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    Intervention de Véronique Chatenay-Dolto

    Par Véronique Chatenay-Dolto, Directrice-adjointe du livre et de la lecture ministère de la Culture et de la Communication

    Mesdames, Messieurs,

    Permettez moi de m'adresser tout d'abord à votre ancienne présidente Claudine Belayche et à Gérard Briand votre nouveau président.

    À Claudine Belayche je veux dire très chaleureusement les remerciements de la Direction du livre et de la lecture pour le très gros travail accompli pendant vos deux mandats. Votre présidence de l'association aura été marquée par la sincérité et la clarté de votre engagement dans des débats qui, pour de bonnes et de moins bonnes raisons, ont occupé le devant de la scène et nous ont souvent réunies. Mais vous vous êtes aussi engagée sur d'autres questions, je pense à celle des recrutements et de la formation des personnels de bibliothèque, qui ne sont pas moins déterminantes pour l'avenir des institutions de la lecture publique. Même si les débats entre nous ont été vifs, la force de votre engagement a contribué à faire évoluer les dossiers.

    À Gérard Briand je tiens à transmettre mes amicales félicitations pour son élection à la présidence de l'ABF. Votre association bénéficiera ainsi de la double expérience du monde universitaire et de celui de la lecture publique. Je me réjouis de retrouver à la tête de votre association un interlocuteur qui, comme Claudine Belayche, a bien connu les services de la DLL. Je sais que tous deux vous serez attentifs à la continuité et à la transmission des dossiers, puisque nous nous retrouverons ensemble bientôt au cabinet de Catherine Tasca pour un premier rendez-vous dès mardi prochain, sur la question du droit de prêt. Mes félicitations vont également, enfin, aux nouveaux membres de votre bureau.

    Vous avez axé la thématique de votre congrès de l'année 2000 sur l'avenir des bibliothèques eu égard aux mutations qu'elles connaissent. Vous avez centré votre réflexion d'une part sur les mutations de l'environnement juridique et institutionnel introduites par les récentes lois Voynet et Chevènement, d'autre part sur les conséquences des bouleversements profonds et très rapides issus du numérique, qui touchent toutes les bibliothèques. Je tiens à féliciter votre association de vouloir ainsi chercher à approfondir la réflexion sur les questions difficiles à appréhender mais essentielles pour l'avenir des bibliothèques et leur place dans les pratiques culturelles et, pourquoi ne pas le dire, pour leur contribution à la cohérence d'une société démocratique.

    I. À propos des évolutions juridiques et institutionnelles,

    le programme de votre pré- séminaire à Luxembourg et les échos que j'ai eu des questions soulevées montrent bien qu'on est là à un tournant très important, susceptible de remettre en cause les schémas sur lesquels nous vivons : du fait de la simplification et de l'approfondissement de l'inter-communalité, conjuguée à d'autres évolutions en cours, on va aboutir à une redistribution du rôle des collectivités sur le territoire. Sur un autre plan, les réflexions de la commission Mauroy sont également susceptibles de modifier la donne non seulement entre l'État et les collectivités territoriales (c'est ce qu'on appelle le second souffle de la décentralisation), mais aussi entre les collectivités elles-mêmes.

    J'ajoute que ces mutations ne peuvent être comprises si on se limite au seul cadre national et vous avez eu pleinement raison de faire une place importante aux exemples fournis par nos voisins et partenaires européens, même si les différences sont immenses.

    Modification du cadre juridique d'exercice des collectivités locales, incitation à la coopération mais aussi à la répartition des charges, normalement ces réformes devraient concerner les bibliothèques territoriales au premier chef, surtout au moment où celles-ci développent et diversifient leurs services, ce qui les place souvent au coeur de la politique culturelle communale. Toutefois, dans tous les cas de figure, la compétence culturelle n'est pas obligatoire dans le cadre de la coopération intercommunale.

    Or, on voit bien pour la lecture publique les avantages d'une telle coopération : meilleure répartition des charges, logique documentaire, partage des réseaux, maillage du territoire, meilleure adéquation des équipements de proximité. C'est sans doute pour ces bonnes raisons que, sans attendre le cadre fourni par les lois Voynet et Chevènement, on a déjà de nombreux exemples réussis de coopération intercommunale en matière de bibliothèques, y compris grâce au développement d'une inter-communalité de fait. Les exemples concernent tant les petites que les plus grandes bibliothèques : des RLC jusqu'aux BMVR (celle de La Rochelle mais aussi celle de Troyes). Des projets sont en cours à Brest et à Sélestat, par exemple. Toutefois les avantages de la coopération - qui permet de structurer le paysage des bibliothèques - ne peuvent masquer les difficultés à résoudre encore lorsque l'on constate la poursuite incomplète de la dimension régionale des BMVR, laquelle reste encore en grande partie à définir.

