Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Bibliothécaires en herbe

    Expérience d'autogestion d'une BCD par les enfants

    Par Marie-Charlotte Delmas, BM de Bagneux

    Origine du projet

    En préalable à un projet de développement de la lecture publique sur la commune du Plessis-Robinson, où j'assurais alors la direction de la bibliothèque municipale, j'ai été amenée en 1992 à établir un état des lieux des structures existantes en matière d'espaces de lecture sur la ville.

    Cette étude a mis en évidence la fragilité et les difficultés de fonctionnement des BCD (1) dont la gestion reposait uniquement sur la bonne volonté de quelques parents d'élèves ou enseignants (en activité ou à la retraite). D'autre part, le manque de disponibilité des enseignants et leur absence d'expérience de ce type de travail les conduisaient, dans certains lieux, à un tel découragement que la BCD avait été mise « provisoirement » en sommeil. De son côté, depuis plusieurs années, la bibliothèque municipale fournissait une aide ponctuelle aux BCD, répondant de son mieux, dans la limite de ses forces, aux demandes qui lui étaient adressées : stage de parents d'élèves, dépôts de livres, conseils d'achats ou de bibliothéconomie. Il nous était néanmoins impossible de leur assurer un soutien permanent.

    C'est pour toutes ces raisons que le projet « Bibliothécaires en herbe » est né. Il traduit une double volonté : celle d'une équipe d'enseignants et du directeur de l'école, disposés à tout mettre en oeuvre pour relancer la BCD défunte, et celle de la bibliothèque, dans la mesure où je souhaitais depuis longtemps tenter une expérience d'autogestion de BCD par des enfants, mettant en avant l'aspect formateur des différentes tâches de gestion des livres et des lecteurs. Être lecteur, c'est aussi disposer de repères dans le champ éditorial et il me semblait intéressant de donner à des enfants un certain nombre de « clés » dans ce domaine.

    Il s'agissait, dans un premier temps, d'initier les enfants à un travail de gestion. Son caractère « technique ne signifiait pas qu'il était dénué de contenu, bien au contraire. Les aspects concernant la qualité » (littéraire, documentaire, iconographique) des livres étaient mis de côté. L'objectif de cette expérience n'était pas de former des spécialistes de la littérature enfantine, mais d'établir à terme une coopération entre l'école et la bibliothèque, de façon à ce que les enfants puissent profiter, pour leurs futures acquisitions, de l'expérience et du travail des bibliothécaires de jeunesse.

    Déroulement du projet

    Après réflexion et négociation », il est décidé, suite à la proposition du directeur de l'école, que cette expérience concernera trente et un enfants de CM1, de manière à assurer une continuité sur l'année suivante. En effet ces élèves, une fois en CM2, pourront à leur tour en initier d'autres.

    Première phase : formation générale

    Plusieurs séances « d'animation » autour du livre et de la gestion de la bibliothèque sont proposées aux enfants, dont les réactions et l'intérêt sont surprenants.

    « Le livre, objet physique (l'histoire du livre, du volumen au codex - l'histoire d'un livre, du manuscrit à l'édition - le paratexte, environnement du livre...)

    Surprise. Les enfants font preuve d'une attention extrêmement soutenue pendant une heure. Les questions qu'ils posent sont tout à la fois variées et pertinentes: histoire de la pagination, différences entre deux éditions d'un même texte. Ils sont en train de lire Poil de Carotte, dans le cadre de leur travail scolaire, et à la séance suivante ils m'apportent plusieurs éditions pour attirer mon attention sur les différences paratextuelles.

    e Le circuit du livre en bibliothèque (choix et commande, estampillage, enregistrement au registre d'inventaire, catalogage et fiches, couverture et équipement pour le prêt...)

    Ce sujet, qui peut apparaître comme un peu rebutant, obtient tout de même l'intérêt des enfants. A cela, une raison primordiale : nous abordons des problèmes concrets qui ne sont pas la simple description d'un travail par un professionnel (type visite de la bibliothèque), mais une réalité à laquelle ils savent qu'ils seront bientôt confrontés.

    9 Les différents types de livres et leur classement en bibliothèque

    Je commence par demander aux enfants les différents - types » de livres qu'ils connaissent, et j'écris leurs réponses au fur et à mesure sur le tableau : ils donnent tout à la fois des genres très spécifiques comme les policiers et des types très larges comme les documents ».

    Je leur demande ensuite de sélectionner les livres qui appartiennent au domaine de la fiction et ceux qui ressortent du documentaire. Une première distinction se fait jour sous la forme « réalité/imaginaire », puis 'plaisir/information ». Nous en discutons, en abordant le caractère historique et donc aléatoire des genres littéraires et du classement des livres.

