Index des revues

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    Pour le 75e anniversaire de l'ABF

    Regards rétrospectifs sur la continuité d'une action

    Par Jacques Lethève

    L'ABF a atteint en 1981 le 75e anniversaire fondation. Cette circonstance qui est passée presque inaperçue, nous paraît pourtant propice à une réflexion sur le rôle de notre Association. Certes l'assiduité de ses membres aux réunions qu'elle organise, tous les signes qu'elle montre de sa vitalité sont plus significatifs que son ancienneté et pourtant ne comprend-on pas mieux la place que l'A. B. F. peut jouer dans la profession si l'on confronte les intentions de ses fondateurs aux résultats obtenus ?

    Les buts des fondateurs

    Lorsque dès la fin du 19e siècle, certains de nos prédécesseurs réunirent leurs efforts pour rassembler les bibliothécaires c'est qu'ils se faisaient une certaine idée des bibliothèques et du personnel destiné à les gérer, tout en constatant que la situation réelle était bien peu conforme à leurs conceptions. La fonction était alors assurée aussi souvent par des écrivains en quête de revenus supplémentaires ou par des employés sans aucune qualification que par d'incontestables érudits, généralement issus de l'Ecole des Chartes. Le premier but à atteindre était donc de faire reconnaître le caractère spécifique du métier de bibliothécaire et de faire admettre que n'importe quelle bibliothèque, si modeste fut-elle, ne peut être confiée à n'importe qui mais réclame un personnel muni d'un minimum de formation. Le second but, d'ailleurs étroitement lié au premier, devait être de persuader l'opinion publique que l'existence de bibliothèques nombreuses et l'accès facile à la lecture représentent des besoins indiscutables dans une nation cultivée.

    Qui ne serait frappé en constatant que soixante-quinze-ans plus tard ce programme a toujours besoin de défenseurs et que les améliorations acquises, si réelles qu'elles soient, sont trop souvent remises en question. Pourtant en rassemblant, en 1906, bibliothécaires et défenseurs des bibliothèques - ce qui représenta bientôt 200 personnes -, les créateurs de l'A.B.F. espéraient bien se faire entendre des autorités responsables.

    L'organisation de la profession

    En 1909, l'A.B.F. obtint la nomination d'une Commission supérieur des bibliothèques au Ministère de l'instruction publique : création dont les conséquences furent médiocres mais qui avait au moins un aspect symbolique. En effet les positions prises par l'A. B. F. et réaffirmées sans cesse jusqu'à la deuxième guerre mondiale furent enfin concrétisées par la création en 1945 d'une Direction des bibliothèques de France, affirmant l'unité des bibliothèques, au moins des plus importantes dans le secteur public. Chacun sait que cette unité a pourtant été remise en question et finalement rompue en 1975 sans profit pour personne.

    Formation et information

    La création d'une formation professionnelle spécifique faisait partie des exigences que l'A.B.F. considérait comme la garantie d'un personnel adapté aux divers besoins. C'est pourquoi elle agit auprès des autorités officielles, tout en élaborant dans ce domaine comme dans d'autres ce qui pouvait être réalisé par la seule bonne volonté de ses membres.

    Ainsi voit-on l'Association préconiser puis appuyer la création d'un Diplôme technique de bibliothécaire (devenu ensuite diplôme « supérieur »). Mais par ailleurs elle prend en mains l'organisation de cours et l'attribution d'un petit diplôme destiné à satisfaire une demande jusqu'alors sans réponse : apporter un minimum de formation dans le milieu des petites et moyennes bibliothèques. Malgré la création du C.A.F.B. qui, par la suite, répondit à des besoins du même ordre, elle continue à assurer chaqe année une formation non totalement recouverte par les diplômes officiels.

    Initier le personnel et l'aider dans son travail suppose aussi des instruments d'étude et des moyens d'information. La publication régulière d'un Bulletin représente le moyen habituel pour assurer cette information à l'extérieur comme à l'intérieur de la profession. Des difficultés toujours renaissantes n'ont pas empêché cet organe d'être publié de façon pratiquement constante (1) . Prolongeant l'action du Bulletin, des Annuaires, (2) une Lettre d'information, ont élargi, autant que les circonstances ont pu le permettre la connaissance du milieu professionnel.

