Description : Créer une région, rameuter des pays bien distincts à la seule force d’un trait d’union, voilà de quoi illustrer la magie, la puissance et l’efficacité symbolique de la typographie. Dans un texte lumineux, « Champagne pouilleuse 1 », le géographe Roger Dion a retracé la généalogie de ce tardif épithète inventé par les Physiocrates du siècle des Lumières pour justifier leur idéologie du progrès et ses nouvelles exigences en matière de productivité. La Champagne, dans son heureuse modestie, ne s’était jamais sentie telle, elle qui jusque-là nourrissait même un peu plus que son homme. Quant à l’Ardenne, terre d’élection de vagabonds illuminants, Rimbaud, Dhôtel, Pirotte, Hubin, hommes aux semelles de vent, fomenteurs d’une « littérature sauvage », fugueurs, aventuriers, vagabonds, elle a donné à tous l’infini d’un horizon intérieur. « L’Ardenne française (…) : je m’y dissous et m’y reconnais. J’y arpente comme le revers tu du poème, sa perte, son creux », écrit Christian Hubin 2. Et Dhôtel enseignant, ainsi que le rapporte Jean-Claude Pirotte 3, que « ce n’est pas aller loin qui compte, mais de comprendre que nous sommes loin toujours dans un pays curieux et inexplicable, où que nous soyons… »… Ce trait d’union, on le trouvera ici partout à ’oeuvre. Les programmes ambitieux comme les initiatives plus locales se trouvent ainsi tissés aux enjeux les plus vastes, et de profonds échos les portent au-devant les uns des autres : l’unique concentration des trois BMVR et la médiathèque de Signy-l’Abbaye aux prestigieux parrains, Rimbaud et Rachi, le cirque et les marionnettes, le slam et la lutte contre l’illettrisme… La bibliothèque, lieu de cette utopie qui nous enjoint d’embrasser, en un voyage immobile, le réel et les rêves, n’est-elle pas alors à l’image de ce phare improbable – et en cela parfaitement « champardennais » – en pleines vignes, au milieu des terres ?