LES bibliothèques se placent naturellement au centre du réseau documentaire indispensable à toute recherche dans le domaine des sciences humaines et sociales. Conservatoire du passé, mais ayant une fenêtre largement ouverte sur tous les nouveaux média, la Bibliothèque Nationale occupe une place prééminente parmi les organismes de recherche tant français qu'étrangers avec lesquels elle collabore efficacement.
Par le passé, dans un système où l'information était réservée à un petit groupe de privilégiés, une bibliothèque nationale remplissait ses fonctions sans étendre l'usage de ses collections au-delà d'un cercle très restreint de commis de l'Etat ou d'intellectuels, pour la plupart rassemblés dans la capitale. Depuis plus d'un demi-siècle, il apparaissait qu'une telle exclusivité ne correspondait plus à un régime démocratique, moins encore après l'explosion universitaire et les exigences de la décentralisation. Mais envisager de communiquer plus largement ne conduisait-il pas inexorablement à la destruction de documents uniques, indispensables à la recherche de demain ?
Face à ce dilemme, la Bibliothèque Nationale s'est tournée résolument vers l'avenir. La richesse comme la diversité de ses fonds accumulés depuis des siècles, sans cesse enrichis par l'apport du dépôt légal (livres, revues, journaux, tracts, cartes et plans, musique imprimée, gravures, affiches, photographies, médailles, monnaies, disques, multimédia) nécessitent un recours permanent à la recherche et aux techniques modernes pour lui permettre de remplir pleinement son rôle dans les trois domaines essentiels qui sont les seins : conservation, communication, exploitation de ces documents de toute nature (Nous n'en citerons que quelques exemples).
Outre son intérêt évident pour la conservation du patrimoine national, cette vaste campagne de reproduction - commencée par la Bibliothèque Nationale dans le cadre de son plan de sauvegarde - devrait changer totalement l'approche qui peut actuellement être faite des collections de la Bibliothèque, en mettant à la disposition d'un .vaste public une masse de documents qui sous leur forme originale ne sont accessibles qu'à un petit nombre de chercheurs spécialisés.
Jusqu'à une date très récente (ou plutôt jusqu'à demain), l'ouverture à un large public des bibliothèques nationales apparaissait à la fois inéluctable et suicidaire : bibliothèques de l'avenir autant que du présent, elles ne pouvaient compromettre par une communication immédiate effrenée leurs exemplaires uniques de documents qui serviront de base à la recherche ultérieure, alors que les exemplaires actuellement existants dans les autres établissements sont voués à une plus ou moins rapide disparition.
Les progrès ininterrompus de la microreproduction, ceux qui sont attendus du vidéodisque et de la télétransmission, le concours de l'informatique, autorisent aujourd'hui à considérer que les immenses ressources bibliographiques des bibliothèques nationales peuvent devenir accessibles à tous sans exception.
Pour signaler les documents qu'elle conserve, la Bibliothèque Nationale a toujours constitué des fichiers exhaustifs et publié des catalogues de ses fonds (Catalogue des livres imprimés, par nom d'auteurs; Inventaire du fonds français.du Cabinet des Estampes ; Répertoire de la presse et des publications périodiques françaises, etc...).
Depuis le 1 er janvier 1975, le fascicule Livres de la « Bibliographie de la France est automatisé, les notices des ouvrages entrés par dépôt légal étant enregistrées selon le format européen INTERMARC à l'élaboration duquel la Bibliothèque Nationale a largement contribué.
La réalisation de catalogues collectifs dans divers domaines (Inventaires permanent des périodiques étrangers en cours ; Catalogue collectif des périodiques de 1631 à 1939 ; Catalogue collectif des ouvrages étrangers, etc...) a toujours été encouragée par la Bibliothèque Nationale.
A côté de ces catalogues traditionnels, il est évident qu'une automatisation complète - qu'il est dans les intentions de la Bibliothèque Nationale de réaliser - devrait modifier de façon très nette ces catalogues et les moyens d'accès qu'ils donnent aux sources documentaires. Dans le cadre du contrôle bibliographique universel selon lequel chaque agence nationale est responsable du catalogage de sa production nationale, il est indispensable que la Bibliothèque Nationale puisse constituer une base bibliographique nationale interrogeable à la Bibliothèque même, en France et à l'étranger, équivalent français des bases élaborées par d'autres bibliothèques européennes (par exemple la base BLAISE produite par la British Library, ou la base BIBLIODATA produite à Francfort par la Deutsche Bibliothek, et accessibles toutes deux par le réseau EURONET).
