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Les rapports de l'association des bibliothécaires français et de la bibliothèque nationale de Paris

1982

    Les rapports de l'association des bibliothécaires français et de la bibliothèque nationale de Paris

    Texte de la communication faite par Jacques Lethève, devant la section des Bibliothèques nationales au 47e congrès de l'IFLA à Leipzig en août 1981

    Par Jacques Lethève

    EN France, comme dans la plupart des pays de culture ancienne, les bibliothèques se sont développées isolément et de façon indépendante. Il a fallu que soient prises, au cours du 19ème siècle, d'abord quelques mesures concernant les bibliothèques municipales, puis en 1878 et 1886, une réglementation propre aux bibliothèques universitaires pour voir s'amorcer un début de collaboration. Beaucoup d'établissement restaient pourtant rigoureusement autonomes et la Bibliothèque Nationale, en raison de son importance, peut-être plus que les autres.

    Mais la fin du 19ème siècle voit émerger un début de prise de conscience soulignant le caractère spécifique du métier pratiqué par ceux qui les gèrent ; en même temps naît l'idée d'établir des relations plus étroites entre les établissements. C'est alors que l'apparition de l'Association des bibliothécaires français correspondit à ce nouvel état d'esprit. Les créateurs de l'A.B.F. en 1906 voulaient en effet rassembler toutes les personnes participant directement ou indirectement au travail des bibliothécaires et entreprendre l'étude des problèmes communs.

    Parmi les voeux formulés par cette Association, de caractère purement amical et sans lien avec les organismes officiels, figura très vite celui de voir créer en France une structure centrale capable de mettre de l'ordre dans le monde multiforme des bibliothèques. Ce voeu repris en maintes occasions devait finalement aboutir, mais seulement près de 40 années plus tard, lorsque fut créée en 1945, au sein du Ministère de l'Education nationale, une « Direction des bibliothèques de France ».

    Si j'ai commencé par rappeler ce fait capital dans l'histoire des bibliothèques en France, c'est parce qu'on pourrait difficilement apprécier le rôle qu'a joué et que joue encore l'A.B.F. à l'égard de la Bibliothèque Nationale, si l'on n'avait pas d'abord présent à l'esprit ce point de départ : notre Association professionnelle a joué par sa présence et son action un rôle de rassembleur et elle a prôné, à l'égard des autorités comme à l'égard des bibliothécaires eux-mêmes, l'unité de la profession. Elle n'a cessé de prêcher l'organisation d'un système cohérent de bibliothèques, de demander la confrontation des problèmes et l'harmonisation des méthodes. Il n'est pas étonnant - remarquons-le en passant - qu'élargissant par la suite ses préoccupations au-delà des frontières nationales, elle ait tenu une place de pionnier- comme on ne l'a pas oublié - dans la création même de l'IFLA.

    Quels peuvent être, dans les conditions que j'ai esquissées, les rapports de l'Association des bibliothécaires français et de la Bibliothèque Nationale ? Avec toutes ses richesses et ses traditions, la B. N. qui était alors au tout premier plan des bibliothèques du monde, ne manquait pas de rappeler qu'elle était, et de loin, la première bibliothèque de France. De là à penser que les problèmes posés au autres bibliothèques ne la concernaient pas, c'est un raisonnement que beaucoup de membres de son personnel n'hésitaient pas à tenir. Sans toujours se rendre compte qu'ils restaient ainsi repliés sur eux-mêmes.

    Ceux pourtant qui avaient l'esprit plus ouvert, trouvèrent dans l'existence de l'A.B.F. l'occasion d'élargir leur point de vue et d'amorcer, ne serait-ce que sur le plan des informations, une collaboration avec les autres établissements. L'A.B.F. organisait des visites ; elle faisait appel à des conservateurs de la B.N. pour participer à des discussions sur des problèmes généraux. Elle a permis ainsi de tisser progressivement des liens entre les représentants des diverses bibliothèques ; elle a permis aussi de rapprocher les positions prises autour de points discutés comme ceux du catalogue ou des classifications ; elle a aidé à améliorer progressivement la formation professionnelle à tous les niveaux.

