Index des revues

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    La CGT et les bibliothèques d'entreprise

    Par Marius Bertou, Responsable du Service de politique et d'action culturelles.

    LA C.G.T. est honorée par l'invitation qui nous a été faite de participer à votre Journée d'Etude sur « l'insertion des bibliothèques des hôpitaux et des comités d'entreprise dans le réseau de la lecture publique » afin, selon les termes de la lettre de notre ami J.-C. Stefani, de vous faire connaître notre conception sur le rôle, les questions, les finalités des bibliothèques des comités d'entreprise.

    C'est pour nous l'occasion, d'une part, d'élargir et d'enrichir nos connaissances et, d'autre part, de souligner la part importante que l'A.B.F., et sa sous-section des bibliothécaires des comités d'entreprise, notamment par ses études statistiques et démarches, a pris dans la reconnaissance officielle de l'existence des bibliothèques des Comités d'entreprise.

    Aujourd'hui, alors que ces bibliothèques sont officiellement prises en compte, il nous parait très important que, pour le moins, nos analyses et nos positions convergent.

    Certes, vous êtes une association de bibliothécaires et nous sommes une centrale syndicale ayant en charge, dans son originalité de force de propositions et de revendications, l'ensemble des aspirations des travailleurs de l'entreprise.

    Mais je veux dire, avec netteté, qu'à l'écoute de points de vue sans doute différents, nous mettrons tout en oeuvre pour déceler, contribuer à dégager des points essentiels d'action qui peuvent aller dans une direction commune ou parallèle.

    Je tiendrai donc ici le discours qui fut le mien lors des travaux de la Commission Pingaud-Barrau.

    Les bibliothèques des comités d'entreprise, dont les locaux sont encore trop souvent cantonnés hors ou en lisière du lieu de travail, constituent, dans plus de 90% des cas, le seul espace culturel de l'établissement. C'est ce qui nous conduisait, aux Journées Nationales sur la C.G.T. et la Culture en mars 1980, d'y consacrer un long chapitre et d'y insister dans une suite d'articles, antérieurs ou postérieurs à cette date, publiés dans notre bi-mensuel officiel « Le Peuple».

    La bibliothèque du comités d'entreprise est héritière des bibliothèques des Bourses du Travail et fille de la poussée sociale et démocratique de 1945.

    A nos yeux, deux grandes idées essentielles s'imposent :

    • 1/. La bibliothèque du comités d'entreprise est un moment des plus décisifs de la vie culturelle de l'entreprise car si, comme le préconise Monsieur le Premier Ministre, le travailleur doit être un citoyen dans l'entreprise, nous entendons qu'il y soit un citoyen instruit et cultivé. Pour faire court, nombre des activités culturelles et scientifiques devraient partir du livre, de la bibliothèque donc, et y revenir.
    • 2/. De ce fait même, la bibliothèque du comité d'entreprise doit unir dans une entente et une collaboration, autant que faire se peut harmonieuse, les trois éléments qui la fondent et la constituent, à savoir :
      • les élus au comité d'entreprise et leurs organisations syndicales,
      • les bibliothécaires et, singulièrement, les bibliothécaires professionnels,
      • les lecteurs enfin,

    avec le même souci d'aller à la conquête difficile des non-lisants, c'est-à-dire des catégories sociales les plus défavorisées ; conquête difficile pour des raisons évidentes d'injustice sociale et culturelle, conquête difficile alors que des chiffres récents montrent un renouveau de l'analphabétisme ou plus exactement du nombre d'hommes et de femmes qui ont désappris à lire.

    Ce travail en commun, dont nous ne nous masquons pas les difficultés, difficultés que nous n'attribuons pas de façon manichéenne à telle ou telle partie concernée, devrait se proposer de rendre la bibliothèque encore plus vivante, encore plus proche de la réalité socio-culturelle si complexe de l'entreprise, encore plus conquérante.

    Mais, à ce travail commun, si nécessaire à la réussite du changement dans laquelle la France est engagée, il convient de donner les moyens de sa réussite.

    Tout d'abord, et en priorité, les subventions patronales aux comités d'entreprise devraient être portées à 3% minimum de la masse salariale et, dans ce cadre, nous maintenons notre recommandation visant à e que 10% de ces crédits soient consacrés aux activités culturelles.

    ' C'est une condition incontournable pour permettre aux bibliothèques des comités d'entreprise de jouer le rôle que nous ambitionnons pour elles, d'élargir leur recrutement de bibliothécaires professionnels.

    En dehors de ces chiffres, et de leur aride sécheresse, toute proposition de « normes », de « quotas relatifs à l'emploi de bibliothécaires professionnels relève de l'utopie en même temps qu'elle heurte ce sentiments de légitime indépendance auquel sont très attachés les comités d'entreprise dans leur caractère intersyndical même.

    Ces crédits permettraient l'achat et le renouvellement d'un large choix de livres, prenant en considération un pluralisme réel que nous nous refusons de confondre avec une pluralité très souvent existante. Le choix de ces livres, sur propositions initiales des bibliothécaires, devrait s'inscrire dans le cadre d'une orientation générale de recherche fixée en commun par les éléments constitutifs dont je parlais, tout litige relevant d'une discussion commune et d'un arbitrage commun, le dernier mot revenant à ceux qui, élus des travailleurs, en assument devant eux la responsabilité et doivent leur en rendre compte.

    Ces crédits nouveaux aideront, faciliteront une action culturelle des bibliothèques des comités d'entreprise pour en faire un lieu visité avec curiosité, un lieu familier selon le propos de Bourdieu.