    Il est un autre domaine où la France, si on la compare à certains pays étrangers, en brille pas par sa richesse ; c'est celle des instruments de travail. L'A.B.F., là encore, s'est efforcée d'y apporter quelques progrès. C'est ainsi que les règles de catalogage, élaborées par certains de ses membres en 1929, offrirent, en attendant mieux, un début d'homogénéité dans ce domaine si spécifique. (3) . En marge des cours, diverses publications se succédèrent pour aboutir à cette synthèse récente au titre prometteur, Le Métier de bibliothécaire.

    L'activité internationale

    L'action entreprise sur le plan national devait naturellement aboutir à des contacts avec des collègues d'autres pays. On sait qu'à la suite du Congrès international des bibliothécaires et des bibliophiles à Prague en 1926, le président de l'A. B. F., Gabriel Henriot, proposa la nomination d'un comité permanent. Ce fut l'origine de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires (F.I.A.B. ou I.F.L.A. dont les réunions régulières permirent désormais un examen des problèmes communs aux professionnels de tous pays. L'A.B.F., de ce fait, devait tenir une place importante dans cet organisme qu'elle a pu accueillir en France en 1937, 1957 et 1973, et un vice-président français a presque sans interruption siégé à son bureau exécutif (4) . Sans dresser ici le bilan des contributions de la F.I.A.B. aux problèmes des bibliothèques, on peut rappeler que, grâce à elle, plus d'une décision a été prise ou au moins proposée dans les domaines du catalogage, de la bibliographie, des échanges, du prêt, pour ne citer que ceux-là. Par ailleurs l'A.B.F. entretient des relations suivies avec de nombreuses associations des autres pays et une participation réciproque aux congrès annuels a souvent été assurée, particulièrement avec l'Alle-magne fédérale, la Suisse, l'Italie, la Belgique.

    Les crises

    Malgré la continuité et le développement d'une action bien définie depuis 1906, notre Association a connu quelques moments critiques. Une des crises les plus sérieuses éclata à la fin de la deuxième guerre mondiale. Les restrictions apportées par les occupants à la vie associative ne l'avaient pas empêchée de préparer l'avenir, sous l'impulsion de son président qui était alors, M. Pierre Lelièvre, et de son secrétaire général Paul Poindron. Mais avec la fin des hostilités, l'A.B.F. connut un aboutissement et une remise en question. La naissance d'une Direction des bibliothèques devait être saluée comme une victoire, d'autant plus qu'elle était menée par quelques-uns de ses plus actifs animateurs. Mais certaines de ces personnalités dont les responsabilités se situaient désormais sur le plan du Ministère, pouvaient estimer que leur rôle rendait inutile celui de l'A.B.F.

    Une situation, peut-être plus délicate encore, naquit de la création de syndicats, dont la représentativité devenait tout à fait légale. Leur existence enlevait à l'A.B.F. la place qu'elle avait tenue de son mieux mais officieusement avant la guerre dans la défense des intérêts matériels de la profession.

    Un modus vivendi fut pourtant établi. A côté des syndicats, dont la multiplicité soulignait d'ailleurs des divergences politiques, et dont la tâche essentielle serait de défendre les professionnels dans le domaine des traitements et du statut, à côté même des services ministériels, responsables de catégories limitées de bibliothèques, l'A. B. F. pouvait trouver sa place. S'affirmant plus que jamais libre de toute attache politique, confessionnelle ou officielle, elle resterait fidèle à sa vocation en rassemblant non seulement sur le plan amical mais dans toutes les circonstances où la profession serait insuffisamment reconnue, l'ensemble des bibliothécaires, y compris ceux que les nouvelles structures officielles laissaient hors du champ de la Direction. Depuis plus de trente ans, les circonstances n'ont effectivement pas manqué où l'A.B.F. a pu faire entendre sa voix.

    Parallèlement d'autres problèmes ont surgi, affectant cette fois son organisation interne. Le développement de la profession, l'accroissement du nombre de ses membres rendaient fatale une opposition entre le principe de l'unité et des besoins particuliers aussi bien du point de vue des régions que de celui des spécialités.

