concentré ou dispersé, par le type de la population, urbanisée ou plutôt rurale. Mais pour toutes les BCP, les dépôts scolaires étaient majoritaires (64 %).

    ME - Un mot du personnel ?

    BB - 796 personnes relevaient de la fonction publique d'État, dont 102 conservateurs ; il faut ajouter à ce personnel 94 agents rémunérés par des associations ou les départements.

    ME - Venons-en à 1981. Quelles initiatives extérieures, quels hommes ont provoqué le tournant dans la dynamique des BCP ? Les missions imparties aux BCP se sont-elles transformées ou ont-elles évolué ? ou seulement les moyens financiers ont-ils été augmentés et le statut administratif changé ?

    BB - Un bref retour sur le passé s'impose pour comprendre les changements intervenus à partir de 1981. Avant la scission de la DBLP, en 1975, c'était le ministère de l'Éducation nationale qui exerçait la tutelle des BCP, comme pour toutes les bibliothèques d'ailleurs. À partir de 1975, les BCP furent administrées par le secrétariat d'État ou par le ministère de la Culture. Dès sa nomination comme ministre de la Culture, Jacques Lang se préoccupa du faible état de la lecture en France. Deux rapports virent le jour à peu près simultanément. Le premier, sur « Les Bibliothèques en France >,, adressé au Premier ministre, fut dirigé par Pierre Vandevoorde ; le second, à l'intention du ministre de la Culture, « Pour une politique du livre et de la lecture », avait été confié à Jean-Claude Barreau et Bernard Pingaud. Pour toutes les bibliothèques de lecture publique, la commission Barreau-Pingaud préconisait un plan d'urgence sur cinq ans qui impliquerait des engagements pluriannuels de l'État. Plus particulièrement pour les BCP, la commission proposait :

    • que le principe de la réalisation des 17 BCP soit dès maintenant admis ;
    • que l'effort financier portant, à la fois sur ces créations nouvelles et le renforcement des BCP les plus défavorisées soit mené en deux ans (durée du plan intérimaire), l'objectif étant qu'à la fin de 1983, l'ensemble des départements français soient enfin dotés d'un réseau de BCP en » état de marche ».

    Jean Gattégno fut l'artisan de cette politique. Il ne ménagea jamais sa présence sur le terrain ; il n'hésitait pas à se déplacer en province, en cas de conflit avec les autorités, ou durant le week-end, pour des inaugurations. Dès 8 h 30 du matin, tout directeur de BCP pouvait le joindre dans son bureau, avenue de l'Opéra. Il leur rappelait qu'ils étaient les services extérieurs de l'État.

    Mission fut donnée aux BCP de recentrer leur action, par l'implantation d'un seul dépôt par commune, par le désengagement du milieu scolaire, par la desserte des villes de moins de 10 000 habitants, soit avec l'aide des BM existantes, soit en pratiquant le prêt direct dans les communes de moins de 1 500 habitants. La création des 17 BCP dans les départements où elles étaient absentes s'est faite avec des moyens financiers et logistiques très importants. Dans les autres départements, un effort de mise à niveau des moyens en personnel, documents, véhicules, était impérieux dans la perspective de la décentralisation projetée pour 1986. À cette date-là, tous les départements devraient posséder une BCP active qui passerait sous le contrôle du conseil général du département.

    Deux journées d'études, les 24 et 25 mars 1982, tenues à Paris, ont consacré de façon définitive cette politique ouverte et dynamique de la lecture , en milieu rural ou semi-rural.

    ME - Comment s'est concrétisée et poursuivie cette volonté d'expansion de 1982 ?