    Mais les faits étant là, têtus et bien présents, de nouvelles libertés, de nouveaux droits doivent être accordés à celles et à ceux qui, après leur travail professionnel, s'occupent, jusqu'ici encore majoritairement, des bibliothèques des comités d'entreprise. Libertés et droits nouveaux pour que le livre puisse aller au plus près de la chaîne, de l'établi, du bureau ; libertés et droits nouveaux pour que le lecteur puisse se rendre à la bibliothèque.

    Il y a entre crédits nouveaux et droits nouveaux une cohérence pour le développement des bibliothèques d'entreprises. Mais de ce point de vue, nous ne cèlerons pas notre préoccupation, y compris là où une/un bibliothécaire professionnel(le) permanent(e) est en fonction, de mettre en place un véritable réseau de « correspondants de la bibliothèque » ou, si l'on veut encore, de «correspondants du livre et de la lecture».

    Je dirai plus : il nous apparaît que dans leur formation et dans leur travail, les bibliothécaires professionnels devraient, à notre avis, considérer le temps consacré à aider cette activité comme ce que j'appellerai un moment de « travail socialement culturel ».

    Je ne cacherai pas, non plus, que la pratique nous enseigne qu'il y a là une source socialement nouvelle de recrutement des bibliothécaires professionnels. Le Gouvernement devrait contribuer - comme pour les bibliothécaires professionnels - à la formation initiale, qui relève des organisations syndicales, de ces militantes et militants du livre et de la lecture. Contribuer, cela signifie à la fois du temps et des crédits.

    Ainsi, si nous souhaitons voir se multiplier de façon importante les crédits consacrés aux comités d'entreprise, le sens de leur utilisation ne nous est pas indifférent.

    Mais la situation nouvelle, née du 10 mai 1981, nous conduit à faire preuve d'imagination et d'innovation.

    Il en va ainsi des bibliothèques des petites et très moyennes entreprises dont les responsables des comités d'entreprise devraient, avec l'aide de l'Etat, Ghercher des formes nouvelles de coopération qui, d'ailleurs, commencent à se dessiner ici et là.

    Il en va encore des liens nouveaux et inédits à établir entre les bibliothèques des comités d'entreprise, les bibliothèques municipales, les bibliothèques centrales de prêt.

    Nous pensons qu'il est désormais possible que s'établissent des relations entre ces différentes structures, notamment et par exemple, pour une action culturelle commune à propos d'un thème, d'un auteur, d'une période historique, d'un événement scientifique qui concernent les habitantes et les habitants d'une localité ou d'un département.

    Mais je voudrais être clair et dire sans ambages, qu'en aucun cas - ici comme pour les petites entreprises - la décision ne peut, à notre avis, être prise sans discussion et accord préalables des comités d'entreprise intéressés.

    De même, en aucun cas - c'est encore nore avis - l'insertion des bibliothèques des comités d'entreprise dans le réseau de la lecture publique ne devra, par un biais ou un autre, les transformer en bibliothèques ouvertes aux habitants du quartier ou de la ville.

    La situation sociologique d'une entreprise qui détermine, dans une large mesure, le projet culturel du comité d'entreprise et de la bibliothèque ne saurait être remis en cause sans que soit, en même temps, remis en cause leur spécificité et un long travail déjà entrepris.

    Cette spécificité c'est, et ce fait a été souvent souligné, que c'est à la bibliothèque du comité d'entreprise - et à elle seule - que vont, encore insuffisamment certes, celles et ceux qui appartiennent aux catégories les plus défavorisées, contrairement à d'autres couches sociales qui fréquentent d'autres bibliothèques. C'est cela qui marque l'originalité des bibliothèques des comités d'entreprise et les inscrit d'une façon complémentaire et irremplaçable comme un élément d'une volonté publique nationale.

    J'en termine. Mais il convient encore de dire, parce que nous le pensons même si nous le pratiquons encore insuffisamment, que si la bibliothèque des comités d'entreprise est pièce maîtresse, la pièce majeure de la lecture à l'entreprise, elle ne saurait nous dispenser de mener notre propre bataille de la lecture et du livre parmi nos adhérents et militants, parmi les travailleurs.

    Nous ne céderons pas à la facilité de transférer nos responsabilités, celles qui ressortent d'une organisation syndicale. Les choses, sans doute, y gagneront en clarté.

    Pour illustrer cette démarche, l'animation culturelle centrale du 41ème Congrès de la C.G.T. qui va se tenir à Lille, sera une Maison du Livre où, à partir d'ouvrages divers et multiples, se dérouleront plusieurs débats. Je suis autorisé à inviter une délégation de l'A.B.F. à venir visiter cette Maison du Livre.

    Ce faisant, nous ne ferons que prolonger notre séminaire des responsables de nos stages syndicaux moyens, organisé par le C.C.E.O. sur les problèmes de la lecture et qui s'est conclu par le fait que la lecture et le livre sont inclus dans chaque stage qui s'est tenu ou se tiendra en 1982.

    En un mot comme en cent, nous essayons de faire nôtre, par une vue globale, cette déclaration du 5 juillet 1945 à l'Assemblée du omité du Livre Français :

    « Le Livre scientifique et littéraire est un instrument pour la connaissance du monde, le livre est essentiel dans la vie d'une nation, comme le charbon ou les médicaments.

    Le livre ne peut exister que s'il est lu, comme le reflet dans la glace n'existe que s'il y a un oeil pour le voir».

    La déclaration est de Madame Eisa Triolet et de Messieurs Seghers et Vercors.