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    Les bibliothèques pour enfants hospitalisés

    Deux exemples

    Par Marie-Christine Valla, coord bibliothèques à l'Assistance publique Hôpitaux de Paris
    Par Laure Vincent, Bibliothèque de l'hôpital Robert-Debré
    Par Isabelle Nicolas
    Par Myriam Revial, Bibliothèque de l'hôpital Raymond-Poincaré

    L'offre delecture existe depuis longtemps à l'hôpital et a fait l'objet, en 1993, d'une enquête lancée par la direction du Livre et de la Lecture du ministère de la Culture et de la Francophonie et la Fondation de France : 1 860 questionnaires ont été envoyés aux directeurs d'établissements hospitaliers publics, avec l'aide de la direction des Hôpitaux ; 862 réponses font apparaître un bilan contrasté où l'activité de lecture est répandue, mais de qualité très inégale, principalement en raison de la faiblesse des budgets culturels et de l'insuffisance du personnel diplômé.

    Pourtant dans ce contexte, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris occupe une place privilégiée grâce à l'existence d'un réseau de bibliothécaires professionnels.

    Deux des vingt-trois bibliothèques du réseau sont ouvertes aux enfants hospitalisés : la bibliothèque de l'hôpital Robert-Debré, à Paris, seule bibliothèque réservée aux enfants dans un hôpital de pédiatrie parisien, représente encore un cas unique six ans après son ouverture ; celle de l'hôpital Raymond-Poincaré, à Garches (92), de son côté dispose depuis 1982 d'un local spacieux, adapté à la circulation d'un public handicapé, souvent très appareillé, local qui permet aussi d'effectuer des animations en partenariat avec d'autres professionnels.

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    Extrait de Tam-Tam, le journal des enfants et des adolescents de Robert Debré, 1991

    L'originalité de la bibliothèque à l'hôpital tient à son environnement : l'exemple de Robert-Debré

    La bibliothèque à l'hôpital affiche les mêmes objectifs que toute bibliothèque publique : offrir un accès libre et gratuit pour tous au plus grand nombre possible de documents et répondre aux demandes sans discrimination afin de distraire, informer et former.

    Son originalité est liée à la spécificité de son environnement, au contact de la maladie, de la souffrance et de la mort. Pour Laure Vincent, bibliothécaire, c'est, dans l'hôpital, un pôle d'action culturelle particulièrement attractif et un espace de sociabilité dont le rôle rejoint deux des objectifs non médicaux du projet d'établissement, résumés dans l'expression mieux accueillir, mieux vivre La bibliothèque participe à l'amélioration des conditions d'hospitalisation des patients : le bibliothécaire contribue à limiter l'isolement de l'enfant, coupé momentanément de son univers familier.

    Le livre aide à surmonter l'épreuve de la maladie, permet de maintenir un lien avec le monde extérieur et son actualité tout entière ; il favorise les relations entre l'adulte et l'enfant au moment où celui-ci est fragilisé par la maladie. Et comme ailleurs, il nourrit l'imaginaire, accompagne la solitude, participe au suivi scolaire.

    Un lectorat divers et fragilisé par la maladie

    Même si les caractéristiques du lectorat de certaines bibliothèques publiques se retrouvent chez les jeunes lecteurs rencontrés à l'hôpital, ils sont par ailleurs fragilisés par la maladie et privés pour un temps plus ou moins long de leurs pratiques culturelles habituelles.

    Une enquête récente souligne qu'un enfant sur deux est hospitalisé avant 15 ans. Ce fait annonce une grande diversité des publics, de milieux socioculturels variés, d'origines ethnique et géographique différentes : enfants venant en forte proportion des pays du Maghreb et d'Italie, enfants originaires de zones rurales dépourvues d'équipements culturels ; les âges s'étagent du tout-petit au jeune adulte toujours suivi dans le même hôpital même s'il a dépassé la limite de 16 ans et 3 mois.

    La durée des séjours est variable : l'hospitalisation peut être courte mais concerner des malades chroniques amenés à revenir régulièrement et souvent à l'hôpital, tel est le cas dans les services de néphrologie, gastro-entérologie, endocrino-diabétologie. A l'inverse les services de pédopsychiatrie, hématologie, oncologie pratiquent de longues durées de séjour. Enfin, certains enfants rencontrés au cours de ces longues hospitalisations reviennent fréquemment en hôpital de jour ; c'est le cas des enfants greffés ou suivis en hospitalisation à domicile.

