QUI sait ce dont sera fait le monde à l'échéance de la prochaine décennie? Si l'on pressent chaque jour davan-Q tage - et parfois avec inquiétude - les indices des ruptures ou des bouleversements futurs, il est difficile d'en percevoir la mesure et la direction finale.
Beaucoup pensent aujourd'hui, que les technologies de la communication seront un levier essentiel des transformations à venir. Instrument de culture, de pouvoir et de développement, elles porterons les espoirs, les calculs et les peurs du monde contemporain avec au plan social une puissance qu'aucun média n'avait pu, semble-t-il atteindre à présent. Des îlots traditionnels, le livre, la presse, le cinéma sont investis. Seront-ils submergés? Pour ceux que préoccupe l'avenir de la culture et de la communication, les questions posées par l'apparition de la télévision reviennent avec insistance.
Comment le grand public accueillera-t-il les nouvelles technologies audiovisuelles? Les modes de transmission de demain auront-ils un impact culturel ? Permettront-ils un dialogue plus grand entre les hommes ou, au contraire, deviendront-ils une force sans précédent de discours unilatéral ? Le livre, la presse, le cinéma pourront-ils tirer parti du changement?
Il y a une dizaine d'années, la naissance des premiers magnétoscopes suscitait beaucoup d'espoirs. L'on en attendait une modification des comportements face à la télévision. Le spectateur passif du petit écran allait devenir grâce au magnétoscope et à la caméra vidéo un créateur d'images. Ce fut une illusion, puisqu'en 1980, l'on ne compte en France que deux cent vingt mille magnétoscopes.
Mais l'introduction de la vidéo cassette et la forte réduction des coûts des magnétoscopes et des caméras vidéo consécutive à la percée de l'industrie japonaise a changé les données du problème. En 1980, près de quatre millions de magnétoscopes ont été exportés vers les Etats-Unis pendant le premier semestre de cette année, tandis que quelques deux cent trente-cinq mille ont été exportés vers l'Allemagne fédérale. Pendant le seul mois de juillet, cent vingt mille magnétoscopes ont quitté le Japon à destination du Marché commun.
L'usage de la vidéo cassette est utilisée essentiellement pour copier des films ou des émissions diffusés par les chaînes nationales de télévision. Le marché de la vidéo cassette préenregistrée se développe mais reste restreint du fait du coût final du programme: entre quatre et cinq cent francs en France. Comme le note Jean-Claude Quiniou dans un ouvrage récent (1) : "La "quatrième chaîne" suivant la publicité d'une des marques de vidéo cassette n'est pas encore en situation de devenir une chaîne populaire." Il est probable toutefois, que l'on assistera dans les prochaines années à des réductions de coûts tant pour la bande vierge que pour les programmes pré-enregistrés. De même, la caméra-vidéo devenue portable et miniaturisée se substituera peu à peu aux caméras super 8.
L'obstacle financier que représente le prix final de la vidéocassette sera également peut-être levé par la diffusion massive du vidéo-disque.
Le vidéo-disque se présente sous une forme voisine de celle du disque à microsillons 33 tours. "Joué" sur un lecteur muni d'un bras ou d'un système optique, il restitue sur l'écran de télévision images et sons préalablement enregistrés. Contrairement à la vidéo-cassette, il ne s'efface pas. Pressé en grandes séries, le vidéo disque coûtera au public environ cent francs pour un programme d'une heure à une heure et demie. Une très importante bataille de standards commence actuellement entre les constructeurs; il existe en effet plusieurs procédés de restitution de l'image incompatibles entre eux: le vidéo-disque Thomson dont un prototype est présenté actuellement à Paris dans le cadre de l'exposition "La science au service de l'art" organisée par la Réunion des musées nationaux, le vidéo-disque Philips repris par MCA, Pioneer, Sony, Hitachi, IBM, Sharp, Kenwood, Sanyo, Grundig, Marantz, le vidéo-disque RCA, le système VHD développé par Matsushita (J.V.C., Technics, Panosonic, Thorn-Emi).
Un rapport du Centre national de la cinématographie française au ministre de la Culture et de la Communication paru à la fin du mois d'octobre (2) énumère les perspectives variées offertes par la vidéo-cassette et le vidéo-disque: "films pour enfants, films d'art, d'opéra, de théâtre, de concerts: films de "recherche-images", jeux, jardinage et bricolage, initiation aux sports, vie quotidienne, santé, cuisine, soutien pédagogique, formation professionnelle, encyclopédie imagée, montage d'anthologies, activités sociales, civiques, politiques, association de quartier, vie municipale, magazine dans le domaine artistique (chansons, variétés, cinéma d'amateurs)".
Ajoutons que le vidéo-disque constitue un support de stockage d'images fixes noir et blanc ou couleurs, inaltérable dit-on, qui pourrait concurrencer, lorsque les techniques d'enregistrement et de restitution seront au point, la microfiche.
Dans le cadre des technologies nouvelles destinées au grand public, la télédistribution connaît un bon succès aux Etats-Unis. La télédistribution consiste à relier directement par câble -des récepteurs de télévision à une station centrale qui reçoit et traite les signaux de l'ensemble des programmes à acheminer. Ces programmes proviennent de source locale (studio, magnétoscope, télécinéma...) ou sont captés par voie hertzienne. Le nombre d'abonnés à ce système est passé aux Etats-Unis, d'un million en 1978 à 2,5 millions en 1978 à 4 millions en 1979. Le taux de pénétration de la télévision par câbles aux Etats-Unis a été supérieur en 1978 et 1979 à celui des magnétoscopes à cassettes.
