En 1990, une chargée de mission est recrutée par le conseil général du Val-d'Oise pour établir un état des lieux de la lecture dans le département. Son rapport, diffusé en 1992 sous le titre Lire en Val-d'Oise, se conclut sur un certain nombre de propositions dont une partie concerne la bibliothèque départementale. Parmi celles-ci figure la création d'un service Petite Enfance dont la mission échapperait à la limite traditionnelle d'intervention des BDP (les communes de moins de 10 000 habitants).
C'est chose faite dès 1992, avec la création d'un poste de bibliothécaire, subventionné pendant deux ans à 50 % par la DRAC, et le recrutement d'Anne Duquesne qui a notamment animé la section jeunes de la bibliothèque municipale de Conflans-Sainte-Honorine et travaillé avec l'association ACCES (1) . Elle sera secondée à partir de 1993 par une personne en contrat emploi solidarité.
Son premier travail a été de constituer un fonds de livres spécifiques (2) à l'intention des 0-6 ans et de recenser les lieux d'accueil de la Petite Enfance dans le Val-d'Oise.
Un courrier proposant l'utilisation du fonds et des formations gratuites a été adressé à toutes les structures spécifiques (crèches collectives et familiales, haltes-garderies, centres de PMI, services hospitaliers spécialisés), mais aussi au service social et au service culturel de chaque commune ainsi qu'aux bibliothèques municipales. Les réponses ont été très nombreuses, manifestant un grand intérêt, et même de l'enthousiasme, de la part des équipes d'encadrement.
Les actions de formation, dont la gratuité est fort appréciée, permettent de découvrir la production littéraire pour les tout-petits, de l'analyser, la critiquer. C'est aussi l'occasion de réfléchir sur la place de l'adulte dans sa relation avec l'enfant et les livres, d'essayer de repérer où et comment s'enracine le désir de lire.
Dispensées d'abord aux équipes d'éducatrices, de puéricultrices, d'infirmières, elles s'étendent ensuite aux assistantes maternelles qui sont souvent heureuses d'en témoigner auprès des parents des enfants dont elles ont la charge. Une démarche est en cours pour la reconnaissance de la formation dispensée par le service Petite Enfance de la BDP du Val-d'Oise dans le cadre de soixante heures de formation nécessaires pour l'agrément d'une assistante maternelle.
Ces actions se déroulent selon les modalités suivantes : journées trimestrielles, matinées d'approfondissement, stages et interventions ponctuelles.
Les journées trimestrielles « Le livre et le tout-petit permettent la rencontre de professionnels de différents secteurs souhaitant élaborer des projets concernant le livre et la Petite Enfance.
Les matinées d'approfondissement portent sur un thème, par exemple : le sommeil, les frères et soeurs, la peur, etc., dans le livre pour enfants.
Les interventions ponctuelles enfin sont très diverses. Les plus nombreuses concernent les assistantes maternelles de crèches familiales (Deuil-la-Barre, Eau-bonne, Enghien-les-Bains, Franconville, Pontoise) parfois complétées par une séance ou une soirée avec les parents (Villiers-le-Bel, Domont, Taverny).
Certaines opérations mobilisent un grand nombre de partenaires comme le stage Le livre et l'enfant » organisé pendant trois jours à Jouy-le-Moutier à l'intention d'assistantes maternelles, les deux journées sur le conte qui ont rassemblé à Magny-en-Vexin des animateurs très divers, ou encore le cycle de formation mis en place à Villiers-le-Bel à la demande de la municipalité et qui s'adressait, d'une part aux élus et professionnels (puéricultrices, éducatrices, psychomotriciennes, infirmières et bibliothécaires), d'autre part, aux assistantes maternelles, agents spécialisés des écoles maternelles, assistantes sociales et parents.
Enfin, le service Petite Enfance de la bibliothèque départementale du Val-d'Oise est sollicité pour participer à diverses manifestations ou débats autour du livre et de la petite enfance (Attain-ville, Éragny, Méry-sur-Oise, Saint-Gra-tien). Ces projets sont souvent animés en collaboration avec la bibliothèque municipale (Saint-Gratien) ou associative (Magny-en-Vexin) et c'est parfois dans ses locaux que sont organisées les formations (Taverny, Ermont).
Ainsi se constitue un réseau spécialisé différent du réseau classique des bibliothèques relais de la BDP. Le service Petite Enfance n'en est pas moins à la disposition de ces dernières. Les journées et matinées spécialisées sont ouvertes aux dépositaires, et le fonds Petite Enfance est accessible à ceux qui viennent renouveler sur place leur stock de documents.
