La Bibliothèque publique d'information, qui a rouvert ses portes au public le 26 janvier dernier, propose en même temps que son offre traditionnelle » (350 000 documents sur tous supports, 10 000 CD audio, 2 300 périodiques) une nouvelle collection,, électronique.
En effet, au terme d'une réinformatisation ambitieuse, toutes les ressources électroniques ont été mises sur un même réseau : ainsi, en théorie, de n'importe lequel des 378 postes informatiques des espaces publics, auxquels il convient d'ajouter les quelque 230 postes du personnel, on peut ouvrir n'importe laquelle des applications proposées.
Dans un souci de plus grande visibilité et de facilité de repérage, cette possibilité technique a été restreinte par le paramétrage que nous avons effectué sur les postes, paramétrage révocable à tout moment si nous n'en voyons plus la pertinence et sur lequel j'aurai l'occasion de revenir.
a Le catalogue de la bibliothèque tout d'abord (sur Best seller) et, via la norme Z-3950, l'accès à d'autres catalogues du monde entier.
Ce que je me propose de passer rapidement en revue aujourd'hui est la coexistence de ces deux offres, leurs rapports et les implications qu'elles entraînent pour les collections, les bibliothécaires et les lecteurs.
En ce qui concerne les collections, on peut dire tout d'abord que la bibliothèque ne propose plus seulement un lieu, des horaires d'ouverture, des collections, mais aussi des accès à des documents soit présents soit distants. Elle devient ainsi un prestataire de services, au sens de France Télécom par exemple.
S'agissant des collections électroniques, il faut souligner leur aspect instantané, quasi volatil. L'abonnement à un cédérom bibliographique constitue, de fait, une licence d'usage : à l'instant t on a la licence et donc l'accès à l'usage du document ; à l'instant t + 1 on n'a plus rien. La bibliothèque s'abonne à des bibliographies, à des encyclopédies payantes sur internet, mais, quand elle décide de suspendre son abonnement ou, pis, quand le service disparaît pour des causes diverses, on n'a même plus la trace de cet abonnement. À l'exception notable d'OCLC, qui propose la presse en texte intégral, et qui permet quand on arrête l'abonnement de conserver l'accès aux archives pour lesquelles l'établissement a payé. Mais c'est actuellement le seul éditeur, pour l'instant, à avoir ce genre d'égards pour ses clients.
À la BPI, qui n'a pas vocation de conservation, ce phénomène d'évaporation des collections peut rester supportable. Mais, dans des bibliothèques d'un autre type... De plus, aujourd'hui, parmi les encyclopédies, les dictionnaires, les annuaires d'entreprises, les études de marché, les grandes bibliographies, un certain nombre de documents essentiels n'existent plus sous la forme imprimée. De ce fait, l'achat ou l'abonnement à la forme électronique devient obligatoire. C'est ainsi que pour Medline, Delphes, Psyclit, Histo-rical Abstracts, Business and Industry, pour ne citer que ceux-là, si on arrête l'abonnement on n'a plus rien, même pas la trace.
Il faudrait ensuite parler de la nécessaire complémentarité entre la forme papier et la forme électronique. Pour illustrer mon propos, je voudrais prendre l'exemple de la presse. Dans ce domaine, l'offre est diversifiée. On trouve la presse :
Pour exploiter la presse, il existe bien sûr des bibliographies et des index traditionnels sur papier, mais on trouve sur internet de plus en plus de bibliographies avec des documents en texte intégral.
Premièrement, la plupart du temps ces ressources internet ne permettent pas la lecture en texte intégral d'un numéro du Monde par exemple : on doit passer par la recherche d'un sujet, d'un article, pour pouvoir le lire.
Deuxièmement, cela reste très cher : Europresse propose par exemple pour 80 000 F par an environ un abonnement à la fois à la partie bibliographique et à 3 000 visualisations par mois. Or aujourd'hui, pour le seul titre Le Monde, nous avons à la BPI environ 5 000 interrogations par mois entre le cédérom et le site intemet !
L'accès à la presse suppose deux démarches : la consultation, qui s'apparente un peu au feuilletage de la forme papier et la recherche. Pour cette dernière, le rapport entre bibliographie et texte intégral est central.
Se pose enfin la question de la visibilité de l'offre, c'est-à-dire au fond de la différence intrinsèque qui existe entre un écran et des rayonnages. Il est clair que le repérage à partir d'un écran est beaucoup plus difficile. Dans une bibliothèque traditionnelle, la démarche va du plus large au plus pointu : on se dirige vers un secteur disciplinaire, puis vers une travée, puis vers une étagère, puis vers le livre qu'on cherchait. Sur un écran, il y a un seul accès obligé, un unique point d'entrée pour une offre large diverse, et parfois mal connue. D'où l'importance :
Ensuite, pour éviter à nos lecteurs de passer à côté de ressources électroniques importantes pour leur recherche, nous avons intégré dans le catalogue ces ressources, qu'elles fassent partie matériellement des collections de la bibliothèque (cédéroms) ou qu'elles soient distantes (sites internet). Quand le lecteur fait une recherche, il peut ainsi arriver sur une liste comportant des monographies, des périodiques, des cédéroms et des sites internet. Et, en double-cliquant sur l'icône du cédérom ou du site, il peut le consulter immédiatement et directement. Nous espérons ainsi lui faciliter la consultation de ces ressources immatérielles, non visibles. En intégrant les deux offres, papier et électronique, dans le catalogue, nous marquons ainsi que ces sites internet sélectionnés font en quelque sorte partie de nos collections.