La France s'oriente, elle, vers le satellite géo-stationnaire pour réduire notamment les zones d'ombres dont souffrent les chaînes de télévision nationales. Toutefois, des perspectives nouvelles sont offertes par les fibres optiques, fibres de verre absolument pur transportant des ondes lumineuses modulées par un laser microscopique capable de transmettre de très forts débits d'informations à moindre coût. Ainsi, une fibre de l'épaisseur d'un cheveu a une capacité supérieure à celle des gros câbles coaxiaux: 30000 conversations téléphoniques simultanées par exemple
Liés à la révolution informatique, les nouveaux moyens de la transmission à distance, satellites ou câbles innerveront peu à peu toutes les activités de la vie économique, sociale et culturelle. Pour comprendre cette évolution, il convient de se familiariser dès maintenant avec un vocabulaire nouveau : banques et bases de données, réseaux, télétexte, vidéotexte, numérisation de l'image et du son.
La miniaturisation des ordinateurs, la simplification des langages d'accès, la suppression des imprimantes au profit de l'écran vidéo permettent de stocker et d'accéder rapidement à des ensembles de données pouvant atteindre plusieurs milliards de caractères. La banque de données fournit directement les informations recherchées tandis que les bases sont bibliographiques.
La banque ou la base des données rendent de grands services, par exemple dans le domaine scientifique ou la profusion des publications pose de délicats problèmes: chaque année la production d'écrits scientifiques s'élève à deux millions, soit plus d'un demi-milliard de pages. Chaque année, 100000 revues sont publiées et font l'objet d'un million et demi de condensés diffusés par plus de 1800 services spécialisés dans la description bibliographique. L'informatique apporte une aide considérable à la consultation de ce type d'index
En France, des banques et bases de données sont mises en place pour coordonner des fonds documentaires tels que ceux du CNRS, de la Documentation française, d'E.D.F., etc.
Des réseaux se constituent qui permettent aux utilisateurs d'établir le dialogue avec les banques ou bases de données. En France, le réseau Transpac lancé récemment permet des échanges à grande vitesse d'informations sur tout le territoire national à des coûts peu élevés; en Europe, il s'agit du réseau Euronet; aux Etats-Unis des réseaux Infonet et Tymnet.
Le télétexte est une forme d'écriture à distance comparable dans son principe au télégraphe. La diffusion se fait par téléphone avec possibilité de voie de retour pour l'usager dans le cas de la poste, par voie hertzienne dans le cas de la télévision. Deux expériences françaises peuvent être citées : Antiope et Télétel.
Le système Antiope (Acquisition Numérique et Télévisualisation d'Images Organisées en Pages d'Ecriture) permet la diffusion de textes sur un écran de télévision par la voie hertzienne à horaires fixes: informations météorologiques, bourse, emploi, informations locales etc.
Le système Télétel associe l'ordinateur et le téléphone. L'utilisateur final peut "téléphoner" à l'ordinateur sur un petit clavier adapté pour obtenir immédiatement un certain nombre d'informations et de services. Citons deux expériences engagées en France : l'annuaire téléphonique en Ille-et-Vilaine qui remplace le lourd Bottin et le vidéotex de Vélizy qui sera installé dans deux mille cinq cent foyers.
Dans le cadre de systèmes analogues, il sera possible de transporter l'image et le son, quand il auront été transformés en une succession de chiffres 0 et 1 (numérisation). Déjà, des disques sonores sont commercialisés après avoir été enregistrés selon les techniques numériques. Pour l'image, le problème est plus complexe puisque la reproduction d'une seule photographie couleur par exemple demande un nombre de caractères dix mille fois plus grand qu'une demande codée de documents de bibliothèque. Mais, à l'avenir, il est envisagé que dans une succession d'images (une émission télévisée par exemple) seule la nouvelle information de chaque image serait prise en compte, l'ancienne restant en mémoire: l'encombrement du volume de stockage serait donc réduit considérablement.
La numérisation permettrait également la conception d'un réseau unique, à grande capacité, pour acheminer chez l'usager le téléphone, l'accès aux banques de données, le vidéotex, la radio et la télévision.
L'impact de ces techniques sur le livre, la presse et le cinéma sont aujourd'hui incalculables. Il est vraisemblable qu'elles conduiront au plan industriel à des redistributions de rôles et à des concentrations de moyens inédits. La spectaculaire prise de contrôle du groupe Matra sur Hachette témoigne de cette évolution. Une internationalisation croissante des moyens de communication aura des effets sur la science, l'art et les idées. Le cinéma devra s'adapter à l'ère de la vidéo: la vidéo à haute définition, les vidéo projecteurs, les écrans vidéo géants en traceront peu à peu les limites.
Si la puissance des technologies nouvelles ne suffit pas à créer des besoins immédiats, il conviendra de tenir compte de plus en plus de leur avancée.
Sources:
Ouvrage à consulter: Simon Nora et Alain Mine: l'Informatisation de la société. Documentation française.