    Nous « officialisons notre répartition sur le tableau en soulignant d'une couleur les ouvrages de fiction, de l'autre, les documentaires. Se posent alors un certain nombre de questions. En effet, restent sur le » carreau :

    • le théâtre et la poésie : la bibliothécaire que je suis a machinalement refusé de les placer dans la fiction. Il est vrai que pour un certain nombre d'entre nous, poésie et théâtre restent toujours classés dans les documentaires. Mes choix me laissent soudain perplexe ;
    • la religion et l'autobiographie : les enfants souhaitent mettre la première dans la fiction (en fait, personne ne peut dire si c'est vrai, me dit-on !) et la seconde dans les documentaires (si le romancier s'inspire d'une histoire vraie, c'est quand même plus réel que la religion, n'est-ce pas ?). Logique désarmante.

    Deuxième phase: répartition des tâches

    Des groupes sont constitués, les enfants choisissant un domaine spécifique :

    • 1 : romans ;
    • 2 : documentaires (histoire, géographie, religion) ;
    • 3 : documentaires (sciences et techniques) ;
    • 4 : documentaires (livres pratiques et arts) ;
    • 5 : théâtre, contes, humour, poésie ;
    • 6 : albums ;
    • 7 : revues (abonnements).

    Ce domaine sera étendu à différentes tâches techniques : inscription des livres aux inventaires, reliure.

    Chaque groupe doit apprendre à connaître et à gérer le fonds de livres dont il a la responsabilité.

    Troisième phase : réalisation de la BCD

    » Tri et rangement des ouvrages

    Nous déterminons les différents espaces de chaque groupe. Puis commence la fastidieuse tâche de tri et de classement des livres. Il y a plusieurs centaines de livres, de provenances diverses (acquisitions de l'école sur suggestion de la bibliothèque jeunesse ou de représentants persuasifs, dons des familles). Les critères de sélection sont simples à ce niveau de notre travail. Un bon livre est un livre en bon état. C'est la première fois que l'on travaille dans la BCD de manière pratique.

    Les enfants ont tôt fait de s'approprier l'espace et leurs propres espaces, leurs livres aussi.

    A ce stade, il ne sera plus possible de travailler avec une classe entière. Les différents groupes vont travailler à tour de rôle ou parallèlement :

    Groupes 2-3-4 (fonds documentaires) : initiation à la cotation des ouvrages. Définition des sujets à l'aide d'usuels. Repérage des éléments paratextuels.

    Nous choisissons une version très simplifiée, à base de couleurs et de nombres à deux chiffres maximum de la classification Dewey, utilisée en BCD (2) . Les enfants apprennent à déterminer des sujets après survol du livre, à utiliser un index et à se repérer dans les différentes cotes proposées.

    Groupe 1 (romans) : initiation au repérage des éléments paratextuels et en particulier des mentions d'auteurs ou d'auteurs secondaires (traducteurs, illustrateurs...).

    Groupe 5 (théâtre, contes, humour, poésie) : repérage des éléments paratextuels et définitions des genres (cotation).

    Groupe 6 (albums) : tri et cotation après repérage des éléments paratextuels.

    Groupe 7 (gestion des abonnements, du cahier d'inventaire, de la reliure) : au fur et à mesure que les livres sont prêts, ils sont rangés sur les étagères et nous mettons en place une signalisation.

    Pendant cette période, les enfants sont invités à se rendre à la bibliothèque, individuellement, sur leur temps de loisirs. La plupart d'entre eux ramèneront de ces visites questions et critiques, montrant ainsi que leur démarche n'est plus tout à fait celle de simples lecteurs.

    Nous emmènerons également la classe au Salon du livre, et c'est avec beaucoup de sérieux qu'ils iront trouver les éditeurs, relevant ici et là des titres pour leur prochaine commande.

    Quatrième phase: préparation pour l'ouverture

    « Le système de prêt

    Nous élaborons avec les enfants et quelques enseignants un système de prêt adapté aux spécificités d'un établissement scolaire. Chaque enfant de l'école bénéficiera d'une carte sur laquelle seront inscrits les numéros d'inventaire des livres empruntés et la date de retour. Ces cartes seront classées dans un fichier à la date de retour.

    En accord avec les enseignants, la bibliothèque sera ouverte durant toutes les récréations. Un planning de prêt est mis en place. Quatre élèves sont nécessaires à chaque ouverture, plus un enseignant (uniquement pour des raisons d'ordre réglementaire au niveau de l'Éducation nationale). Il est recommandé à ce dernier de ne pas intervenir dans le travail de bibliothèque.

    Afin de limiter le nombre d'enfants présents ensemble dans la BCD, chaque classe reçoit deux badges, deux laissez-passer, que les enfants peuvent emprunter à tour de rôle.

    « Le règlement

    Il est élaboré par les enfants et une enseignante. Il s'agit de mettre en forme les différents éléments du prêt et du fonctionnement de la BCD. Les bibliothécaires en herbe établissent des règles très strictes. Chaque enfant peut emprunter deux livres à chaque prêt. Tout livre perdu est racheté ou payé 30 F. Au bout de deux pertes, c'est l'exclusion pure et simple. Pas de chahut toléré dans la BCD : la bibliothèque doit être un lieu calme (!).