    Des questions, enfin, sont suscitées par les évolutions induites par la coopération intercommunale, notamment en ce qui concerne l'évolution des missions des bibliothèques départementales de prêts vis à vis des communes. Nous les avons évoquées avec certains directeurs de BDP à Eymoutiers en Haute-Vienne, au cours du séminaire annuel des conseillers pour le livre et la lecture et de la Direction du livre et de la lecture, consacré cette année à la lecture, en milieu rural.

    Si l'exemple d'Eymoutiers, bibliothèque intercommunale, fait partie de ceux qu'on se réjouit de saluer, il est clair aussi que ce dynamisme est inégal. L'aménagement du territoire est loin d'être réalisé et il porte en germe des risques d'inégalité.

    Le risque est réel, en effet, de voir se renforcer les inégalités d'accès à la lecture, d'autant que nous ne vivons plus sur des schémas ou des modèles type.

    Je suis convaincue que l'État doit veiller à accompagner le mouvement mais qu'il doit également jouer un rôle en faveur du rééquilibrage de l'offre de lecture publique sur le territoire.

    C'est la raison pour laquelle il faut continuer à se battre pour mettre les institutions de lecture publique au coeur de la coopération intercommunale.

    Aménager le territoire et développer les bibliothèques supposent un engagement commun de l'État et des collectivités locales. Cet engagement se traduit principalement par les concours particuliers au sein de la DGD. Aujourd'hui, la DGD est en quelque sorte victime de son succès et subit des tensions très fortes. En tout état de cause, quelles que soient les options prises pour une réforme-options auxquelles il faut travailler, cela signifie des moyens supplémentaires.

    En ce début d'année 2000, la ministre de la Culture et de la Communication a pu annoncer aux préfets des régions les plus en difficultés un apport exceptionnel (voté en loi de finances rectificative) de plus de 90 MF sur le titre VI du budget du ministère de la Culture et de la Communication. C'est un ballon d'oxygène qui permettra d'apporter une réponse partielle à ces tensions.

    Aujourd'hui nous réfléchissons à la suite, selon les orientations que j'avais partiellement évoquées devant vous l'an dernier et que je vous confirme : l'État doit intensifier son effort sur l'équipement, mais il ne peut renoncer à aider les communes à assumer les dépenses de fonctionnement.

    Au moment où sur un plan général on parle d'un nouveau souffle de la décentralisation, il faut que ce mouvement bénéficie aux bibliothèques et qu'il s'accompagne d'un nouvel élan, y compris financier. La DLL s'emploie à sensibiliser les cabinets des deux ministres. Monsieur Duffour, qui est chargé de suivre les politiques culturelles territoriales et notamment ce qui concerne le développement de la lecture, a eu récemment l'occasion d'évoquer ces questions avec les professionnels du livre réunis à Limoges.

    H. Le second axe de votre congrès porte sur les conséquences de la révolution numérique sur les bibliothèques, la diffusion des textes et les pratiques de lecture.

    Le programme de votre congrès invite à porter cette réflexion au niveau de l'ensemble de la diffusion et de la production du livre.

    Comme l'a souligné le rapport Cordier sur le livre numérique, l'apparition du numérique a d'ores et déjà changé considérablement toutes les données de la production et de la diffusion du livre, jusque celles de la lecture elle-même. Ainsi que l'a évoqué Roger Chartier, chacune des professions du livre sera confrontée à des interrogations radicales sur son avenir. Toutes sont condamnées à inventer et à le faire très vite, sans disposer ni de temps, ni de beaucoup de données, tant ces mutations s'opèrent vite, en brouillant les repères et les notions qui étaient jusqu'à présent les nôtres.

    Les enjeux et les risques liés au numérique interrogent particulièrement les bibliothèques dans ce qui fait le coeur même de l'institution. Si l'on considère en effet que les bibliothèques sont des lieux de l'écrit, et que les valeurs de l'écrit fondent leur projet culturel, éducatif et social, l'examen critique auquel nous nous livrons ne va pas de soi, tant il suscite des réactions voire des analyses excessivement frileuses ou excessivement enthousiastes. Il me paraît sage de renvoyer dos à dos les prophètes de la fin du livre comme ceux qui vouent une confiance naïve aux bienfaits mécaniques de la généralisation des NTIC.