La place fondamentale de la langue écrite dans le développement de l'enfant, particulièrement pendant les premières années de la vie, est désormais reconnue aussi bien dans le champ de la pratique que dans celui de la recherche.
René Diatkine, Marie Bonnafé, psychiatres, cofondateurs d'ACCES, soulignent combien est structurant le récit oral fait à l'enfant. La langue du récit est en effet un écrit oralisé » et constitue à ce titre une excellente interface entre l'ordre de l'écrit et l'ordre de l'oral, une précieuse et précoce médiation transculturelle.
Les livres et les histoires racontés aux enfants permettent de créer un espace imaginaire qui les aident à enrichir leur monde intérieur. La littérature enfantine d'aujourd'hui nous offre une grande variété de livres de qualité. En même temps qu'ils donnent la parole à l'enfant, ces livres réveillent souvent chez l'adulte des émotions et des souvenirs.
Par exemple Enfantines de Marie-Claire Bruley et Lya Tourn, édité par L'École des loisirs, emporte toujours l'adhésion des assistantes maternelles qui s'étonnent d'y retrouver valorisés leurs formulettes et jeux de nourrice. Spot d'Éric Hill, aux éditions Nathan, est idéal au moment où l'enfant commence à élaborer une représentation de la présence maternelle pour supporter la séparation, parce qu'il permet au jeune lecteur de faire apparaître et disparaître à volonté des personnages, l'assurant ainsi que ce qui est caché continue à exister même hors de son champ de vision.
Au moment où l'enfant commence à parler, à consolider la maîtrise de son langage, il va trouver dans l'histoire le plaisir de jouer avec les mots. Rien ne lui plaît tant alors que le jeu des enchaînements et des répétitions des petits » contes-randonnées » tels Dix au lit de P. Dale (Flammarion) ou Monsieur le lièvre, voulez-vous m'aiderPde C. Zolotow et M. Sendak (L'École des loisirs).
Les histoires comme La grande peur de Mariette et Soupir de I. Schwartz et F. Sther (L'École des loisirs), où l'on se perd dans le vaste monde et d'où l'on revient en héros vainqueur d'obstacles, fort et courageux, donnent envie de grandir.
Enfin, ce n'est pas parce qu'on est toutpetit qu'on ne ressent rien ! Amour, haine, colère, tristesse, joie, jalousie existent bel et bien, et l'enfant apprécie de retrouver dans les livres ces sentiments exprimés avec force et en même temps mis à distance comme dans John, Rose et le chai de J. Wagner (Deux coqs d'or) ou Maxy de N. Weiss (Albin Michel).
Au cours des séances de sensibilisation aux livres pour enfants, certaines questions, certaines remarques sont toujours évoquées, comme par exemple :
L'histoire ne crée pas la peur : elle permet souvent à l'enfant de mettre un nom sur une peur qui existait déjà. Il ne s'agit pas de raconter systématiquement des histoires qui font peur ; ici encore, le plaisir et la demande des jeunes auditeurs sont nos meilleurs guides.
Les livres sont déchirés quand l'adulte n'est pas là pour lire avec l'enfant. Il est évident que le bébé a besoin d'un adulte pour se faire raconter le livre. Cela dit, dès qu'on lui a raconté assez souvent les livres, il peut s'en emparer sans qu'on les lui raconte à nouveau et il ne les abîme pas. Il s'approprie le livre et il est important de respecter ce temps d'appropriation qui va lui donner cette capacité d'être seul après la présence de l'adulte, et sans qu'il s'occupe de lui.
L'histoire racontée dans un livre est un moyen privilégié pour l'enfant de s'assurer de la permanence sécurisante de son environnement. Cette histoire « qui ne meurt jamais est garante de continuité. L'histoire du soir qui permet de s'endormir sans avoir le sentiment de perte, d'abandon, aura un pouvoir de lutte contre les séparations quelles qu'elles soient tout au long de la vie.
Pour tenter de convaincre de l'intérêt d'offrir des livres de façon précoce, il faut parler de la jubilation du jeune enfant à qui on raconte, de sa fascination, de sa capacité d'écoute, de son appropriation parfois subite du langage.
S'il n'est pas toujours facile de raconter aux tout-petits, il ne s'agit pas pour autant d'une affaire de spécialiste ! Aucune directive n'est nécessaire pour savoir comment raconter, sinon celle d'éviter toute contrainte cognitive. Il s'agit en effet uniquement de permettre à l'enfant d'avoir accès, par l'intermédiaire du livre et des histoires, à l'imaginaire pour que grandisse en lui le pouvoir d'imaginer, de penser, de rêver, de modifier le monde et pour que naisse aussi, un jour, le désir d'accéder à l'écrit.