    Activités parisiennes et activités régionales

    Le Bureau de l'A.B.F. a été très vite conscient du problème que posait la dispersion de ses membres à travers la France et il n'a cessé de chercher une formule pour faire participer plus directement les provinciaux aux diverses activités. Il est certain que beaucoup de réunions et même les assemblées générales annuelles accueillaient surtout des Parisiens. Il est vrai aussi qu'en 1961 encore sur près de 900 membres, la moitié exerçait dans l'ancien département de la Seine.

    Dans les années 50, des « excursions » du dimanche furent organisées, auxquelles purent se joindre des collègues des régions concernées. Mais elles permettaient surtout aux Parisiens d'aller dans la journée à Rouen (1952), à Auxerre (1954) ou à Orléans (1950). Un pas de plus fut tenté dans la décennie suivante : en consacrant deux journées à ce type de réunion, on encourageait des déplacements plus lointains, en même temps que pouvaient être choisis de véritables thèmes de travail, par exemple à Lyon en 1960, à Nancy en 1962, à Dijon en 1966. Un dernier degré fut franchi en 1967, lorsque, dans une décision qui parut audacieuse, mais qui devait se montrer féconde, le Bureau présidé par Mme Honoré fixa en province l'assemblée générale annuelle, élargie bientôt en congrès et rassemblant dès 1976 à Caen plus de 450 personnes. Mais la participation des provinciaux ne pouvait se borner à une réunion annuelle, si importante qu'elle fût. Le désir de voir créer des groupes régionaux est exprimé dans la plupart des rapports présentés aux assemblées générales ou aux réunions de Bureau. Certes des groupes, parfois sans lendemain et formés spontanément, avaient tenu quelques réunions en s'appuyant ou non sur le patronage de l'A.B.F. : bibliothécaires de la Manche, responsables des bibliobus de l'Est, bibliothécaires du Sud-Est, etc.

    Le souhait, souvent formulé, d'un ensemble de groupes couvrant tout le territoire restait théorique, et proclamé par le Bureau parisien, il était jugé par certains provinciaux comme une manisfestation du centralisme national. Les premiers groupes stables naquirent d'initiatives locales, ce qui était bien préférable. C'est ainsi que le Groupe de Lorraine, créé d'abord parmi les bibliothèques d'entreprises, donna l'exemple en s'élargissant à partir de 1958. En 1976 on pouvait dénombrer dix-sept groupes provinciaux d'ailleurs inégalement actifs.

    La constitution progressive de ces groupes dont la réussite dépend de la bonne volonté de quelques animateurs, donna à certains l'idée de pousser le système jusqu'au bout en faisant de l'A.B.F. une fédération d'associations régionales. En 1970 un tel projet défendu par le président d'alors Noé Richter, donna lieu à de longues discussions autour de nouveaux statuts qui ne trouvèrent pas la majorité nécessaire. Finalement les statuts modifiés apportèrent des satisfactions partielles aux groupes régionaux en faisant entrer leurs représentants dans un Conseil national, désormais responsable des principales décisions, et en leur attribuant une part des cotisations. Cette péripétie aura montré la difficulté d'établir en France un système qui donne leur place aux réalités locales tout en tenant compte de la décentralisation et de l'importance numérique de la région parisienne.

    Les sections spécialisées et les autres associations

    En ce qui concerne les spécialisations professionnelles, l'A.B.F. se contenta jusqu'en 1955 d'offrir à ses membres trois sections : bibliothèques d'étude et de documentation, bibliophilie et histoire du livre, lecture publique. Les statuts de 1965, prenant acte de la création plus ou moins éphémère de diverses sections - petites et moyennes bibliothèques à rôle éducatif, bibliothèques-musées des arts du spectacle, bibliothèques d'enfants - ouvrit plus largement la porte aux différents aspects de la profession, acceptant en particulier une série de sous-sections au sein d'une grande section des bibliothèques spécialisées.