    Je suis convaincue en revanche qu'il faut s'orienter dans la logique de complémentarité - et non dans la logique d'opposition ou de substitution - entre le livre et les autres médias.

    Le succès de la « nouvelle Bibliothèque publique d'information " ouverte en janvier dernier me paraît illustrer pleinement les objectifs d'une bibliothèque qui intègre la modernité dans un projet culturel et humaniste dans une triple dimension : le souci de la qualité de l'offre, l'importance accordée à la médiation et la volonté de ne cloisonner ni les usages ni les usagers. Elle illustre parfaitement à mon sens ce qui, selon Roger Chartier, constitue désormais durablement le rôle des bibliothèques, " espaces publics de la raison ».

    Ces missions qui sont réaffirmées au travers des choix bibliothéconomiques de la BPI me semblent emblématiques des réflexions en cours dans de nombreuses bibliothèques de lecture publique aujourd'hui.

    Dans le cadre du plan gouvernemental pour l'entrée de la France sans la société de l'information les bibliothèques occupent déjà une place significative. L'action d'accompagnement des pourvoirs publics vise à cet égard un double objectif :

    • * Il s'agit tout d'abord de faciliter l'accès du plus grand nombre au multimédia, aux réseaux et à l'information numérique. La nouvelle circulaire du 11 mars 1999 concernant la 2e part de la DGD devrait en particulier accélérer l'équipement multimédia du plus grand nombre de bibliothèques (notamment les plus petites), aider à la création de site web pour permettre l'accès à distance aux documents numérisés et encourager la coopération notamment au plan régional.
    • * Il s'agit également de faciliter la préservation des collections patrimoniales et d'ouvrir leur accès à un large public. Le succès du site Gallica de la BNF, fréquenté quotidiennement par quelques 10 000 internautes en porte témoignage, que ce soit dans le cadre des appels à projets de la MRT ou en utilisant les crédits attribués par les DRAC dans le cadre de la DGD, nombreuses sont les bibliothèques engagées dans des programmes de numérisation de leur fonds patrimoniaux.

    La DLL envisage d'ailleurs un recensement de tous les programmes de numérisation. Il devrait aboutir à la création d'une base de données à ce sujet consultable dès l'an prochain sur le réseau du ministère.

    À ce stade, je voudrais souligner des préoccupations auxquelles le nouveau contexte technologique nous impose de porter une attention particulière : tout d'abord la question de la soi-disant opposition entre la protection du droit d'auteur et le développement de la lecture publique, question que les nouvelles technologies de l'information et de la communication remettent à l'ordre du jour, bien au-delà du droit de prêt.

    Comme vous le savez, la défense du droit d'auteur, l'affirmation des valeurs de la création, sont au coeur des positions du gouvernement notamment dans les négociations européennes actuelles sur l'harmonisation du droit d'auteur dans la société de l'information. Ce sont des préoccupations de ce type qui fondent les initiatives du ministère de la Culture et de la Communication sur le prix du livre en Europe et contre les tentatives de dérégulation du marché du livre. Défendre la création, contre les effets de la dérégulation et de la concentration économique, c'est considérer le droit d'auteur comme un rempart par rapport à l'exploitation économique des productions intellectuelles.

    À partir de là, la mise en oeuvre d'un principe sur lequel je pense que tout le monde est d'accord suscite des débats dès lorsqu'on oppose - à tort - le développement de la lecture publique à celui de la diffusion commerciale des livres.

    Vous avez pris connaissance des premières positions publiques de Catherine Tasca, ministre de la Culture et de la Communication et de Michel Duffour, secrétaire d'État, et votre association aura bientôt l'occasion d'être reçue sur ce sujet par Mme Tasca. La DLL poursuit pour sa part le travail d'élaboration et d'évaluation des scénarios qui ont déjà été évoqués avec vous l'an dernier. Un point d'accord politique est déjà acquis : considérant l'importance du développement de la lecture au sein de la politique culturelle, il est exclu de retenir une formule de paiement à l'acte d'emprunt. Il sera recherché une solution qui se fonde sur une économie solidaire du livre. On ne reviendra pas sur le développement de la lecture publique, ni sur la place dans les pratiques culturelles d'espaces de gratuité. Mais il faut reconnaître qu'aucune solution n'est en elle-même facile ou indolore. Il n'y a pas non plus de réserve budgétaire qui permettrait de régler facilement le problème. Enfin, je vous confirme que la consultation des élus est en cours, l'État et les collectivités territoriales devront plus que jamais être solidaires pour garantir la poursuite du développement de la lecture publique.