    BB - Un marché centralisé fut organisé en obtenant d'Hachette 30 % de réduction. Chacune des 17 BCP créées avait reçu un million de francs pour les acquisitions ; le Nord comptait double avec son million d'habitants à desservir... Un plan de partage des commandes fut mis en place entre les différents directeurs concernés, en fonction des domaines de connaissances de chacun - j'étais responsable avec Jean-Yves Claudet des achats pour la section fiction-adultes - les commandes étaient passées en 18 exemplaires. Après que les directeurs se furent consultés, 60 % des crédits furent attribués aux adultes - dont 30 % pour les documentaires et 70 % pour les ouvrages de fiction - et 40 % furent destinés aux enfants. Entre mars et juillet 1982, 25 000 titres furent ainsi commandés. Dès juillet les premières livraisons arrivaient. Parallèlement aux acquisitions groupées s'implantait le logiciel Libra avec son réseau qui permettait le catalogage partagé. Malheureusement, en 1988, Libra a dû être abandonné, c'était en effet un système coûteux ; de plus, certains collègues montraient peu d'enthousiasme dans son utilisation.

    ME - Aujourd'hui qu'en est-il de l'informatisation des BCP ? Existe-t-il un autre projet de réseau informatisé des BCP ou préférez-vous des réseaux horizontaux avec d'autres bibliothèques installées dans le même département ?

    BB-Il n'y a plus de politique unifiée. À la BDP de l'Oise, nous avons choisi Orphée Data-Point; nous en attendons une nouvelle version qui permettra la consultation du catalogue par le Minitel. Ailleurs Opsys, Multilis, Geac ont été adoptés. Un gros effort est fait pour la mise en réseau des bibliothèques-relais (exportation de notices...). Il faut regretter que vingt BDP aient encore une gestion manuelle. En ce qui concerne un réseau horizontal, il me semble que l'expérience n'ait été concluante que dans le Vaucluse.

    ME- Parlons du public des années quatre-vingt-dix. Avez vous constaté une évolution de ses goûts ? De ce fait avez vous dû changer vos pratiques ?

    BB-Nos lecteurs sont toujours en situation de cueillette ". Leurs genres de lecture sont sensiblement les mêmes que ceux du public des BM. Leurs goûts les dirigent essentiellement vers les romans et les « savoir-faire ». L'effet « best-seller » et vu à la télé » n'est pas à négliger. Les enfants demeurent nos meilleurs » clients », ils représentent 60% de notre public. Le changement aujourd'hui est ailleurs. Les villages se sont vidés de leur population traditionnelle. De nouveaux ruraux, qui se sont installés dans les campagnes désertées, travaillent toute la journée, loin de leur domicile. Le prêt direct n'a plus de sens. Là où il y avait un placard à la mairie, on a créé une " vraie bibliothèque, installée dans 80 m2, disposant de 5 000 documents, ouverte deux fois par semaine, sous la responsabilité d'un agent employé à mi-temps.

    ME- De bibliothèque centrale de prêt vous êtes devenus bibliothèque départementale de prêt, de quand date ce changement ?

    BB- Dès 1990, de nombreux collègues ont d'eux-mêmes adopté cette nouvelle appellation, qui s'est officialisée par un décret.

    ME - Comment vous situez-vous par rapport à l'ensemble des bibliothèques françaises ? Par votre intermédiaire, un lecteur peut-il avoir accès au prêt interbiblio-thèques ?

    BB-Je répondrai d'abord à votre seconde question. Nous pouvons aider à la localisation d'un document ; nous sommes prêts à faire les démarches pour faire venir l'ouvrage, mais s'il ne peut pas être prêté à domicile, le lecteur n'aura pas les moyens de le consulter. C'est un service manqué qui n'est pas de notre fait.

    Quant à votre première question, eh bien oui ! Je me sens tout à fait solidaire de l'ensemble des bibliothèques françaises. Je lis la presse professionnelle, je suis l'évolution du métier. Le jour où le Catalogue collectif sera disponible sur écran, nous serons les premiers à l'utiliser ; pourquoi ne pas rêver, dans les cinq années qui viendront, les bibliobus pourront disposer d'un large éventail de bases télématiques.