    Ces maladies et en particulier les maladies chroniques génèrent indirectement des handicaps divers qui freinent l'apprentissage de la lecture, voire toute la scolarisation. La bibliothécaire est de ce fait confrontée à une plus forte proportion d'enfants à problèmes, chez qui l'âge réel ne correspond pas forcément au développement psychologique et pour lesquels il est parfois difficile de trouver une adéquation entre le niveau de lecture et les centres d'intérêt.

    Enfin le comportement de l'enfant est perturbé par l'hospitalisation et on observe fréquemment une régression des acquis. Les habitudes de lecture changent du fait de la fatigue et de la souffrance, la capacité d'attention et le goût de lire diminuent.

    Pour certains cependant, le séjour à l'hôpital est une occasion unique de rencontrer le livre ou de redécouvrir l'envie ou le temps de lire. C'est aussi le moment d'une relation individuelle privilégiée entre la bibliothécaire et l'enfant, où l'on traite sa demande et non celle de ses parents ou de l'école.

    Plus de 19 000 documents empruntés en 1993

    Si la bibliothèque a par nature mission de réunir des documents de toutes sortes dont les supports évoluent avec les progrès techniques, elle doit en premier lieu répondre aux besoins et aux intérêts du public à desservir, donc trouver des réponses aux besoins spécifiques des personnes hospitalisées : livres en gros caractères, en braille, livres sonores, livres en langues étrangères, mise à disposition d'appareils de lecture et d'écoute : quinze baladeurs et casques sont prêtés par la bibliothèque de Robert-Debré.

    En raison de leur fatigue, mais aussi à cause du rythme très haché de la journée à l'hôpital, morcelée par les soins et les interventions de tous ceux qui gravitent autour d'eux, les enfants apprécient les textes courts, les albums, les bandes dessinées, la musique et les périodiques.

    La bibliothèque fournit aussi des ressources documentaires aux autres professionnels de l'hôpital : psychologues, orthophonistes, personnels soignants travaillent occasionnellement à partir de contes traditionnels, albums, images, musique...

    La bibliothécaire fait partie de l'équipe éducative et scolaire

    Les occasions de travailler en équipe avec les autres personnels éducatifs (instituteurs, éducateurs, animateurs...) sont nombreuses : recherche documentaire pour des journées de prévention, organisées trois à quatre fois par an, participation au comité de rédaction du journal Tam-Tam réalisé avec les enfants, aide à la recherche de sujets et à la rédaction d'articles, recherche iconographique et musicale pour la chaîne de télévision interne qui diffuse une émission hebdomadaire dans toutes les chambres, intervention dans les formations organisées par l'hôpital pour les personnels éducatifs.

    Un service au chevet des enfants

    Dix-huit heures de service public se répartissent entre les passages dans les services et les permanences en salle de lecture. Trois fois par semaine, pendant trois heures, un chariot va de chambre en chambre, sorte de bibliothèque en miniature, proposant une sélection de livres, cassettes, magazines qui devront dans un court laps de temps répondre aux aspirations des jeunes lecteurs ou susciter leur curiosité.

    Toutes les chambres sont visitées y compris celles des enfants en isolement, le temps d'un prêt, d'un conseil, d'une aide à une recherche documentaire ponctuelle, d'une heure du conte.

    La préparation du chariot est importante : il faut se souvenir des prêts antérieurs et des questions particulières, anticiper sur les demandes ordinaires (albums, contes, documentaires sur les animaux, la nature, bandes dessinées, magazines, cassettes), prévoir de l'information à donner aux parents.

    La ponctualité et la régularité du passage du chariot contribuent à rythmer le quotidien de l'enfant et lui servent de repère dans le temps. Il faut s'adapter au fonctionnement des services, s'imposer sans déranger ; il faut aussi être à l'écoute de chaque enfant, sans se laisser capturer par le plus expansif.

    Par ailleurs, une salle de lecture est ouverte trois fois par semaine, les enfants y viennent seuls ou accompagnés. Son emplacement dans la « rue de l'hôpital », passagère et centrale, à proximité de la cafétéria, du hall d'accueil, du jardin et de la Maison de l'enfant, en facilite la fréquentation.

    Un coin peut accueillir les petits, les plus grands ont des tables pour travailler, ils peuvent lire sur place ou écouter de la musique. L'espace équipé de meubles sur roulettes permet aux malades appareillés de se déplacer avec leur chariot, leur pompe ou leur pousse-seringue sans crainte d'un obstacle. C'est un lieu privilégié d'accueil et de rencontre, démédicalisé, où les enfants se retrouvent entre eux.