    Une autre préoccupation que je voudrais évoquer aujourd'hui devant vous est celle de la qualification, de la formation et des conditions de recrutement des professionnels.

    Votre association a attiré notre attention sur ce problème et a fait des propositions qui nous ont été très utiles pour le travail que nous menons activement depuis un an.

    Depuis cette date en effet, la DLL anime un groupe de travail ayant pour objectif de réformer certains concours des bibliothèques de la fonction publique territoriale, et notamment ceux de bibliothécaire territorial et d'assistant de conservation.

    Le constat est en effet préoccupant : croissance du nombre de contractuels (900 en 1997 et 1376 en 1998). En 1998 toujours, 14 % des postes de bibliothécaires (cadre d'emploi) étaient vacants ou anormalement occupés au regard des statuts de la fonction publique territoriale, et sur 2619 communes employant au total 21 583 personnes, 43 % des emplois étaient pourvus par des personnes ne possédant pas de formation initiale en bibliothéconomie.

    Nous pouvons objectivement constater que :

    • * la gestion prévisionnelle des effectifs est sans doute trop frileuse ;
    • * les concours sont objectivement trop rares ;
    • le processus de recrute-ment/formation/titularisation est sans doute trop long.

    Aussi, en ce qui concerne la gestion prévisionnelle des effectifs et des emplois, et, par conséquent, des postes à ouvrir aux différents concours, la DLL, le ministère de l'Éducation nationale et le CNFPT ont engagé en parallèle deux enquêtes sur cette question (une pour la fonction publique de l'État, une pour la fonction publique territoriale) qui devraient aboutir à une pyramide des âges de chaque corps et de chaque cadre d'emploi des bibliothèques pour les 10 années à venir. Il a été décidé que ces résultats feraient l'objet d'une publication commune pour les deux fonctions publiques.

    En ce qui concerne les concours, la DLL a constaté, comme vous, qu'il y a trop souvent inadéquation entre les personnes inscrites sur la liste d'aptitude du concours de bibliothécaire et les besoins des collectivités territoriales concernant ce cadre d'emploi.

    Partant de cela, et en tenant compte notamment de l'instabilité actuelle des formations diplô-mantes ayant un contenu bibliothéconomique, la DLL a proposé à un groupe de travail réunissant la DGCL, le CNFPT, l'IGB, la DES et l'ENSSIB, de modifier le concours de recrutement de bibliothécaire territorial selon les deux modalités suivantes :

    • * une épreuve d'admissibilité serait ajoutée aux épreuves déjà existantes : elle prendrait la forme d'un questionnaire appelant des réponses développées ou des réponses courtes et porterait sur l'organisation des bibliothèques, la bibliothéconomie, l'économie du livre, la sociologie des pratiques culturelles et l'administration.
    • * pour l'épreuve orale de conversation avec le jury, l'idée serait de recentrer le sujet de cette conversation sur les bibliothèques et leur environnement, et, surtout, sur les motivations du candidat.

    L'objectif de ces réformes serait donc de mieux mesurer l'aptitude et l'intérêt des candidats à entrer dans le monde des bibliothèques.

    Un rendez-vous avec des représentants de votre association sera pris pour le mois de juin pour recueillir votre avis sur ce projet de réforme. Une réunion pour présenter cette maquette à la direction générale des collectivités locales devrait avoir lieu en septembre 2000.

    Je conclus en réaffirmant que si la révolution du numérique inquiète les bibliothèques qui se situent dans un domaine où les enjeux sont majeurs au coeur des politiques publiques, l'intensité des débats, tant au niveau professionnel que sur le plan public, montrent bien que la lecture est au coeur d'une question d'intérêt général et qui engage la responsabilité de tous au regard de la création et de la démocratisation culturelle.

    uvrons pour que cette révolution ouvre la voie vers un type nouveau de relation à la connaissance, veillons à ce que tous puissent y avoir accès. Espérons également que les formes futures du savoir favorisent des modes de relation au monde inventives et généreuses, portées par des « collectivités humaines vivantes selon l'expression de Jean-Claude Guillebaud dans l'épilogue de la Refondation du Monde.

    Note de la rédaction : M. Claude Jolly regrette de n'avoir pu nous adresser à temps le texte de son intervention faite au cours du congrès.