    ME - Revenons sur la décentralisation ; au dire de quelques uns, elle n'a pas toujours apporté les bénéfices escomptés. La nostalgie d'un pouvoir central demeure. Plus concrètement, est-il préférable de dépendre d'un conseil général que d'une direction de ministère ?

    BB - Un conservateur actif peut plus facilement convaincre des élus d'un conseil général, particulièrement dans un département riche ; en revanche, dans un département pauvre l'État pouvait moduler son action. Les départements ont accordé aux personnels des primes supérieures à celles versées par l'État. Toutefois, les conservateurs en chef ne pourront pas devenir conservateurs généraux, à moins de retourner à la fonction publique d'État.

    ME - Le recrutement du personnel a-t-il augmenté ? Un directeur de BDP parti-cipe-t-il du choix de son personnel ?

    BB - Le nombre des agents départementaux, conservateurs compris, a doublé. Le directeur d'une BDP recrute son personnel selon des critères professionnels, en accord avec le directeur des ressources humaines du département.

    ME -Dans le département de l'Oise, dont vous dirigez la bibliothèque départementale depuis 1982 , quelle a été l'action du conseil général ?

    BB - Le conseil général a privilégié une politique culturelle active, dès 1986. À la mi-mai 1986, un bibliobus incitant le public à la lecture, suivait la caravane du tour cycliste de l'Oise. En 1994, à l'occasion du « Temps des livres » le conseil général a édité Sylvie de Gérard de Nerval et l'offrait aux lecteurs des 400 bibliothèques de l'Oise, après avoir écrit aux 693 maires pour leur demander de s'associer à cette action en faveur de la lecture. À côté de ces > opérations-chocs la BDP a eu les moyens d'acheter ou de réaliser elle-même, depuis 1986, une centaine d'expositions qui tournent à travers le département et ont été prêtées gratuitement à des collèges, à des BM.... Les thèmes choisis sont dans l'air du temps, « La comète de Halley », par exemple, ou purement régionaux, L'Oise au fil des pages exposition consacrée au grands écrivains qui ont vécu dans l'Oise, Rousseau, Nerval, Flaubert, Duneton, etc. La dernière en date, Les cathédrales gothiques de Picardie », a été présentée, jus-qu'à la fin du mois de septembre de cette année, à la cathédrale de Beauvais.

    ME- Pour conclure, je dirais que vous avez eu et que vous avez, encore aujourd'hui, un rôle prépondérant dans le département pour la diffusion de la culture écrite et iconographique ; mais quel sera l'avenir des BDP à l'heure de l'auto-mobile-reine, de la télévision par satellite, de la bibliothèque virtuelle ?

    BB-Il y aura toujours des hommes et des femmes pour aimer lire. Il existe une population lisante, qui n'est pas toujours autonome, les enfants, les personnes âgées. Nous sommes des relais sur place. Les BDP, de plus, sont gratuites ; si je prends le cas de la BM de Beauvais, l'inscription à la bibliothèque pour les non-résidents est de 220 F par adulte. Vous imaginez aisément le poids d'une inscription familiale sur un budget modeste. Ce n'est pas une incitation à la lecture. Encore une fois nous sommes un relais.

    Notre rôle, je crois, s'inscrit dans une problématique générale des bibliothèques françaises. J'ai coutume de dire que la BM est le supermarché hebdomadaire, la BS, l'épicerie de luxe exceptionnelle et la BDP, l'épicerie du coin.

    ME - Cette métaphore pourra paraître triviale à certains ; elle me ravit. Et que seront les bibliothécaires des BDP, demain ?

    BB-Nous serons les relais de formateurs qui à leur tour formeront le public à la lecture classique et à toutes les innovations dérivées de la télécommunication et de la télématique.

    ME - Je vous remercie, chère Brigitte. Durant ces quelques heures passées dans votre bibliothèque et en votre compagnie, j'ai compris l'enthousiasme et la générosité qui animent les personnels des bibliothèques départementales de prêt. Je souhaite que tous les lecteurs du Bulletin de l'ABFpartagent mon sentiment.