Cette base devrait naturellement comprendre les notices correspondant à la totalité de la production française reçue à la Bibliothèque Nationale par dépôt légal, aux ouvrages étrangers acquis par la Bibliothèque Nationale (et si possible par d'autres bibliothèques françaises dans la perspective d'un réseau de catalogage) à un choix de catalogues rétrospectifs car l'option automatique doit être étudiée chaque fois que l'on décide de reprendre le catalogage d'un fonds ancien.
L'utilisation et le développement de l'informatique doivent permettre de valoriser la recherche en sciences humaines et sociales. L'interrogation facile d'une ou plusieurs banques de données, françaises et étrangères, spécifiques au thème de recherche feront en effet gagner un temps considérable au chercheur, en le libérant de dépouillements bibliographiques longs et fastidieux, tout en contribuant à affiner sa recherche grâce à la mise en relation d'informations variées qu'il n'aurait peut-être pas eu l'idée de rapprocher.
Beaucoup pensent aujourd'hui que les technologies de la communication seront un levier essentiel des transformations à venir. Instruments de culture, de pouvoir et de développment, elles porteront les espoirs et les peurs du monde contemporain avec, au plan social, une puissance qu'aucun média 'avait pu atteindre, semble-t-il, jusqu'à présent. Comment le grand public acceuillera-t-il les nouvelles technologies audiovisuelles ? Les modes de transmission de demain (magnétoscope, caméra vidéo, vidéo cassette, vidéodisque, etc...) auront-ils un impact culturel ?
Le décret du 19 novembre 1977 a donné à la Bibliothèque Nationale le statut d'un institut de recherche avec mission d'exploiter scientifiquement le contenu de ses collections. Cette orientation n'est pas à proprement parler nouvelle : la Bibliothèque Nationale a toujours compté des conservateurs érudits conduisant des travaux de recherche. Mais, depuis quatre ans, l'activité scientifique de la Bibliothèque est bien structurée avec le concours de la Mission de la Recherche et la collaboration active du CNRS. Cinq actions ont été lancées sous l'égide de la Mission de la Recherche :
Tandis que douze autres sont en cours dans le cadre du Groupement d'intérêt scientifique B.N.-CNRS :
Le Comité scientifique créé pour chacune de ces actions regroupe des conservateurs de la Bibliothèque Nationale, des chercheurs du CNRS et des universitaires. Toutes ces actions de recherche couvrent exclusivement le domaine des sciences sociales et humaines qui est de la compétence de la Bibliothèque Nationale. Des publications d'un haut niveau scientifique ont déjà été publiées ou sont sur le point de l'être :
Ces différentes activités de recherche démontrent la volonté manifeste de la Bibliothèque Nationale de ne pas laisser ses richesses inexploitées et de participer activement au mouvement scientifique contemporain.
D'autres directions de recherche sont envisagées pour les années à venir dans la mesure des moyens qui seront accordés à la Bibliothèque Nationale:
Toutes ces recherches dans des domaines si divers nécessitent sans cesse plus de moyens financiers, et requièrent des personnels à la fois hautement qualifiés et érudits. Des sommes importantes ont été allouées à la Bibliothèque Nationale aussi bien pour des achats ponctuels de documents d'intérêt national (les épreuves de « Un coup de Dés jamais n'abolira le Hasard» de Mallarmé, la plus ancienne édition d'« Heures entièrement rédigée en français (1489), une reliure mosaïquée de Jean Delorme aux armes de Marie-Antoinette, etc...) que pour le renouvellement de son matériel ou pour ses activités de recherche, ou encore dans le cadre du Plan de sauvegarde de ses collections. Mais pour importants que soient ces efforts financiers, ils demeurent insuffisants pour pouvoir mener à bien l'immense et urgente tâche de conservation, de communication et d'exploitation du patrimoine national dont la Bibliothèque Nationale est spécifiquement chargée.
D'autre part la Bibliothèque Nationale étouffe dans ses bâtiments anciens qu'il faut transformer et essayer de rendre plus fonctionnels. Les collections augmentent inexorablement et rapidement grâce à l'apport du dépôt légal, des achats et des dons ; tout doit être conservé ; il faut donc sans cesse chercher et trouver de la place. L'acquisition par l'Etat en 1976 des quelque 18 000 m2de planchers de l'immeuble Vivienne devrait permettre à la Bibliothèque Nationale de mieux répartir ses différents services. Mais les agrandissements dans Paris étant nécessairement limités, la Bibliothèque Nationale a été conduite récemment à créer des annexes en province : Avignon (Arts du Spectacle), Sablé (atelier de réparation et de reproduction de livres), Provins (atelier pour la restauration et la reproduction de la presse), Troyes (centre.de prêt).