En ce qui concerne les lecteurs, la première remarque que l'on puisse faire c'est que les documents électroniques ont changé ou sont en train de changer quelque chose à la lecture elle-même. Roger Chartier insistait dans son exposé sur les changements fondamentaux qui ont marqué le passage du codex au livre et du livre à l'écran, et sur l'importance de la notion de « lien qui rend cette lecture non plus linéaire mais aléatoire et « sautillante ».
Par ailleurs, le mode d'appropriation individuelle d'un corpus collectif a bien évolué. Nous sommes loin de la prise de notes de nos vingt ans. Tout a changé :
L'omniprésence de collections électroniques entraîne pour les lecteurs des dangers ou des risques. J'en dénombre au moins quatre :
Par ailleurs, comment savoir si, sur internet, ce qu'on a trouvé est valide ou bien si c'est la page personnelle d'un hurluberlu : d'où toute l'importance du travail de veille en amont pour mettre en valeur certains sites dont on a pu évaluer la pertinence et la valeur des informations ; d'où l'importance de la possibilité du recours au bibliothécaire. Un accès à internet dans une bibliothèque n'a pas la même fonction et on ne peut en attendre autant que d'une borne internet dans une station de métro...
Ce n'est pas ce que nous avons voulu en mettant internet à la disposition des lecteurs, mais ce n'est pas parce qu'il y a des usages disons « imprévus qu'il faut y renoncer. Dans un premier temps pour familiariser les lecteurs avec la navigation sur le web, leur apprendre à s'en servir, puis comme une formidable possibilité de recherche et de connaissance. Notre réponse ? : Achille aux pieds légers ne rattrapera jamais la tortue. C'est cette inlassable course d'endurance que mène le service informatique de la BPI, interdisant chaque semaine des sites pourvoyeurs d'adresses e-mail ou des sites peu recommandables, sachant qu'il en naîtra d'autres la semaine suivante. Cela modère un peu nos « détourneurs »... et rappelons quand même que les sites les plus utilisés ne sont pas seulement des sites de messagerie mais celui du journal Le Monde par exemple, best-seller incontesté depuis les débuts.
Je voudrais aussi rappeler que l'observation de l'usage des ressources électroniques est une observation difficile. Bien sûr les outils statistiques nous donnent des informations précieuses concernant le nombre de connexions ou le temps passé sur tel ou tel serveur, ou tel ou tel cédérom, mais il s'agit là de renseignements purement quantitatifs. Nous manquons cruellement d'études qualitatives, d'enquêtes approfondies, d'entretiens avec les lecteurs (pendant ou après) sur ces questions, qui modifieraient sûrement notre façon de voir et apporteraient le recul nécessaire.
Enfin, dernier point de mon exposé : qu'est-ce qui change du côté des bibliothécaires avec les collections électroniques ?
Tout d'abord l'émergence de nouvelles tâches, qui vont de la veille électronique au catalogage de sites internet en passant par la mise à jour (souvent mensuelle !) de nombreux titres de cédéroms. Il s'agit là d'une véritable maintenance tant physique qu'intellectuelle des ressources électroniques.
Ces tâches nouvelles réclament de nouvelles compétences : par exemple, pour internet, il faut savoir maîtriser le vocabulaire courant (lien, site, moteur HTML, etc.) et ce qu'il représente, mais aussi acquérir une connaissance solide des moteurs de recherche (et savoir lequel utiliser de façon pertinente), connaître l'environnement des sites et se repérer dans leur foisonnement... Cela signifie être capable d'élaborer des systèmes d'évaluation de cédéroms ou de sites internet qui permettent de juger du contenu d'un document électronique, de l'organisation de l'information, de la facilité de la recherche, de son accessibilité, etc.
Nous nous trouvons au coeur d'une démarche pédagogique incontournable. Les bibliothécaires doivent désormais se former :
Pour les personnels de bibliothèque se présentent désormais de nouvelles contraintes :
Pour conclure, je voudrais juste dire que, bien que je parle de nouvelles tâches et de nouvelles compétences des bibliothécaires, elles sont dans le droit-fil de ce qu'ils ont toujours fait :
De ce point de vue, que la collection soit sur papier ou sur électronique, le métier de bibliothécaire ne change pas dans le fond et cela est bien rassurant quelque part.