Association des bibliothécaires français : Depuis plusieurs années vous menez des ateliers d'écriture dans le département de la Seine-Saint-Denis, quel est leur intérêt ?
Henriette Zoughebi : L'atelier d'écriture est un des liens possibles entre le livre et l'enfant. Les propositions que nous faisons à nos partenaires, enseignants et bibliothécaires, reposent sur une conviction profonde : l'enfant, pour devenir lecteur, doit pouvoir prendre la parole lui-même. Le travail des ateliers d'écriture s'inscrit pour le Centre de promotion du livre de jeunesse / Seine-Saint-Denis dans un ensemble de pratiques et de réflexions qui toutes concourent à éveiller l'enfant à la lecture. La lecture est une aventure. Avant d'ouvrir le livre, on ignore son contenu. La lecture est un saut dans l'inconnu, une exploration de celui-ci. Les ateliers initiés par le Centre de promotion du livre de jeunesse sont tous différents mais ont en commun la valorisation des enfants, de leur histoire et de leur parole singulière.
ABF : Pour vous, la réussite de ces ateliers tient ainsi à un véritable projet mené avec différents partenaires. Comment les concevez-vous ?
HZ : Pour qu'ils aboutissent, il est nécessaire que l'écrivain ou l'artiste soit totalement dans un partage et non dans la simple transmission d'une technique d'écriture. Il faut que lui aussi ait quelque chose à gagner à cette aventure. C'est à cette condition que les enfants peuvent » sortir » le meilleur d'euxmêmes. Cette relation de confiance porte les enfants, les stimule, les fait grandir dans leur connaissance d'euxmêmes. Par ailleurs les créateurs ouvrent des champs d'exploration nouveaux pour les enfants : à travers eux, ils rencontrent des singularités, des individualités fortes, des univers culturels très riches, d'une grande diversité. Les ateliers aident alors les enfants et les jeunes à exprimer les leurs. Permettez-moi de vous citer les mots des artistes et écrivains qui ont collaboré aux projets initiés par le Centre :
Pour accompagner cette relation singulière, il est primordial que les bibliothécaires, les enseignants aient un regard impliqué » sur le travail qui s'engage entre le créateur et les enfants afin de les aider à se dépasser. C'est aussi leur montrer toute l'importance pour eux-mêmes et pour les autres du travail en train de s'accomplir.
ABF : Les ateliers que vous impulsez font l'objet de publications. Cette étape est-elle réellement importante ?
HZ : Cette publication est l'aboutissement d'un travail où tous les adultes - le créateur, l'enseignant, les bibliothécaires - et les enfants ont appris quelque chose, ont mis beaucoup d'eux-mêmes. Ces livres sont aussi la marque d'un respect réel pour le travail des enfants, le signe visible par tous qu'ils sont allés jusqu'au bout de leur production.
Nous tenons à ce que ces livres soient des vrais livres, c'est pourquoi ils font l'objet d'un travail éditorial. Tout ce qui a été écrit n'est pas publié. Des choix sont faits car il est important que ce livre soit lisible par tous et pas uniquement par ceux qui ont participé à l'atelier. Et pour que ce livre soit beau, nous sollicitons l'intervention de graphistes pour la mise en page et l'accompagnement iconographique !
ABF : Dans quelles directions, aujourd'hui et pour l'avenir, le Centre travaille-t-il ?
HZ : Notre mission est en Seine-Saint-Denis de soutenir et de poursuivre les collaborations entre créateurs, bibliothécaires, enseignants et enfants en construisant ensemble des projets, en diversifiant les propositions sans trop d'idées prédéterminées, sinon adieu l'aventure !
La question du regard sur ces expériences est très importante. Toutes les pratiques d'accompagnement de la lecture, ateliers d'écriture, rencontres, aide au travail scolaire nécessitent une réflexion. Ainsi nous souhaitons nous associer avec des chercheurs en psychologie, en sociologie, en sciences de l'éducation, pour mettre en place un observatoire de la lecture des enfants en Seine-Saint-Denis avec pour objectif d'améliorer le rapport des enfants au livre. En effet, si on a longtemps pensé qu'il suffisait que tous accèdent à l'école et au collège pour permettre l'accès à la lecture, et en filigrane que la lecture signifiait une libération humaine, on s'aperçoit aujourd'hui que c'est beaucoup plus compliqué : éveiller quelqu'un à la culture met en jeu toute la personne. Pour qu'apparaisse le goût de la lecture, il ne suffit pas de donner un livre ni d'apprendre à lire. Il faut trouver d'autres pistes pour permettre aux enfants de découvrir ce que seul le livre apporte : entrer dans la durée, la solitude, le silence et donc quelque part « entrer en apprentissage » de soi. Les ateliers sont une des propositions pour permettre de faire comprendre à l'enfant que le livre vaut le coup puisqu'il l'aide à se construire, à construire son rapport à lui-même et au monde.
Les citations mentionnées sont extraites pour la plupart des ouvrages parus dans la collection « Histoires de... » issue des ateliers initiés par le Centre de promotion du livre de jeunesse / Seine-Saint-Denis (ouvrages disponibles au Centre de promotion du livre de jeunesse / Seine-Saint-Denis).