Quant aux effectifs, ils n'ont autant dire pas progressé depuis 1975, alors que les tâches augmentaient et se diversifiaient. La Bibliothèque manque de personnels de toutes catégories: scientifique, technique, administratif, de service. Des postes de spécialistes en informatique (ingénieurs, analystes, programmeurs, pupitreurs) devraient y être créés pour la réalisation de son informatisation. Le nombre d'ITA affectés à la Bibliothèque Nationale pour ses activités de recherche est trop réduit et ne permet pas de conduire rapidement à leur terme des études essentielles.
Enfin, dans le domaine des sciences humaines, la diffusion des recherches présente des caractéristiques qui la distingue : quantité de publications spécialisées ont un caractère durable, voire quasi définitif, et gardent leur valeur scientifique pendant fort longtemps. Ces ouvrages indispensables requièrent des modes de fabrication traditionnels, et coûteux, la qualité typographique de la publication étant indissolublement liée à sa pérennité scientifique. En science exactes, tout au contraire, les résultats doivent être diffusés rapidement, par des moyens peu onéreux ; mais ils se périment tout aussi rapidement la plupart du temps.
L'inflation documentaire actuelle, le fait qu'un chercheur isolé ne peut plus maintenant mener seul une action de recherche valable, la prise de conscience de la nécessité de bien connaître notre passé pour mieux comprendre notre devenir, la difficulté rencontrée pour accéder aux documents primaires, tous ces éléments contribuent à faire réclamer des moyens accrus pour l'exploitation des fonds des bibliothèques en général et de la Bibliothèque Nationale en particulier. En effet, c'est dans les bibliothèques que les chercheurs doivent trouver la documentation internationale indispensable à leurs recherches ; les orientations données à leurs travaux sont souvent conditionnées par la documentation mise à leur disposition.
Les recherches et travaux entrepris à la Bibliothèque Nationale démontrent, s'il en était besoin, que l'établissement est depuis longtemps largement ouvert à la science et aux innovations techniques. La Bibliothèque Nationale n'hésite pas à utiliser des méthodes nouvelles que son personnel contribue à tester et mettre au point (restauration, désacidification, etc...), ou à faire rôder des appareils qui sont en réalité des prototypes (dans les domaines de la conservation essentiellement).
Nos collègues, français comme étrangers, viennent ensuite étudier nos procédés pour les appliquer dans leur propre bibliothèque.
Cette importance apparaît à tout moment : fonds prestigieux ; intérêt du rapprochement de documents de toute nature ; conservation d'éphémères.
Toute société, quelle qu'elle soit, a besoin de connaître ses racines. Si les manuscrits du Moyen-Age par exemple assurent la transmission de la pensée de leur temps, ils jouent aussi un deuxième rôle essentiel ; ce sont pratiquement les seuls témoins de la production intellectuelle de l'Antiquité. Leur exploitation, qui est loin d'être complète tant s'en faut, permet donc de connaître à la fois la Société médiévale et les textes littéraires classiques. Le département des Manuscrits de la Bibliothèque Nationale occupe aujourd'hui, dans ce domaine le premier rang dans le monde pour ses collections grecques et françaises, et l'un des premiers pour sa collection latine. Aussi la poursuite de la publication des volumes de la série Manuscrits enluminés d'origine italienne, espagnole, etc..., est-elle essentielle non seulement pour la connaissance des fonds de la Nationale mais également pour l'appréhension par l'humanité du monde antique et médiéval.
L'interdisciplinarité offerte par l'extrême diversité des fonds de la Bibliothèque Nationale, engrangés au fil des années, peut seule permettre une étude complète d'une période sous ses multiples facettes. Pour la Révolution française, par exemple, le chercheur peut consulter les manuscrits et les Archives de la Bastille, les médailles, la musique imprimées du temps et les enregistrements qui en ont été faits ultérieurement, toute l'iconographie, les journaux et nouvelles si nombreux pendant la période révolutionnaire, les cartes, les plans, tous les petits documents qui sont le plus fidèle reflet de la vie quotidienne à une époque déterminée.
En effet, un ticket de tramway, un billet de théâtre, une affiche du P.L.M., ou un prospectus donnant le programme du casino de Trouville en 1910, tous ces multiples documents bruts, porteurs d'une mine de renseignements sur la vie sociale à une date donnée, ont disparu à jamais plus sûrement que le plus rare des incunables ou le plus beau des manuscrits. Personne ne s'est la plupart du temps soucié, à l'époque, de l'importance de leur précieux témoignages. Seule la Bibliothèque Nationale a toujours systématiquement conservé ces humbles témoins du passé dont le caractère rarissime augmente à mesure que le temps s'écoule, et dont l'étude permet aux chercheurs d'aujourd'hui ou de demain de mieux pénétrer le monde d'hier.