    Au cours des trente dernières années, la situation s'est nettement modifiée dans le monde des bibliothèques françaises. Parallèlement l'A.B.F., devant l'accroissement du nombre de ses membres mais aussi la multiplication et la modernisation des bibliothèques, la diversification des problèmes, a été amenée à s'organiser de façon différente, en particulier à créer des sections plus spécialisées. Je ne retracerai pas ici les avatars d'une Association où des solutions diverses ont été présentées, où des tendances se sont parfois violemment opposées, mais on retrouve dans ces divergences des problèmes qui, au niveau national, ressemblent fort à ceux qu'a connus l'IFLA sur le plan international : comment concilier une nécessaire unité d'action qui, seule, peut donner de la force à notre profession, avec les besoins certains propres à certaines régions ou à certains types de bibliothèques ?

    Cette évolution conduit tout naturellement à multiplier les groupés, et les sections, tout en essayant de sauvegarder une activité centralisatrice.

    Pendant longtemps les membres de l'A.B.F. appartenant à la Bibliothèque Nationale avaient suivi les réunions générales de l'Association ou des manifestations plus spécialisées qui pouvaient les intéresser. Car, comme je l'ai indiqué, dès sa création l'A.B.F. avait englobé la Bibliothèque Nationale dans le mouvement unitaire qu'elle cherchait et réussit d'ailleurs largement à provoquer. Ce n'est pas par hasard si quelques-uns de ses présidents les plus actifs ont appartenu à la grande maison de la rue de Richelieu.

    L'organisation en trois sections qui prévalut d'abord après la dernière guerre, conduisit les conservateurs de la Bibliothèque Nationale à participer plus régulièrement à celle de ces- sections consacrée aux bibliothèques d'étude, sans les exclure des autres sections dans la mesure où ils y étaient attirés par leur intérêt ou leur curiosité. Toutefois dans la fragmentation générale des activités, l'idée d'une section propre à la Bibliothèque Nationale devint d'autant plus évidente que l'IFLA venait, elle aussi, de rassembler à part les représentants des bibliothèques nationales. En mai 1969, sur l'initiative de Madame Honoré, alors présidente, le Congrès annuel de l'A.B.F. réuni à Nantes, décida la création d'une section propre à la Bibliothèque Nationale.

    Quel pouvait être le rôle d'une section de ce type, réservée en principe aux conservateurs d'un seul établissement, sans d'ailleurs exclure selon le règlement de notre Association les autres bibliothèques intéressées par les problèmes qu'on y évoquerait ? Aux moins enthousiastes de cette création son utilité apparut vite, non pas pour répondre à un besoin de symétrie en face des sections intéressant les autres bibliothèques mais comme répondant à des problèmes particuliers.

    Il est facile de le comprendre si l'on pense à la structure particulière 'une vieille maison, subissant le poids des siècles et des traditions. L'héritage des collections royales a imposé la division en départements très diversifiés conservant des documents de natures très différentes : c'est ainsi que coexistent sous le même toit des livres et des médailles, des gravures et des manuscrits. Naturellement cette diversité des collections entraîne une spécialisation du personnel. En outre, cette situation de fait qui ne s'est, pendant longtemps, accompagnée d'aucun organisme de liaison, en dehors d'un conseil des responsables de départements aux prérogatives très limitées, n'a pas facilité les rapports entre départements. Ceux-ci ont évidemment leurs méthodes de classement, de catalogage, de communication, dans la mesure où elles concernent des objets particuliers. Il est moins évident, et en tout cas moins rationnel, que la spécificité de chaque département s'accompagne, pour le public, de onditions d'accès, de règlements, d'horaires sans harmonisation réelle.

    L'esprit d'unité et de collaboration existant au sein de l'A.B.F. depuis sa création la prédisposait à étudier des améliorations de cette situation. Certes, de même que l'IFLA se range auprès de l'UNESCO parmi les organisations non-gouvernementales, le groupement des bibliothécaires réunis sous le signe A.B.F. n'est qu'une association purement professionnelle sans lien avec les organismes officiels et sans autre hiérarchie que la présence d'un bureau et d'un conseil élus. On peut dire pourtant que la sagesse des positions qu'elle a prises depuis sa création, c'est-à-dire depuis 75 ans, que la neutralité qu'elle s'est efforcée de maintenir en toutes circonstances et en particulier à l'égard des problèmes politiques, lui ont valu une autorité morale reconnue. De là l'action sérieuse qu'elle peut mener dans des domaines comme l'information ou même la formation professionnelle.

