Description : Sans doute parce qu’elle a partie liée avec la disparition et l’absence, la photographie, c’est un lieu commun, est aujourd’hui partout. Donc en bibliothèque. Son statut ambigu, non fixé, entre document et oeuvre d’art, aura favorisé son emprise ; l’accélération du cours du monde, joué en sa faveur : les puissances symboliques de la photographie s’identifient aux missions qui sont celles de nos établissements – retenir le passé, transmettre et partager le vif de la mémoire,
en libérer le dynamisme pour donner sens à la liberté de chacun. Mais le ressort ultime de la photographie, cette faculté d’indissociablement
produire le critère du vrai et celui de l’illusion, la remarquable dualité lexicale par
laquelle on décrit ses opérations – impression, réflexion, révélation –, comme s’il
s’agissait de la pensée même, et le jeu de manipulations infinies auxquelles elle
se prête, font qu’en elle se croisent et peuvent résumer les enjeux de la pensée
contemporaine. Inventée cinq ans avant la naissance de Nietzsche, elle fournit à
l’ère du soupçon son plus parfait corrélat. Si donc les bibliothèques sont le lieu
du savoir, la place de la photographie y est, mieux encore qu’historiquement,
intellectuellement justifiée.
De nature insaisissable, la photographie nomadise. Entre des lieux, nombreux,
d’un métier l’autre. Ses acteurs, son public sont, aujourd’hui, chacun d’entre
nous. La révolution numérique n’a fait qu’accroître son aire. Il fallait ouvrir l’angle,
varier les focales, pour suivre ses migrations, de galeries en musées, en
artothèques, refaire le parcours de sa diffusion par le livre et l’exposition, ressaisir
ses enjeux esthétiques actuels, production et réception, à travers la parole
d’un photographe, d’un critique et celle d’un écrivain qui la pratique assidûment,
récapituler ses usages. Non pour saisir une quelconque essence, mais tirer, de
notre place, le meilleur parti de ses existences multiples.