    La bibliothèque, lieu d'expression artistique et d'échanges : l'exemple de Raymond-Poincaré

    A l'hôpital Raymond-Poincaré, un tiers des 643 lits est occupé par des enfants. Avec d'autres professionnels de l'hôpital et grâce à l'aide de la direction du Livre et de la Lecture, les bibliothécaires ont mis en place, depuis janvier 1994, une série d'animations et un atelier-théâtre sur le thème du cirque.

    Dirigées par des professionnels du monde du spectacle (un clown, une magicienne du Cirque de Paris, une actrice et un acteur de théâtre), ces animations menées auprès des enfants hospitalisés s'inscrivent dans la volonté de réunir le monde de l'enfance et le monde des artistes. Le thème du cirque a été choisi car le cirque est un spectacle total qui permet de renouer avec la poésie. Ainsi que le soulignent les deux bibliothécaires, Isabelle Nicolas et Myriam Revial, ces animations offrent un espace d'expérimentation du « jeu » comme apprentissage de la liberté, comme manière de se détacher du réel, de s'évader dans l'imaginaire, de mettre à distance la douleur.

    Elles se déroulent dans différents sites : école, lycée, salle de spectacle, centre de loisirs et dans les services d'hospitalisation, auprès des enfants qui ne peuvent pas se déplacer. Elles reposent essentiellement sur la participation des enfants. Il ne s'agit pas d'une programmation de petits spectacles mais d'un travail de sensibilisation et- d'initiation aux techniques du cirque et à la magie du théâtre. Leur but est de susciter chez l'enfant les dimensions ludiques et les vertus créatrices, d'ouvrir une brèche dans l'imaginaire afin qu'à l'hôpital comme ailleurs, l'émotion et le plaisir partagé puissent naître. L'ensemble des enfants hospitalisés a participé à une animation de clown et de magie : deux animations ont eu lieu à l'école, deux dans le centre de loisirs des enfants du personnel, quatre dans les services au chevet des enfants. Pepa Spassova, magicienne professionnelle et artiste au Cirque de Paris, présente la magie comme une technique artistique et non comme de la sorcellerie et fait participer les enfants comme ses petits assistants. Boris, qui intervient à ses côtés, est clown, jongleur et musicien.

    Le thème du cirque a suscité beaucoup d'enthousiasme auprès des enseignants et des animateurs qui ont mené en parallèle leurs propres projets sur ce thème. Avec leurs professeurs, principalement de français, de musique ou d'art plastique, ainsi qu'avec le personnel du centre de loisirs, les enfants ont fabriqué des masques pour le carnaval, effectué des recherches documentaires en vue de la construction de différents objets (marionnettes, personnages et animaux géants articulés, décors pour le spectacle de fin d'année, réalisation de clowns en pâte à sel). Ils ont participé à des ateliers d'expression à partir du film Sous le plus grand chapiteau du monde, exploré la musique de cirque. Un large choix de livres (albums, romans, documentaires) sélectionnés par les bibliothécaires a été mis à la disposition de tous.

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    Les bibliothèques dans les hôpitaux de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris en 1994 (seul réseau professionnalisé)

    Parallèlement, six ateliers-théâtre sur le roman d'Hector Malot, Sans famille, d'une durée de deux heures chacun, se sont déroulés dans l'antenne du lycée Toulouse-Lautrec, réunissant sept lycéens, deux acteurs, Philippe Bardy et Cynthia Gava, trois enseignants de français et les bibliothécaires.

    Finalement non sans appréhension mais avec un plaisir manifeste, les sept élèves de l'atelier ont donné une ultime représentation théâtrale ; ils ont ainsi pu prêter leur voix et donner vie aux personnages d'Hector Malot devant un auditoire intéressé et ému, composé de parents d'amis, d'autres enfants hospitalisés, de membres du personnel soignant et éducatif (1)

    Comme en ont témoigné les responsables de l'atelier-théâtre qui vont poursuivre ce travail pendant l'année scolaire 1994-1995, "il ne s'agit pas de parler d'expérience encore moins d'une tentative, ou même encore d'un essai, mais bien d'une nécessité. Celle de la re-création où l'organicité du son et du sens libère le geste, animant un dialogue surprenant riche en partage. L'enfant devient alors ce qu'il n'a jamais cessé d'être, l'acteur dans la magie de ses jeux inventés. Ici ce qui nous est donné à vivre, c'est le voyage extraordinaire de l'imaginaire des enfants ».

    1. Ce spectacle était d'autant plus émouvant que ces enfants souffraient tous de très sérieux handicaps, la plupart était en fauteuils roulants, l'un d'entre eux, aveugle, avait appris son rôle grâce à une édition en braille... retour au texte