    La section de la Bibliothèque Nationale, quant à elle, s'est attelée à la tâche d'organiser des réunions et des rencontres correspondant aux souhaits de ses membres : ces souhaits visaient, la plupart du temps, une meilleure connaissance du travail accompli dans les différents départements, l'établissement de liaisons plus étroites entre ceux-ci ; ce fut aussi la discussion de problèmes généraux ou de projets établis par des instances officielles mais non encore entrés en application ; enfin, conformément à la mission centrale de l'Association, une ouverture vers l'extérieur.

    Sans vouloir retracer le programme offert à ses membres depuis 12 ans, je voudrais indiquer quelques-uns des thèmes de réunion, afin qu'on puisse mieux juger la nature de son action en montrant ce qu'une association indépendante peut apporter au personnel d'une bibliothèque comme la Bibliothèque Nationale. Notons d'ailleurs que depuis 1974, et chaque année jusqu'ici, un numéro entier du Bulletin d'information de l'A.B.F. a été réservé à la Section, permettant la publication des principales communications présentées dans ces séances.

    Un premier groupe de sujets concerne, comme je l'ai dit plus haut, une meilleure connaissance de la Bibliothèque elle-même dans sa richesse et sa complexité : visites commentées de certains départements et de services, en particulier de services techniques, tels que les différents ateliers de restauration, relativement peu familiers au personnel des conservateurs ; présentation des acquisitions les plus prestigieuses ou d'intérêt exceptionnel, que leur caractère précieux met normalement à l'écart des consultations directes ; étude des catalogues anciens ou en cours d'élaboration, dont la richesse des fonds particuliers explique la multiplicité ; examens aussi des problèmes posés dans les différents départements par certains types de documents,. par exemple les publications dites mineures (petits catalogues, prospectus, tracts, etc...) qu'une bibliothèque nationale, réceptrice du Dépôt légal, se doit de conserver.

    Des problèmes plus généraux ont pu être examinés également autour de projets, pour lesquels l'Association offre une tribune tout à fait libre mais pouvant contribuer à leur mise au point : il en fut ainsi pour la création de la Bibliothèque publique d'information (Centre Georges Pompidou) qui, au départ avait été conçue comme une annexe de la Bibliothèque Nationale, ou pour divers projets d'automatisation jusqu'ici très partiellement réalisés.

    Un autre groupe de réunions a permis des discussions autour de différentes questions : problèmes des acquisitions, information des lecteurs, connaissance des problèmes de restauration ou des procédés de reproduction.

    Une troisième série de réunions rattache directement le rôle de la Section Bibliothèque Nationale à celui plus général de l'A.B.F. : ouvrir vers l'extérieur les préoccupations des bibliothécaires. Naturellement chaque année la section a étudié les répercussions que pouvaient avoir sur la Bibliothèque Nationale les travaux de l'IFLA. Les grandes réformes réalisées à l'étranger n'ont pas échappé à son attention, quand il s'agit de réformes aussi importantes que la création de la British Library. Mais des études comparatives ont été présentées également sur le plan national. Ainsi la création ou plutôt l'extension d'un centre de prêt rattaché à la Bibliothèque Nationale a fourni un sujet de discussion à plusieurs réunions. D'autres séances ont été consacrées aux relations susceptibles d'amélioration entre l'organisme central que représente la Bibliothèque Nationale et diverses bibliothèques, principalement des bibliothèques spécialisées, sur différents plans comme la coordination des acquisitions ou des échanges.

    Il est certain que la plupart des problèmes ainsi évoqués ne peuvent aboutir en France que par la voie officielle, celle des autorités ministérielles ou municipales. Pourtant le rôle d'une association indépendante se confirme comme réellement important. Il permet chez nous une information plus complète, une discussion tout à fait libre sur les problèmes en cours. Il apporte une contribution efficace à l'information et aussi à la formation professionnelle, y compris pour le personnel déjà en fonction qui, par l'intermédiaire de l'A.B.F., peut suivre l'évolution de la bibliothéconomie..