    Sur le plan de la lecture publique, il serait injuste, comme on l'a fait parfois, d'affirmer que l'A.B.F. ne lui a pas accordé dans son action la place qu'elle mérite. On doit rappeler qu'au contraire notre Association a compté parmi ses dirigeants quelques-uns des propagandistes les plus actifs de la lecture à tous les niveaux, que dès le début du siècle, des hommes comme Eugène Morel et Ernest Coyecque, plus tard Henri Vendel ont largement contribué à en faire connaître l'importance et qu'en rassemblant dès sa création les bibliothécaires de tous types de bibliothèques, elle a aidé à se rapprocher des hommes et des femmes portés parfois à se croire très différents. Remarquons aussi que certaines de ses activités les plus constantes ont été exercées à l'intention des responsables de petites bibliothèques. Outre les cours de formation mentionnés plus haut, on ne doit pas oublier que pendant plus de vingt-cinq ans elle a aidé au choix des acquisitions de livres récents par la publication de « Listes et fiches critiques mensuelles », suspendue en 1967 après un essai trop ambitieux, sous le titre de Livres d'aujourd'hui.

    Il serait excessif de dire que l'organisation actuelle est la meilleure possible et l'avenir apportera sans doute d'autres conceptions. Mais la double structure de l'A.B.F. qui permet à tous ses membres de participer à toutes les réunions organisées sous sa responsabilité mais également de rencontrer aussi bien des colllègues de la même région que des collègues affrontés, selon leur spécialité, aux mêmes types de problèmes, devrait théoriquement répondre à tous les besoins. Elle apporte même, dans une certaine mesure des éléments de formation permanente dans une profession où celle-ci a été jusqu'ici peu favorisée par les autorités officielles.

    Mais, malgré tous ces efforts, il faut croire que l'unité reste une utopie puisqu'ils n'ont pas empêché la création d'associations parallèles. Certes lorsque ces dernières s'adressent à une catégorie très particulière - anciens élèves d'une Ecole par exemple - leur existence n'exclut pas une appartenance simultanée à l'A.B.F. Mais on peut penser que le nombre des professionnels des bibliothèques est au total trop faible pour qu'ils aient intérêt à parcelliser leurs efforts.

    La crise que connaissent à notre époque les manifestations de la vie associative, ne semble pas toucher trop directement notre Association. S'il existe des collègues qui veulent tout ignorer de la profession dès qu'ils ont franchi la porte de leur bureau, nombreux sont ceux qui souhaitent de temps à autre rencontrer des collègues et examiner en toute indépendance les problèmes de leur métier. Plus difficiles à trouver malheureusement sont les quelques bénévoles indispensables qui acceptent d'animer les groupes, les sections et le Bureau national lui-même. Pourtant à l'heure où sont écrites ces lignes, la situation des bibliothèques montre que les principes défendus par l'A.B.F. depuis 75 ans restent dans l'ensemble parfaitement valables et cependant se trouvent constamment remis en quesion : il reste beaucoup à faire pour que le métier de bibliothécaire soit reconnu à sa juste valeur.

    1. Le bulletin a été publié sous les formes suivantes : Bulletin de l'A.B.F., 1906-1925, ing-8f¾- . f\, Chronique, 1926,1938, in-8° - A.B.F., bulletin, 1939-août 1941,in-8°. - Bulletin semestriel d'information de l'A.B.F., n° 1 (mars 1948) in-8° en offset. A.B.F., Bulletin d'informations, 1949-1952, in-4° ronéoté ; (n° 13) 1953 - Ino105) 1979, in-8°. - bulletin d'information de l'A.B.F., (n° 106...), 1980... retour au texte

    2. Signalons que l'Annuaire de 1926 contient « Un bilan de vingt années » par G. Henriot, et que celui de 1956, sous le titre Cinquantenaire et annuaire, donne uen série de textes présentée lors des réunions commémoratives de ce cinquantenaire. Le dernier annuaire paru date de 1980. retour au texte

    3. AB.F., Règles générales proposées pour la rédaction des catalogues en vue de leur unificaiton, H. Champion, 1929. retour au texte

    4. Depuis la guerre : A. Hahn, R. Brun, J. Cain, M. Piquard, J. Letheve, M.-L. Bossuat. retour au texte