    Cinquième phase : ouverture et fonctionnement de la BCD

    L'inauguration de la BCD a lieu le samedi 22 avril 1992 en présence des parents, des enseignants et de personnalités locales et professionnelles (Michel Melot, vice-président du Conseil supérieur des bibliothèques, renouvelle par sa présence son soutien à cette expérience). Les enfants accueillent euxmêmes les invités à qui ils proposent une visite guidée de la BCD.

    Françoise Hecquart, présidente du groupe Ile-de-France de l'ABF, remet les diplômes de Bibliothécaires en herbe >, les enfants recevant également un livre de poche, L'enlèvement de la bibliothécaire (Folio-junior chez Gallimard) offert par la Caisse des écoles.

    Le lundi 24 mai : première ouverture aux enfants de l'école.

    C'est immédiatement un grand succès qui ne sera pas démenti par la suite. Il est actuellement prêté près de 500 livres par mois. Devant les demandes de l'école maternelle, toute proche, la BCD est ouverte aux plus petits tous les lundis après-midi et les enfants de CM2 s'initient peu à peu à l'animation. Depuis un an, chaque semaine, certains d'entre eux se relaient pour lire et raconter aux plus jeunes des albums qu'ils ont eux-mêmes sélectionnés auparavant.

    En septembre, je quitte la direction de la bibliothèque municipale du Plessis-Robinson pour celle de Bagneux. Désormais, les enfants peuvent se débrouiller tout seuls. Je ne viendrais plus que très ponctuellement leur rendre visite. Une petite période de découragement se fait jour en octobre et la classe se rend à Bagneux pour visiter « ma » nouvelle bibliothèque.

    Un budget de 3 000 F leur a été alloué et les discussions vont bon train sur le choix des livres à acquérir. Les enfants sont maîtres de leur budget et de leur choix qui se révèle très pertinent. Parallèlement, ils reçoivent tous les mois un fonds de roulement de la bibliothèque municipale.

    Sixième phase : janvier 1994, la relève

    L'heure est venue de préparer la relève, d'autant plus que la classe qui s'occupe de la BCD doit partir trois semaines en classe de mer.

    Les bibliothécaires en herbe préparent un programme de formation pour les volontaires de CE2 et CM1. Ce programme m'est envoyé pour annotations.

    Je viendrai passer une matinée avec eux pour revoir certains points. Plusieurs séances de formation sont organisées par petits groupes. Ensuite, chaque enfant devient tuteur d'un stagiaire qu'il met à l'épreuve in situ. Devant l'importance de l'enjeu, ils décident d'élaborer un test qu'ils baptisent Test des gestionnaires " avec une série de questions et un barème. Les tests sont notés sur 20. Plus de 12, le stagiaire est accepté et reçoit un diplôme réalisé par les enfants et signé par le directeur de l'école. Entre 10 et 12, il faut passer des épreuves de rattrapage. Moins de 10, c'est le rejet pur et simple du candidat.

    Côté animation, les nouveaux sont initiés à l'art de raconter des histoires et de lire des livres. Lorsqu'ils se sentent sûrs, ils passent l'épreuve en direct devant les maternelles, après quoi a lieu un débat critique.

    Ces méthodes de recrutement m'attristent lorsque j'en ai connaissance, dans la mesure où elles pervertissent le projet initial. le fait d'avoir travaillé avec une classe complète avait permis à certains enfants de trouver dans la BCD un lieu de réalisation. L'équipe enseignante qui avait noté des progrès importants sur l'ensemble du travail de la classe, avait également enregistré quelques cas très spectaculaires. Opérer une sélection à la base me semble contraire à l'esprit de cette expérience.

    En conclusion

    Aujourd'hui, les nouveaux bibliothécaires en herbe ont ouvert la BCD dès la rentrée de septembre. Les anciens qui sont rentrés au collège ont demandé à poursuivre ce travail en CDI (3) , demande acceptée par les principaux et les documentalistes.

    Côté résultats scolaires, les retombées ont été très importantes. Plusieurs enfants non-lecteurs sont devenus des piliers de la BCD, lisant plusieurs livres par semaine. D'autres ont décidé d'écrire leur propre livre, un documentaire de 50 pages sur les baleines, réalisé sur leur temps de loisirs et devant être imprimé par la ville, puis distribué à tous les enfants de CM2 de l'école.

    En règle générale, le niveau de la classe a considérablement progressé durant les deux ans de l'expérience. Les enfants ont fait preuve d'un enthousiasme qui n'a pas failli.

    Reste à voir maintenant comment évoluera ce projet avec la nouvelle équipe. Si cette dernière fera preuve de la même passion, éprouvera le même plaisir à gérer ce lieu.

    1. Bibliothèque centre documentaire. retour au texte

    2. Voir Catherine Jordi. - BCD Mode d'emploi. - CRDP de Nice, 1991. retour au texte

    3. Centre de documentation et d'information. retour au texte