Description : Combattre la censure, est-ce vouloir supprimer toute censure ? S’il en était ainsi, les affaires seraient simples, les questions inutiles. Que l’on veuille bien sonder sinon les coeurs et les têtes, du moins sa propre conduite et les maximes qui la fondent : nul, si libre esprit soit-il, et faisant état de cette liberté, ne s’enhardira sans mentir à protester de la table rase. Au-delà de ce registre sommaire de l’introspection, le père de la psychanalyse n’a-t-il pas mis en évidence
que l’équilibre psychique reposait sur une censure efficace ? Il en résulte un modèle topique où la censure marque la frontière entre conscient et inconscient :
tout élément potentiellement perturbateur se voit contraint, pour la passer, de se faire représenter, de ruser et se travestir. La transposition, certes, est un art
délicat. Changeons pourtant d’échelle, et passons de l’individu à l’institution. L’important, quant à la censure, concerne moins sa réalité que sa nature : où,
quand, comment et surtout pourquoi proscrire, limiter, interdire ? Un désir maximaliste
de tout autoriser ne viserait qu’une liberté abstraite. L’exigence de liberté
concrète demande donc l’examen minutieux des raisons, le débat sur le sens.
Les bibliothèques, établissements publics et ouverts à tous, ne s’intéressent, en
démocratie, qu’aux conditions d’une liberté concrète – d’expression, de pensée,
de connaissance –, c’est pourquoi nous n’avons ici envisagé cette question de la
censure que sous son seul aspect actuel et concret. Pas de regard rétrospectif,
ou le strict nécessaire – d’autres l’ont fait ailleurs, et fort bien –, pas de considérations
générales, ou qui ne soient appelées par le constat : recueillir les
témoignages et les interrogations des professionnels de nos établissements,
nous tenir, surtout, à l’écoute de la diversité des situations aura suffi à notre
peine. Qu’un numéro déjà double ne puisse contenir l’ensemble de ces pièces
qu’à la condition de s’étendre encore au-delà de ses proportions habituelles
témoigne assez de l’importance de l’enjeu : le « fonctionnement normal d’une
démocratie 1 ».